Perspectives économiques : les angles morts du gouvernement

Les perspectives de développement de l’économie française associées au budget 2024, en cours d’examen à l’Assemblée nationale, s’appuient sur des prévisions économiques relativement hautes au regard de l’inflation et du ralentissement du commerce mondial. Auditionnés mardi au Sénat, des économistes ont mis en lumière des éléments d’incertitude qui pourraient, selon eux, ne pas avoir été suffisamment pris en compte par l’exécutif.
Romain David

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Sans surprise, la Première ministre Élisabeth Borne a dégainé mercredi l’article 49.3 pour faire adopter en première lecture le volet consacré aux recettes du projet de loi de finances (PLF) 2024. Face à une Assemblée fracturée, l’exécutif pourrait encore utiliser une dizaine de fois cette arme constitutionnelle pour faire passer les textes budgétaires de la fin d’année. Le projet de loi de finances pour 2024 sera discuté en séance publique au Sénat à partir du 23 novembre.

Avant de rentrer dans le dur du sujet, la commission des finances de la haute assemblée s’est lancée dans une série d’auditions pour affiner son avis sur les prévisions de croissance sur lesquelles s’appuie le gouvernement pour construire sa copie. Des prévisions jugées plutôt optimistes, avec une croissance du PIB de 1,4 % en 2024 et une inflation estimée à 2,6 %. Mardi 16 octobre, plusieurs économistes étaient entendus par les sénateurs.

Des économies peu documentées dans « un contexte inflationniste qui reste assez persistant »

« Le point saillant, c’est quand même ce biais optimiste », a relevé Sandrine Duchêne, membre du Haut Conseil des finances publiques, un organisme rattaché à la Cour des comptes, qui a pour mission d’apprécier les prévisions macroéconomiques formulées par Bercy. Bruno Le Maire, le ministre de l’Économie, s’est engagé sur 16 milliards d’économies avec ce nouveau budget, mais le flou persiste sur les postes de dépenses ciblés, tandis que les perspectives de relance se heurtent à une tendance mondiale qui est au ralentissement.

« En matière de dépenses, le Haut Conseil des finances publiques a relevé les effets de la surpression des mesures de soutien en matière énergétique, mais au-delà de ces économies, il y a peu d’économies structurelles documentées dans la trajectoire de finances publiques en 2024, et même au-delà. À partir de tout cela, le Haut Conseil relève la fragilité de la trajectoire de désendettement affichée à partir de 2024 », explique Sandrine Duchêne.

Au niveau international, le ralentissement de la Chine impacte de nombreux pays, y compris en Europe, où les croissances allemandes et italiennes en subissent déjà les effets, ce qui éloigne l’hypothèse d’une accélération. « Il y a un contexte inflationniste qui reste assez persistant », poursuit Sandrine Duchêne. D’autant que la hausse historique des taux d’intérêt en Europe risque aussi d’avoir ses effets sur le marché de l’investissement, avec « un freinage très important » du côté de l’immobilier.

La chute de la productivité, une énigme française

Pour sa part, Patrick Artus, conseiller économique de Natixis Interépargne, organisme financier d’épargne salariale et de retraite rattaché au groupe bancaire BPCE, pointe les incertitudes autour de la baisse de la productivité du travail, avec une exception française assez difficile à appréhender. « Il y a une anomalie européenne à partir de 2018, qui est particulièrement forte en France. » Le niveau actuel de productivité a chuté de 6 % par rapport au deuxième trimestre 2018, entraînant par voie de conséquence une stagnation des salaires et privant l’Etat de recettes fiscales.

« Il y a un taux d’absentéisme dans les entreprises françaises qui a monté de 2,5 points entre 2018 et aujourd’hui, et qui fait baisser la durée effective du travail et la production des entreprises », relève encore Patrick Artus. Ce phénomène toucherait essentiellement les salariés de 20 à 35 ans. « Des études de sociologues montrent qu’il y a une perte de sens du travail, une perte d’implication dans le travail assez forte chez les jeunes », poursuit l’économiste.

Autre élément d’explication : la montée en puissance de l’apprentissage, avec des salariés qui, par nature, sont un peu moins productifs les premières années. « Les causes du recul de la productivité sont structurelles. Les hypothèses du gouvernement sur 2024, 2025 et même jusqu’en 2027 sont très optimistes. Je pense qu’il sera difficile de faire repartir la productivité à cet horizon et qu’il y a une surestimation d’au moins 3 points du niveau de PIB à l’horizon 2027 par les prévisions officielles », souligne Patrick Artus.

L’épargne des Français, un pécule inexploité

Autre élément d’incertitude quant aux perspectives économiques de la France : l’état de l’épargne. Au premier trimestre 2023, le taux moyen d’épargne des ménages frôlait les 17 %, l’un des plus élevés au monde, selon les chiffres de la Fédération bancaire française. Soit 3 677 milliards d’euros reposant dans des comptes de dépôt à vue, des plans d’épargne réglementés, ou encore des assurances-vie. « Il y a eu un surplomb d’épargne pendant la crise covid. Ce qui s’explique moins, c’est pourquoi l’épargne en France reste à un niveau très élevé. Par exemple, les consommateurs américains ont déjà dépensé le surplus accumulé pendant la crise », remarque Sandrine Duchêne.

La propension des Français à jouer les écureuils écarte les perspectives d’une relance par la consommation des ménages. « Aujourd’hui, les carnets de commandes se vident rapidement et ne se remplissent pas », alors que les difficultés d’approvisionnement et de fabrication rencontrées pendant et après la crise sanitaire semblent avoir été absorbées, alerte Éric Heyer, le directeur du département Analyse et prévision de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), un organisme indépendant de recherche et d’évaluation des politiques publiques.

Ce haut niveau d’épargne inquiète aussi les sénateurs. « Je pense que l’on ne résoudra pas les difficultés dans lesquelles se trouve la France si l’on n’arrive pas à mobiliser l’argent de l’épargne, sachant qu’elle est détenue par une partie seulement des Français », alerte Jean-François Husson, le rapporteur général (LR) du Budget. Le contexte inflationniste et la stabilité des rémunérations semblent devoir alimenter cette tendance à l’épargne. « Il y a un contexte d’incertitude, peut-être d’incertitude sur l’avenir avec la réforme des retraites », propose Sandrine Duchêne. « Le moral des ménages est au plus bas, encore plus bas que pendant la période covid. Quand vous avez un moral aussi faible, généralement, ce n’est pas à ce moment-là que vous allez puiser dans votre épargne », abonde Éric Heyer.

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