Et de trois. Le Sénat va débattre pour la troisième fois, en moins d’un an, de l’opportunité d’allouer une fraction de l’épargne réglementée vers le financement de l’industrie de défense française, en particulier de ses petites et moyennes entreprises. Un texte porté par la majorité sénatoriale de droite et du centre (le RDSE et Renaissance figurent également dans les cosignataires) va être débattu en séance le 5 mars. Il vise à orienter une partie des ressources collectées au titre du livret A et du livet de développement durable et solidaire (LDDS) au financement des entreprises de la défense.
Bon connaisseur de ces problématiques, l’auteur de la proposition, le sénateur LR Pascal Allizard, met en évidence depuis plusieurs années dans des rapports parlementaires, la difficulté de ce tissu d’entreprises à accéder au financement bancaire. L’industrie de la défense en France peine à attirer les capitaux nécessaires à son développement, à l’heure où les gestionnaires de fonds tiennent de plus en plus compte des critères ESG (critères environnementaux, sociaux et de gouvernance).
Deux censures en 2023, sur la forme
Le Sénat n’en est pas à son coup d’essai sur la question. Au moment des débats sur la loi de programmation militaire 2024-2030 en juin 2023, une large partie du Sénat avait introduit par amendement un article pour créer un « livret d’épargne souveraineté », pour doper le financement de l’industrie de défense en France. Dans un compromis avec les députés, les sénateurs se sont finalement accordés sur une mobilisation d’une partie de l’encours du livret A vers l’industrie de défense. Mais le Conseil constitutionnel avait censuré la disposition, pour un motif de procédure, puisque celle-ci n’entrait pas dans les contours de ce projet de loi.
Bis repetita lors du débat budgétaire de fin d’année. Les sénateurs avaient réintroduit dans le projet de loi de finances cette disposition, sous la forme d’une allocation d’une fraction des encours du livret et du LDDS. Là encore, les Sages ont écarté cet ajout, le jugeant hors du périmètre d’une loi de finances.
En revenant à l’offensive via un texte entièrement consacré à cette réforme, Pascal Allizard écarte ainsi le risque de revivre la sanction du juge constitutionnel. Cette troisième tentative reprend, comme en décembre dernier, le principe d’allouer une partie des fonds du livret A vers les entreprises du secteur de la défense, en particulier les PME.
Les travaux en commission ont confirmé ce choix. Pourtant, à l’aube de l’examen de la LPM l’an dernier, l’idée de la création d’un livret entièrement dédié à la défense prévalait. C’était d’ailleurs l’une des recommandations du rapport de Pascal Allizard (LR) et Yannick Vaugrenard (PS), en mai 2023.
Le financement du logement social ne sera pas impacté
« D’entrée de jeu, je me suis vraiment posé la question. Après y avoir longtemps réfléchi, j’ai considéré qu’un livret dédié n’assurait pas un minimum d’efficacité », nous indique Dominique de Legge (LR), rapporteur de la proposition de loi de Pascal Allizard. Le sénateur d’Ille-et-Vilaine évoque notamment les volumes « abondants » colletés au titre du livret A et du LDDS. Leur encours a progressé en janvier de 3,25 milliards d’euros, pour atteindre 568,1 milliards, soit 9 % de plus en un an.
Précisons que le texte sénatorial n’agira que sur la part non centralisée des ressources collectées au titre du livret A et du LDDS, soit « environ 40 % de l’encours ». « Cette mesure n’aura aucune conséquence sur le financement du logement social », insiste donc l’auteur de la proposition, dans l’exposé des motifs.
Les socialistes veulent un livret d’épargne « défense souveraineté »
En commission, les sénateurs ont adopté un amendement du rapporteur afin de ne pas affecter la part des financements allouée aux projets de transition énergétique ou relatifs à l’économie sociale et solidaire. « Comme l’objectif, c’est bien d’accompagner les petites et moyennes entreprises, je préférais que l’on propose la création, au sein de l’objectif des PME, la création d’un sous-ensemble », détaille Dominique de Legge.
Une autre modification importante consiste à préciser explicitement que le soutien aux industries de défense fait partie des missions de la Banque publique d’investissement. À travers une demande de rapport, les sénateurs encouragent par ailleurs le gouvernement à se pencher sur des réformes au niveau européen, la Banque européenne d’investissement (BEI) étant particulièrement cadenassée en matière de financement en faveur de la défense.
Le groupe socialiste n’est pas exactement sur la même longueur d’onde, puisqu’il réclame la création d’un livret ad hoc. Rachid Temal a déposé le 20 février une proposition de loi en ce sens. « Il y a une question de cohérence dans la durée. Le rapport Vaugrenard-Allizard préconisait un livret d’épargne dédié, je m’inscris dans la longue file des travaux du Sénat. Restons sur cette idée-là », encourage le sénateur du Val-d’Oise, convaincu qu’un livret « d’épargne défense souveraineté » dispose d’une « vertu pédagogique ». Lors de l’examen en commission des finances, les socialistes ne sont pas parvenus à modifier la proposition de Pascal Allizard.
Deux approches différentes entre Sébastien Lecornu et Bruno Le Maire
De son côté, le gouvernement n’a pas d’approche harmonisée dans ce débat, entre d’un côté les partisans d’un élargissement des missions dévolues au livret A, et de l’autre, ceux favorables à la naissance d’un nouveau livret spécifiquement réservé aux questions de défense. En novembre, le ministre des Armées Sébastien Lecornu avait salué, lors des débats sur le projet de loi de finances, le fléchage d’une partie des fonds du livret A. « C’est une bonne nouvelle pour notre souveraineté, pour la réindustrialisation et pour la défense ! », avait-il applaudi.
À Bercy, le véritable interlocuteur dès lors qu’il est question d’épargne réglementée, le vote des parlementaires n’avait pas du tout été accueilli de cette façon. « Ce n’est pas mon choix. On peut trouver d’autres façons de financer l’effort de défense, qui est indispensable. Le livret A, pour moi, c’est le logement social », avait averti Bruno Le Maire, le ministre de l’Economie et des Finances.