PARIS: Bercy, le Ministere de l Economie et des Finances

Lutte contre la fraude sociale et fiscale : le gouvernement va s’inspirer des travaux du Sénat

Lundi soir, Emmanuel Macron a promis « des annonces fortes, dès le début du mois de mai contre toutes les fraudes qu’elles soient sociales ou fiscales ». Il y a 15 jours, le ministre des Comptes publics, Gabriel Attal a indiqué qu’il s’inspirerait des travaux du Sénat pour la mise en œuvre « d’un plan complet de lutte contre les fraudes ».
Simon Barbarit

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« Lutter contre toutes les fraudes qu’elles soient sociales ou fiscales sera au cœur de l’action du gouvernement, avec des annonces fortes dès le début du mois de mai ». Ces mots prononcés par le chef de l’Etat lundi soir, lors de son allocution télévisée, ne constituent pas un nouvel engagement mais plutôt la répétition d’une promesse passée. En effet, depuis plusieurs mois un groupe de travail, rassemblant des parlementaires de différents bords politiques a été mis en place par Gabriel Attal afin de définir « un plan complet de lutte contre les fraudes ». Trois réunions ont eu lieu, deux sur la fraude fiscale et une sur la fraude sociale.

Le 12 avril dernier, lors des questions d’actualité au gouvernement du Sénat, le ministre des Comptes publics, avait indiqué que ce plan qui entend lutter contre la fraude fiscale, sociale mais aussi douanière serait présenté « dans les prochaines semaines ». « Pour préparer ce plan, je me suis inspiré de beaucoup de travaux sénatoriaux », assurait-il.

Jean-François Husson, sénateur LR, auteur d’un rapport sur la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, présenté en octobre, a fait partie de ce groupe de travail, et confie à publicsenat.fr que le plan du gouvernement devrait se traduire par un projet de loi. « J’ai eu Gabriel Attal au téléphone, il y a quinze jours et c’est en tout cas ce qu’il m’a dit ».

La sénatrice, centriste, Nathalie Goulet qui a fait partie comme Jean-François Husson du groupe de travail, salue l’intention de Gabriel Attal. « Ce ne sera pas le grand soir. Mais on ne peut demander des efforts aux Français comme on l’a fait avec la réforme des retraites quand il y a des gens qui trichent. Il faut un projet de loi. On ne peut pas attendre que les mesures apparaissent dans le prochain budget », estime cette spécialiste des questions de fraudes.

« On sous-entend qu’on donne trop de prestations sociales aux Français d’origine étrangère »

Mais la lutte contre la fraude classée sous l’appellation « justice » parmi les chantiers prioritaires d’Emmanuel Macron insurge déjà l’opposition de gauche. En effet, invité de BFM-TV, ce mardi, le ministre des Finances, Bruno Le Maire a axé cette lutte contre la fraude aux prestations sociales évoquant une fraude de la part de personnes qui renverraient des aides sociales « au Maghreb ».

« Chers compatriotes musulmans ou originaires comme moi du Maghreb, préparez-vous. Pour faire diversion le gouvernement annonce par la voix de Bruno Le Maire, une nouvelle campagne pour vous montrer du doigt », a tweetté Jean-Luc Mélenchon.

Quelque peu à contrecourant des idées de sa famille politique, Jean-François Husson est également gêné par cette priorité accordée par Bercy. « On voit quand même le mélange des genres que ça peut induire chez les Français. On sous-entend qu’on donne trop de prestations sociales aux Français d’origine étrangère. Il faut prendre les choses dans le bon ordre et lutter d’abord contre la fraude fiscale et douanière qui sont sans commune mesure en matière de préjudice pour l’économie et les intérêts de la France ».

La difficile évaluation de la fraude aux prestations sociales

Le montant du préjudice de la fraude aux prestations sociales est un débat qui avait occupé l’actualité il y a quelques années. En décembre 2018, un magistrat spécialisé dans la fraude fiscale et sociale, Charles Prats, avait évalué à 14 milliards d’euros annuels, le montant des escroqueries aux prestations sociales liées à l’existence de faux numéros d’immatriculation de personnes nées à l’étranger, françaises ou non. Quelques mois plus tard, un rapport de la commission des affaires sociales du Sénat l’avait largement sous-évalué entre 117 et 138,6 millions d’euros par an. En 2019, un rapport de la Cour des comptes estimait à 1 milliard, les préjudices subis ou évités par les principaux organismes sociaux.

Le sénateur communiste, Éric Bocquet, également spécialiste des questions de fraudes fiscales et qui a participé au groupe de travail se refuse « de faire ce trait d’égalité entre la fraude fiscale et la fraude sociale. Elles n’ont pas les mêmes conséquences sur le budget de la Nation. On parle quand même de 60 à 80 milliards de manques à gagner par an pour la fraude fiscale ».

Le sénateur communiste rappelle également le taux de non-recours aux prestations sociales par les personnes qui pourraient en bénéficier. La DREES (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques) l’évalue à 34 %, soit 3 milliards de montants non versés par an.

« Quand on travaille sur ce sujet, il n’y a pas de petites avancées. Je suis d’accord avec Gabriel Attal quand il dit qu’on ne peut pas opposer les fraudes. Je regrette simplement qu’il ait fallu quatre ans pour interdire le versement des prestations sociales sur les comptes non-européens », estime, pour sa part, Nathalie Goulet qui avait fait adopter une proposition de loi en ce sens début 2021.

La sénatrice centriste s’était aussi émue il y a quelques semaines des perquisitions menées par les magistrats du parquet national financier (PNF) auprès de cinq banques implantées en France, soupçonnées d’avoir eu recours à une fraude à l’arbitrage des dividendes. Alors que depuis plusieurs années, contre l’avis du gouvernement, Nathalie Goulet dépose des amendements au budget pour lutter contre cette pratique dénommée « CumCum » et qui aurait coûté en vingt ans au moins 33 milliards d’euros aux finances publiques françaises.

A la demande du groupe communiste, un débat se tiendra d’ailleurs au Sénat sur la réponse à apporter au phénomène mondialisé des fraudes fiscales aux dividendes, le 2 mai.

« Un renforcement massif des moyens du service d’enquête judiciaire des finances »

Devant le Sénat le 12 avril dernier, Gabriel Attal a promis « un renforcement massif des moyens du SEJF, le service d’enquête judiciaire des finances ». « C’est un problème. Nous avons un durcissement des contrôles sociaux par l’Etat et les départements. Et dans le même temps, un affaiblissement préoccupant du contrôle fiscal. Entre 2008 et 2019, nous sommes passés de 52 000 à 45 000 contrôles annuels sur place, de 1 million à 440 000 contrôles sur pièces. Et la DGFIP (Direction générale des Finances publiques) a perdu 3000 emplois en 20 ans », rappelle Éric Bocquet.

Le rapport de Jean-François Husson relevait en octobre dernier que la France n’était pas suffisamment dotée en moyens de contrôle. « L’administration fiscale parvient-elle à récupérer 10 %, 20 % ou 50 % des montants fraudés ? », s’interrogeaient les membres de la mission.

Fraude à la TVA : entre 20 et 25 milliards d’euros de manque à gagner par an

Parmi les autres fraudes étudiées par les sénateurs, figurait celle à la TVA en ligne, troisième impôt le plus fraudé en France. En 2018, près de 98 % des vendeurs étrangers passant par des plateformes comme Amazon ou Cdiscount n’étaient pas immatriculés à la TVA. En 2021, les montants recouvrés au titre du contrôle fiscal sur la TVA s’élevaient à 904 millions d’euros, bien moins des estimations à la fraude de l’Insee qui la chiffre à entre 20 et 25 milliards d’euros par an. Nathalie Goulet ne comprend toujours pas pourquoi la France refuse de se doter d’un logiciel de détection utilisée par de nombreux pays européen et qui permettrait de croiser les données. « Le gouvernement préfère, on ne sait pourquoi, un logiciel maison. C’est une position qui ne se justifie pas ».

Le rapport de Jean-François Husson dessinait six recommandations pour lutter contre la fraude à la TVA, parmi lesquelles celle de « l’automatisation des échanges de données entre la Douane et la DGFiP, dans le cadre du processus de révision de leur protocole de coopération » ou « permettre aux agents de la Douane d’accéder automatiquement aux informations relatives au pays de résidence fiscale des voyageurs lors de la procédure de détaxe sur la TVA ».

Or, une décision récente du Conseil constitutionnel a censuré l’article 60 du code des douanes. C’est sur la base de cet article que les agents peuvent procéder à la fouille des marchandises, des transports et des personnes. Le 24 mai prochain, le Sénat examinera un projet de loi visant à la réécriture de cet article.

Nathalie Goulet demande également à ce que soient mises sur la table les conventions fiscales passées avec les pays du Golfe ». « J’ai posé récemment une question au ministre des Finances pour connaître le manque à gagner pour le budget de la France de ces conventions. Il m’a répondu que le montant était fixé dans un rapport annexé au budget de 2015. Nous n’avons pas eu d’évaluation depuis. Et mon amendement en ce sens a été rejeté lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2023 ».

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