Le sénateur LR Jean-François Husson estime qu’il faut « aller vite sur la loi spéciale » et ensuite « se remettre au travail rapidement » pour doter la France d’un budget.
Lutte contre la fraude : l’arbitrage des dividendes dans le collimateur des parlementaires
Par Alexis Graillot
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Six ans après les révélations du scandale des « CumCum » et des « CumEx », pratiques d’optimisation (pour les CumCum) et de fraude fiscale (pour les CumEx), la France va-t-elle enfin se doter d’un arsenal législatif pour faire face à ces pratiques, qui engendrent un manque à gagner important pour les finances publiques ? C’est en tout cas le souhait émis par de nombreux députés et sénateurs, issus de la quasi-totalité de l’échiquier politique.
Réunies en conférence de presse ce jeudi 2 mai, les deux rapporteures des deux chambres, Charlotte Leduc pour l’Assemblée Nationale, et Nathalie Goulet pour le Sénat, ont dénoncé « des pertes de 140 milliards d’euros sur 20 ans pour les Etats européens », dont 3 milliards par an rien que pour la France. Une aubaine à l’heure où le gouvernement cherche à dégager de nouvelles économies… mais aussi de nouvelles recettes, à l’image des annonces de Bercy, également ce jeudi, pour améliorer le recouvrement des redressements frauduleux.
Des pratiques qui « minent le consentement à l’impôt »
Taxés entre 15 et 30 % en France, les dividendes correspondent aux titres de propriété possédés par une entreprise cotée en Bourse. Pour comprendre ce que l’on entend par « CumCum » et « CumEx », procédons par exemple.
Dans le cas d’un CumCum, une telle pratique n’est rendue possible que pour les actionnaires étrangers. Imaginons ici un investisseur établi aux Etats-Unis qui possède des actions au sein d’une entreprise française. Quelques temps avant le versement des dividendes par la firme, l’investisseur va procéder au transfert de ces actions dans les mains d’un autre actionnaire, résidant dans un pays avec qui la France a signé une convention fiscale favorable exonérant de cet impôt. Le jour du versement des dividendes par l’entreprise française, ceux-ci vont ainsi revenir à ce dernier actionnaire, qui grâce à la convention fiscale dont dispose le pays où il est établi, ne va payer aucun impôt. Cet actionnaire va pouvoir ainsi reverser tranquillement les fruits des dividendes au premier investisseur, lui faisant économiser le montant de l’impôt. Une pratique d’optimisation aujourd’hui légale.
Dans le cas des CumEx, on parle en revanche de fraude. Ici, ce sont plusieurs investisseurs, qui sur un laps de temps très court, avant le versement des dividendes, vont s’échanger un nombre d’actions extrêmement important, si bien que l’administration fiscale se retrouve dans l’incapacité de connaître le véritable titulaire de l’action. Un de ces investisseurs frauduleux, va ainsi demander à l’administration fiscale, un remboursement de l’impôt sur les dividendes qu’il n’a même pas payé, au titre qu’il serait le propriétaire de l’action, préalablement détachée (NDLR : jour où la titularité de l’action est établie). Une pratique aujourd’hui interdite.
« Il y a urgence en termes de justice fiscale », explique Charlotte Leduc, qui juge que ces pratiques « minent le consentement à l’impôt ».
Un amendement présenté chaque année au Sénat depuis 2019, à l’occasion du projet de loi de finances (PLF)
Malgré cette interdiction, les élues expliquent que ces pratiques « continuent à être utilisées à grande échelle par les actionnaires et les banques françaises », dans un contexte où « l’évasion fiscale est un fléau majeur qui coûte chaque année entre 80 et 120 milliards d’euros aux finances publiques ». Contactée, la sénatrice centriste de l’Orne, Nathalie Goulet, nous rappelait ce jeudi, que cela correspondait à « 2 fois le budget de l’Education nationale et plus de 8 fois le budget du ministère de la Justice ».
Dénonçant le « refus systématique des gouvernements successifs de prendre en compte le sujet », alors que le montant de la fraude est estimé à 3 milliards d’euros, la sénatrice pointe le manque à gagner pour l’Etat, dans un contexte de préoccupation majeure sur les finances publiques : « Je ne suis pas sûre que notre budget puisse s’en passer », explique-t-elle, précisant que la proposition de loi a récolté au Sénat, « environ 70 signatures », « dont les trois présidents des trois principaux groupes d’oppositions » (NDLR : Patrick Kanner pour les socialistes, Guillaume Gontard pour les écologistes, et Cécile Cukierman pour les communistes).
Si une proposition de loi a mis si longtemps à émerger, ce n’est pas vraiment du fait de la volonté politique de l’élue de l’Orne, qui depuis 2019, dépose lors de l’examen du projet de loi de finances, un amendement reprenant le contenu de l’actuelle proposition de loi, visant à prohiber ces pratiques. Un dispositif « adopté à l’unanimité » il y a cinq ans, « mais largement amoindri à l’Assemblée nationale » dans la foulée, en raison du peu d’entrain de la majorité présidentielle sur le texte, disposant alors d’une majorité très large.
Un dispositif « simple », « efficace » et « entendable »
Pour autant, la donne semble assez différente cette fois-ci, au regard du changement de composition de l’Assemblée, et du large consensus partisan dont elle bénéficie, y compris chez certains parlementaires dans la majorité. Un constat relayé par la députée LFI de la 3e circonscription de Moselle, Charlotte Le Duc, qui a déposé le texte au palais Bourbon… mais également par Nathalie Goulet, qui confiait ce jeudi, avoir « bon espoir » sur l’adoption du texte.
Sur le fond, la proposition de loi, composée de deux articles, s’attaque respectivement aux pratiques de « CumCum » et de « CumEx ». L’article 1 « élargit considérablement la retenue à la source de l’impôt sur les dividendes afin d’y englober tous les cas, pour les actions et l’ensemble des produits dérivés, et sans limite de temps autour du versement des dividendes », contre 90 jours aujourd’hui, un délai que l’élue insoumise juge « inopérant ». Sur le modèle belge, le texte inverse la charge de responsabilité, qui repose désormais sur l’investisseur, et non plus sur l’Etat : « Charge ensuite à la personne établie dans un pays ayant une convention fiscale favorable avec la France, de prouver qu’elle est bien le bénéficiaire effectif de ce versement, afin d’obtenir le remboursement de la retenue à la source », explique Charlotte Leduc. L’article 2 « s’attaque au schéma des CumEx en interdisant qu’un remboursement de la retenue à la source ait lieu sans que l’administration fiscale ait pu au préalable, vérifier l’effectivité de cette retenue ». Un dispositif « simple », « efficace » et « entendable », résume Nathalie Goulet, qu’elle schématise en une formule : « On prend l’argent dans la poche des voleurs, pas des contribuables ».
Alors que le texte peut être mis à l’ordre du jour par les parlementaires à l’occasion d’une « niche », la sénatrice de l’Orne se montre « favorable à laisser un autre groupe l’inscrire dans sa niche et « récupérer » la proposition ». « Je n’ai pas d’amour-propre d’auteure, mais un amour-propre de contribuable », signale-t-elle, faisant état du projet de loi antifraude, qui devrait être présenté par le gouvernement début octobre, et que nous vous résumions ce jeudi. Malgré le soutien de quelques députés de la majorité, reste à savoir si le gouvernement inclura cette proposition. Sur ce point, Charlotte Leduc se veut prudente : « Il n’y a pas de rupture de discussion avec le ministère », précise la députée, « mais on sent poindre les arguments de la fédération bancaire française, qui fait pointer un très fort lobbying ». Les prochaines semaines devraient en tout cas s’avérer décisives.
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