Bercy

Lutte contre la fraude fiscale et sociale : le gouvernement est « encore loin du compte », selon les sénateurs

Le ministre délégué aux Comptes publics, Thomas Cazenave a indiqué vouloir miser sur le plan de lutte contre la fraude pour aller « chercher des recettes supplémentaires » alors que le gouvernement vient d’annoncer 10 milliards d’euros d’économies supplémentaires dès cette année. Plusieurs nouvelles mesures de lutte contre la fraude fiscale, sociale et douanière vont s’appliquer cette année, mais demeurent insuffisantes pour les sénateurs.
Simon Barbarit

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Faute à la croissance moins élevée que prévu par le gouvernement dans son projet de loi de finances 2024, l’heure est de nouveau à la réduction des dépenses publiques. 10 milliards exactement, comme l’a annoncé, lundi, le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire. Des économies qui doivent porter sur une réduction du budget de l’Etat et celui consacré à la Transition écologique. Sur France Inter, ce mardi, le ministre des Comptes publics a également esquissé une piste de recettes. « Il y a des recettes supplémentaires à aller chercher en appliquant la fiscalité telle qu’elle existe. Moi, je mets en œuvre un plan (contre la fraude) initié par mon prédécesseur, Gabriel Attal », a-t-il rappelé.

En effet, annoncé par le chef de l’Etat en avril dernier et détaillé en mai dernier par Gabriel Attal, alors ministre délégué aux Comptes publics, le plan de lutte contre la fraude fiscale, sociale et douanière s’inspirait des travaux du Sénat et devait déboucher sur un projet de loi. « On attend toujours le projet de loi. Mais, j’ai confiance », espère la sénatrice centriste, Nathalie Goulet, spécialiste des questions fiscales.

En attendant, les nouveaux outils de lutte contre la fraude ont été votés dans le cadre du budget 2024. « Depuis, le 1er janvier, on a 18 mesures supplémentaires pour mieux lutter contre la fraude fiscale, sociale, douanière », a souligné le ministre, citant, « les enquêtes sur Internet », « les aviseurs fiscaux », « le délit d’incitation à la fraude fiscale et sociale ».

Cette année, les agents du fisc vont avoir la possibilité de traquer les fraudeurs sur les réseaux sociaux en utilisant de faux comptes, dans le cadre d’enquêtes sous pseudonyme. Le projet de loi de finances 2024 a aussi pérennisé le dispositif des aviseurs fiscaux, qui prévoit la rémunération de toute personne fournissant des renseignements permettant de détecter des fraudes fiscales de grande ampleur.

« Paradis fiscaux : « Le gouvernement ne désigne pas l’adversaire »

Thomas Cazenave a d’ailleurs rappelé que la lutte contre la fraude fiscale avait permis à l’Etat de récupérer 11 milliards d’euros, l’année dernière. « On est loin du compte quand on sait que la fraude fiscale représente un manque à gagner pour l’Etat compris entre 60 et 100 milliards d’euros chaque année », souligne le sénateur communiste Éric Bocquet, lui aussi spécialiste des questions de fraudes fiscales. L’idée de Gérald Darmanin en 2018 d’un Observatoire de la fraude fiscale, destinée à évaluer l’ampleur du phénomène, avait semblé séduire dans un premier temps, Gabriel Attal. A l’automne, c’est finalement un « Conseil d’évaluation des fraudes » qui a été lancé par Thomas Cazenave. Il est composé d’une trentaine de représentants de l’administration, parlementaires, experts internationaux, économistes ou autorités indépendantes. Éric Bocquet regrette que seuls les présidents et rapporteurs des commissions des finances des deux chambres y siègent. « J’aurais aimé qu’il soit élargi à l’ensemble des parlementaires des commissions des finances, plus on est nombreux et mieux c’est pour évaluer la fraude ». Le sénateur communiste regrette surtout que le gouvernement « ne désigne pas l’adversaire qui sont les paradis fiscaux comme Malte, Chypre ou le Luxembourg et ne revienne pas sur les conventions fiscales passées avec ces pays. L’affaire OpenLux révélée par le journal Le Monde en février 2021 a fait état de l’existence de 55 000 sociétés offshore au Luxembourg dont 17 000 étaient détenues par des Français. J’ai écrit récemment à Bruno le Maire pour connaître les suites données à ces révélations. Je n’ai pas eu de réponse », déplore le sénateur qui s’entretiendra avec Thomas Cazenave sur ce sujet de la fraude, le 28 février, en marge des questions d’actualité au gouvernement.

Fraude aux cotisations : un manque à gagner de 9 milliards

« Il y a eu des avancées sur la lutte contre la fraude douanière, des petites avancées sur la lutte contre la fraude sociale avec la fin du versement de prestations liées au domicile en France sur des comptes à l’étranger. Mais ce n’est pas assez », appuie Nathalie Goulet. La sénatrice de l’Orne a récemment interpellé le gouvernement lors des questions au gouvernement sur les implications réforme de la solidarité à la source qui va automatiser le versement de certaines prestations, afin de mettre fin aux situations de non-recours aux droits. « Avant de passer au paiement direct, il faut d’abord s’assurer que la base de données des bénéficiaires soit sécurisée », alerte-t-elle. Un rapport du Sénat publié en juillet dernier s’inquiétait déjà de la « fiabilité des données » utilisées par le nouveau système pour procéder aux versements des prestations. Le Sénat recommandait d’avoir recours à des logiciels de paie labellisés et un renforcement des contrôles.

Également difficile à évaluer, le montant du préjudice de la fraude sociale est un débat récurrent en France depuis plusieurs années. En décembre 2018, un magistrat spécialisé dans la fraude fiscale et sociale, Charles Prats, avait évalué à 14 milliards d’euros annuels, le montant des escroqueries aux prestations sociales liées à l’existence de faux numéros d’immatriculation de personnes nées à l’étranger, françaises ou non. Quelques mois plus tard, un rapport de la commission des affaires sociales du Sénat l’avait largement sous-évalué entre 117 et 138,6 millions d’euros par an. En 2019, un rapport de la Cour des comptes estimait à 1 milliard, les préjudices subis ou évités par les principaux organismes sociaux.

La fraude sociale ne porte pas uniquement sur la fraude aux prestations sociales. La fraude aux cotisations sociales (travail dissimulé, la sous-déclaration du chiffre d’affaires) représente 8,5 milliards de manque à gagner selon un rapport de la Cour des Comptes en 2019. Dans son bilan 2023, le Haut conseil du financement de la protection sociale (HCFIPS), un organisme rattaché à l’Urssaf évaluait cette fraude à 9 milliards, relevant ainsi une « stabilité » de ce phénomène sur les 10 dernières années. « Les taux de travail dissimulé les plus élevés sont constatés dans les secteurs de la construction et de l’hôtellerie-restauration », soulignait le rapport.

 

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