Bercy

Lutte contre la fraude fiscale : « Des oublis et des insuffisances », pointent les sénateurs

Mise en place d’un conseil d’évaluation des fraudes, création d’une nouvelle sanction d’indignité fiscale pour les gros fraudeurs, recrutement de 1 500 effectifs d’ici 2025 en charge du contrôle et de la lutte contre la fraude… Gabriel Attal a présenté ce mardi son plan contre la fraude fiscale qui laisse sur leur faim les parlementaires spécialistes du sujet.
Simon Barbarit

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Annoncé par Emmanuel Macron lors de sa dernière allocution télévisée, esquissée par Gabriel Attal la semaine dernière au Sénat lors d’un débat sur les fraudes fiscales aux dividendes, le gouvernement a présenté, ce mardi, une série de mesures constituant le premier volet de son plan contre la fraude fiscale et douanière.

L’objectif affiché par le ministre délégué aux Comptes publics dans le journal le Monde est de cibler les fraudeurs les plus riches. « D’ici à la fin du quinquennat, les contrôles fiscaux sur les plus gros patrimoines augmenteront de 25 %. Et les cent plus grandes capitalisations boursières feront désormais l’objet d’un contrôle fiscal tous les deux ans », promet-il.

La lutte contre la fraude passera par « plus de moyens » et « plus de sanctions », a-t-il ajouté lors d’une visite au Service d’enquête judiciaire des finances (SEJF), à Ivry-sur-Seine.

« J’imagine bien le patron de Google aller repeindre la trésorerie d’Armentières »

Le ministre ne part pas d’une feuille blanche. Depuis des mois, un groupe de travail, rassemblant des parlementaires de différents bords politiques, était en charge de lui faire des propositions. Ce qui n’empêche pas certains de ses membres de tiquer à l’annonce de certaines mesures, comme la création d’une sanction d’indignité fiscale et civique. Elle consiste à priver les gros fraudeurs de réduction ou crédit d’impôt mais également de leur droit de vote pendant un certain temps. Pour les fraudes n’entraînant pas de peine de prison, l’amende infligée pourrait s’accompagner de travaux d’intérêt généraux. « En plus de payer son amende, le gros fraudeur fiscal ira repeindre le centre des impôts », prend comme exemple le ministre.

« On pousse le bouchon un peu loin. On voit que le gouvernement navigue à vue au gré des mouvements d’opinion. C’est dommage et un peu pitoyable », tance Jean-François Husson, sénateur LR, auteur d’un rapport sur la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, présenté en octobre, qui a fait partie de ce groupe de travail.

Le sénateur communiste, Éric Bocquet, également spécialiste des questions de fraudes fiscales lui aussi membre du groupe de travail, préfère le prendre avec le sourire. « J’imagine bien le patron de Google aller repeindre la trésorerie d’Armentières ».

Le sénateur du Nord préférait « une vraie pénalisation » des fraudeurs qui passerait, selon lui par la suppression des CGIP (convention judiciaire d’intérêt public). Une mesure d’alternative aux poursuites -une amende- proposée par le procureur de la République. « J’ai un désaccord avec le ministre sur ce point. Il considère que les procédures judiciaires sont longues et incertaines et qu’il vaut mieux récupérer un peu d’argent que pas du tout ».

Doublement des effectifs d’enquête : une proposition du Sénat rejetée par le gouvernement l’année dernière

Pour sanctionner, il faut des moyens. « 1.500 effectifs supplémentaires » étofferont les équipes de la Direction générale des Finances publiques (DGFiP) d’ici à 2027.

Le SEJF (le service d’enquête judiciaire des finances) va devenir l’Office national anti-fraude (ONA) et le nombre de ses officiers fiscaux judiciaires, une quarantaine actuellement, sera doublé. Là encore, l’annonce laisse un goût amer du côté de la Haute assemblée. Et pour cause, elle est issue du rapport d’information de la commission des finances remis en octobre dernier. Le rapporteur général du budget, Jean-François Husson l’avait traduit en amendement au projet de loi de finances 2023 et s’était heurtée au rejet du gouvernement.

« Il n’y aura pas de grand soir contre la fraude, ni même un petit matin »

Pour lutter contre la fraude, il y a la nécessité de l’évaluer. Gabriel Attal recycle pour cela une proposition de son prédécesseur Gérald Darmanin qui en 2018 lançait l’idée d’un Observatoire de la fraude fiscale. L’idée avait finalement été abandonnée. « Je suis favorable effectivement à ce qu’il y ait une instance indépendante […] qui permette de mettre autour de la table un certain nombre d’acteurs pour évaluer plus finement ce que recouvre la fraude dans notre pays », avait indiqué Gabriel Attal la semaine dernière au Sénat. L’instance sera baptisée « Conseil de l’évaluation des fraudes ». Elle sera présidée par le ministre délégué chargé des Comptes publics, il rassemblera les administrations compétentes, des personnalités qualifiées, des experts indépendants et des parlementaires « afin de s’assurer de la fiabilité des estimations produites », précise le communiqué de Bercy. La fraude fiscale représente un manque à gagner pour la France estimé dans une fourchette large de 80 à 100 milliards d’euros par an.

Le ministre s’est également montré favorable à la création d’une COP fiscale pour lutter contre la fraude au niveau international. « L’Observatoire et la COP fiscale sont des idées pertinentes. Pour le reste, il y a des oublis et des insuffisances. En premier lieu, le ministre ne cite pas la liste des paradis fiscaux en Union européenne. C’est un manque dommageable car si on ne cite pas le problème, on ne peut pas le traiter. Les conventions fiscales passées avec le Luxembourg, Chypre, Malte devraient par conséquent être revues », estime Éric Bocquet.

« C’est une communication, une orientation générale mais ce qui nous intéresse ce sera la réalité des actes. Au moins, le ton a un peu changé par rapport au mois dernier ou le gouvernement axait sur la lutte contre la fraude sociale qui n’est pas de même nature en termes de manque à gagner », rappelle Claude Raynal, le président socialiste de la commission des finances. Les mesures de lutte contre la fraude sociale sont attendues pour la fin du mois.

« Je suis gênée d’y avoir cru. Il n’y aura pas de grand soir contre la fraude ni même un petit matin », se désole la sénatrice centriste, Nathalie Goulet, spécialiste des questions fiscales en pointant un manque dans la lutte contre la fraude à la TVA, troisième impôt le plus fraudé en France.

Quel véhicule législatif ?

Gabriel Attal l’affirme dans les colonnes du Monde, il « ne court pas » après un grand projet de loi à son nom. Les mesures se déclineront par voie réglementaire, d’autres apparaîtront dans le projet de loi sur les douanes qui arrive en examen au Sénat dans quelques jours, et bien sûr dans le prochain projet de loi de finances. Or, Gabriel Attal avait évoqué il y a de cela quelques semaines à Jean-François Husson, un projet de loi spécifique. « C’est ce qui nous avait été annoncé. L’idée, c’était d’avoir un texte un peu symbolique sur la fraude aux dividendes, la fraude des ultra-riches… pour contrebalancer le refus du gouvernement de taxer les superprofits », confie Jean-François Husson. Gabriel Attal évoque désormais la possibilité d’un texte « ad hoc » mais porté par les parlementaires.

 

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