C’était un des points les plus attendus du discours d’Ursula von der Leyen sur l’état de l’Union, et il a pu en surprendre plus d’un. Ce mercredi matin, la présidente de la Commission européenne a annoncé l’ouverture d’une enquête sur les subventions publiques chinoises aux véhicules électriques, véhicules qui inondent le marché européen, aux prix « artificiellement bas ». Rembobinons.
« C’est la dynamique de la Chine qui est inquiétante pour les Européens »
La Chine s’est imposée, à bas bruit, comme l’acteur incontournable dans le marché des véhicules électriques. De la fabrication des composants à l’assemblage des voitures elles-mêmes, elle est aujourd’hui en très forte croissance sur un marché lui-même en pleine expansion. « C’est la dynamique de la Chine qui est inquiétante pour les Européens », précise Thomas Grjebine, économiste au CEPII. « En 2021, la part des véhicules chinois pesait moins d’1 % sur le marché européen. Cette année, elle est d’environ 3 %, voire 8 % pour les véhicules électriques vendus ».
« La Chine a mené une politique très agressive sur les voitures électriques »
La recette de ce succès fulgurant n’a rien de magique. La Chine a fait de l’exportation de voitures électriques une véritable stratégie commerciale : discriminations à l’encontre de productions étrangères, subventions, contrainte de l’accès aux marchés des composants contrôlés par les Chinois, transferts des technologies étrangères, et notamment allemandes, tous les outils sont bons. « La Chine a mené une politique très agressive sur les voitures électriques », analyse Thomas Grjebine, « en plus de subventions publiques massives, l’installation des constructeurs européens en Chine était conditionnée à des transferts de technologie ».
Mais si la stratégie chinoise est clairement identifiée, il est difficile de chiffrer précisément le phénomène. « La Chine subventionne les voitures électriques à tous les niveaux de la chaîne de production : matières premières, fabrication de batteries, assemblage, prix de l’énergie », explique Thomas Grjebine, « c’est très difficile de savoir précisément quel est le niveau de ces subventions, mais selon des estimations, les voitures chinoises arriveraient en Europe avec des coûts inférieurs de près de 20 % ».
Les constructeurs automobiles allemands sont fortement dépendants de la Chine
Les Etats-Unis, avant l’Union Européenne, ont décidé de se protéger en subventionnant fortement l’achat de véhicules électriques produits sur leur sol ou chez leurs alliés, comme le Canada, au travers de leur Inflation Reduction Act. Mais l’Union Européenne ne les avait pas imités, des tensions en interne l’empêchant de prendre une décision. En effet, les constructeurs automobiles allemands, à l’instar de Volkswagen et de BMW, ont fortement investi le marché chinois. A tel point qu’en 2019, « 40 % des ventes de Volkswagen et 25 % des ventes de BMW s’effectuaient en Chine », rappelle Thomas Grjebine.
La France, elle, poussait de son côté pour une réponse de l’Union Européenne. En effet, Emmanuel Macron, mais aussi Thierry Breton, le commissaire européen au marché intérieur ou encore le Sénat, via des amendements au projet de loi de finances pour 2023, ont proposé des mesures pour se prémunir de la domination chinoise sur le sujet.
Une réaction attendue
Il était donc temps que l’Union européenne se réveille. Concrètement, ce qu’a annoncé la présidente de la Commission prendra la forme d’une enquête qui devra déterminer si oui ou non la Chine subventionne les composants de ces véhicules. Et si ces subventions sont avérées, selon les règles dictées par l’Organisation mondiale du commerce (OMC), elle pourra prendre des mesures compensatoires, c’est-à-dire à augmenter ses droits de douane sur les produits incriminés. Ce genre de mesures n’est pas inédit en Europe, rappelle l’économiste. « 21 mesures de ce type sont actuellement en application dans l’Union européenne. Par exemple, le biodiesel en provenance d’Indonésie est actuellement visé avec un droit de 18 % », explique-t-il. « Des représailles chinoises sont possibles mais il faut souligner qu’il s’agit d’une forme de rééquilibrage. Sur la voiture électrique, l’Europe était très ouverte avec des droits de douane sur ses importations en provenance de Chine beaucoup plus faibles (10 %) que ceux des Etats-Unis (27,5 %) », rassure Thomas Grjebine.
Pour Christine Lavarde, sénatrice LR des Hauts-de-Seine et porteuse d’un amendement au projet de loi de finances pour 2023 visant à réduire le subventionnement à l’achat d’un véhicule électrique, en l’absence d’une filière française ou européenne, l’annonce d’Ursula von der Leyen est la bienvenue. « Il faut faire respecter les règles de la concurrence » affirme-t-elle. « En France, il y a des choses qu’on s’interdit pour ne pas fausser le marché. Si la Chine le fait, il n’y a pas de raison de ne pas le dénoncer et de ne pas prendre les mesures de rétorsion qui s’imposent ». Même l’Allemagne, pourtant opposée au départ à toute réponse européenne, s’est dite satisfaite de l’annonce de la présidente de la Commission.
Une filière de la voiture électrique 100 % européenne est-elle atteignable ?
Si l’Europe parvient, au terme de son enquête, à augmenter les droits de douane sur les voitures électriques chinoises, une question demeure : où s’approvisionnera-t-elle en véhicules électriques, alors que les véhicules thermiques sont voués à disparaître ? Les inquiétudes sont grandes quant à la capacité de l’Union Européenne, et plus particulièrement de la France, à installer une filière durable sur son territoire. « La stratégie de la France, c’est de développer une filière autour de la voiture électrique, et notamment de la batterie, qui représente 40 % de la valeur ajoutée d’une voiture électrique », explique Thomas Grjebine. « C’est pour cela qu’on développe un écosystème dans la ‘Vallée de la batterie’ dans le Nord, autour des giga factories, de centres de recherche, … L’Europe est en retard sur ces secteurs : le premier groupe dans le secteur de la voiture électrique, au niveau mondial, c’est l’américain Tesla. Le deuxième, c’est le chinois BYD. »
Les récentes annonces d’Emmanuel Macron et de Bruno Le Maire, qui souhaitent conditionner le versement d’un bonus à l’achat de véhicules électriques à des critères environnementaux vont dans cette direction. Pour Thomas Grjebine, « c’est une façon de contourner l’interdiction de clauses de contenu local, qui conditionnent les aides au fait de produire localement. Il s’agit donc d’une forme de ‘protectionnisme soft’ qui vise à favoriser les productions françaises et européennes, parce que le mix énergétique européen est plus propre ».
Une filière 100 % européenne de la voiture électrique est-elle atteignable ? La sénatrice LR des Hauts-de-Seine Christine Lavarde se veut optimiste : « Les constructeurs automobiles ont dégagé des résultats intéressants ces derniers mois, ils retrouvent des gains de compétitivité prix et qualité par rapport à leurs concurrents asiatiques. C’est encourageant ». Mais le chemin est encore long.