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Loi spéciale : pourquoi une saisine du Conseil constitutionnel est très improbable ?

Alors que le Parlement examinera le projet de loi spéciale, prévu pour assurer le financement des services de l’État, en l’absence de budget, plusieurs groupes politiques ont fait part de leur intention de déposer des amendements pour indexer sur l’inflation le barème de l’impôt sur le revenu. Le gouvernement démissionnaire a prévenu que la mesure inscrite dans ce texte serait inconstitutionnelle. Mais qui pour saisir le Conseil ?
Simon Barbarit

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En l’absence de budget pour 2025, le Parlement examinera la semaine prochaine le projet de loi spéciale prévu par l’article 45 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances. Ce projet de loi spéciale vise à assurer la continuité de la vie nationale et le fonctionnement régulier des services publics dans l’attente de l’adoption de la loi de finances initiale.

Dans la foulée de la présentation du texte en Conseil des ministres, mercredi, Laurent Saint Martin, était auditionné par les commissions des finances des deux chambres. Devant les sénateurs, le ministre démissionnaire des Comptes publics a rappelé fermement l’objet de la loi spéciale.

Le gouvernement s’appuie sur un avis du Conseil d’Etat

« Ce texte n’a qu’un seul objectif, qui délimite strictement son contenu : celui d’assurer, à titre exceptionnel et transitoire, la continuité de la vie de la nation ». La loi « ne permet donc pas de reconduire pour l’année suivante les dispositions fiscales qui arrivent à échéance à la fin de l’année 2024. Elle ne permet pas non plus de modifier le barème de l’impôt sur le revenu pour l’indexer sur l’inflation », a-t-il prévenu en réponse aux groupes politiques de l’Assemblée nationale, de la gauche au RN, qui comptent déposer des amendements pour que ce dispositif figure dans le texte.

Le gouvernement affirme que cette mesure serait inconstitutionnelle en s’appuyant sur un avis du Conseil d’Etat qui estime que l’indexation n’a pas sa place dans cette loi. Le texte doit uniquement reconduire les impôts existants.

Mais voilà, dans le contexte d’urgence budgétaire et de crise politique, la saisine du Conseil constitutionnel s’avère délicate voire improbable. En ce qui concerne une loi ordinaire, le contrôle de la conformité du texte à la constitution est facultatif. Seuls, le Président de la République, le Premier ministre, le président de l’une ou l’autre assemblée, soixante députés ou soixante sénateurs, peuvent saisir les Sages. Le président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, Boris Vallaud a fait part d’un accord avec les autres groupes pour ne pas saisir le Conseil constitutionnel sur cette mesure. Reste, le Président de la République ou le futur Premier ministre, et les présidents des deux chambres et c’est ce qu’a d’ailleurs rappelé le rapporteur général du budget à l’Assemblée nationale, Charles de Courson (Liot) qui s’est déclaré favorable à la mesure « sur le fond » « mais pas dans ce texte ». « Il n’y a pas que des groupes parlementaires qui peuvent saisir le Conseil constitutionnel. […] Ce n’est pas raisonnable alors qu’on est fondamentalement tous d’accord », a-t-il mis en garde.

« Nous avons besoin que le Conseil constitutionnel fixe un cadre »

« Qu’on soit d’accord ou non avec cette mesure, je trouve très dommageable pour le bon fonctionnement de l’Etat de laisser de côté, de manière aussi cavalière, le Conseil Constitutionnel », regrette, Mathieu Carpentier, professeur de droit public à l’université Toulouse 1. Nous sommes ici face à une situation inédite où se télescopent deux régimes juridiques. D’un côté, celui lui d’une loi spéciale rendue nécessaire pour permettre la continuité de la vie nationale au 1er janvier. Est-ce que le barème de l’impôt rentre dans ce cadre ? Même question pour ce qui concerne les mesures d’urgence qu’un gouvernement démissionnaire est habilité à prendre. Nous avons besoin que le Conseil constitutionnel fixe un cadre car la situation pourrait être amenée à se reproduire. On laisse filer une petite musique comme quoi ne pas adopter un budget ce n’est pas très grave », regrette-t-il.

Jusqu’à présent une seule une loi spéciale permettant au gouvernement de percevoir les impôts a été adoptée après la censure en 1979 du projet de loi de finances. Le texte était composé d’un article unique. La loi spéciale de 2024 en comporte trois.

« Que l’amendement soit censuré ou non dans la loi spéciale ne changerait rien pour les Français dans l’immédiat »

L’obstacle à la saisine est en réalité politique. Difficile pour un exécutif, dans un tel contexte d’instabilité, d’aller contre une mesure aussi populaire. « D’autant que le gouvernement a beaucoup communiqué en expliquant que faute de nouveau budget, et donc d’indexation du barème de l’impôt sur l’inflation, 380 000 nouveaux foyers se retrouveraient imposables en 2025. Il ne faut pas oublier que les déclarations d’impôts se font en mai et juin. D’ici là, un budget pour 2025, aura été adopté, probablement en février, avec la mesure sur l’indexation. Que l’amendement soit censuré ou non dans la loi spéciale ne changerait rien pour les Français dans l’immédiat », rappelle Vincent Dussart, professeur de droit public à l’Université Toulouse Capitole.

Le président de la commission des Finances de l’Assemblée, Éric Coquerel (LFI) n’a donc pas manqué de souligner sur franceinfo « que le gouvernement avait essayé de faire peur pour rien » après l’adoption de la motion de censure. Il précise que son amendement qui prévoit l’indexation du barème de l’impôt sur le revenu a seulement pour but de « sécuriser tout ça ».

Un autre angle d’attaque contre cet amendement reviendrait à invoquer l’article 40 de la Constitution avant même d’arriver au vote. « Les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique », dispose-t-il. A l’Assemblée nationale, c’est la présidente de la chambre, en l’occurrence Yaël Braun-Pivet, qui décide de la recevabilité financière d’un amendement déposé en vue de l’examen en séance.

Enfin, le Conseil constitutionnel ne peut pas non plus s’autosaisir. Seul un cas est prévu par la Constitution, lorsque l’article 16 qui donne des pouvoirs exceptionnels au chef de l’Etat est déclenché. Le contrôle du Conseil sur le respect des conditions exigées par la Constitution pour l’application de l’article 16, se fait de plein droit au bout de 60 jours.

 

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