La quatorzième et dernière journée de mobilisation contre la réforme des retraites, le 6 juin, sonnait comme un baroud d’honneur, les principaux leaders de l’intersyndicale actant à demi-mot la fin de la contestation, tout en se projetant vers l’après et d’autres combats. « On ne se contentera pas de sujets sur une liste, on veut des avancées sur l’emploi des seniors avec des contraintes pour les employeurs, on veut des avancées sur la pénibilité, on veut des avancées sur l’évolution des ordonnances de 2017. Ces sujets seront sur la table », avait martelé Laurent Berger, désormais ex-secrétaire général de la CFDT, au micro de Public Sénat. Un mois plus tard, le dialogue social est-il sur le point d’être renoué ?
À défaut d’avoir véritablement rouvert les discussions avec l’exécutif, les syndicats se sont accordés avec le patronat sur l’agenda social post-retraites, selon une information du quotidien Les Echos. Les organismes ont arrêté une liste de thématiques sur lesquelles ils se disent prêts à entamer des négociations, soit de manière autonome, soit, pour certains sujets, dans le cadre du périmètre défini par lettre de cadrage du gouvernement, comme le prévoit la loi de 2018.
Un retour en force des syndicats ?
Si l’intersyndicale n’a pas réussi à faire reculer le gouvernement sur les retraites, l’ampleur et la durée de la contestation ont fait la démonstration des capacités de mobilisation et de pression des syndicats, indéniablement sortis renforcés de cette séquence. Face aux représentants du patronat, qui ont accordé un soutien plutôt timoré à la réforme des retraites, mais également dans la salle du Conseil de l’hôtel Matignon, où sont d’ordinaire reçus les partenaires sociaux, le rapport de force pourrait bien ne plus être tout à fait le même.
« Pour l’heure, les discussions avec le gouvernement semblent toujours au point mort. Mais la situation pourrait s’ouvrir en septembre. Les syndicats, pour pouvoir discuter, devaient avoir la certitude qu’Élisabeth Borne serait maintenue au-delà des cent jours. Or, le président de la République a donné des gages en ce sens », note auprès de Public Sénat le politologue Jean-Marie Pernot, chercheur à l’Institut de recherches économiques et sociales (Ires) et spécialiste du dialogue social. « Les syndicats seront-ils porteurs d’un point de vue collectif ? Vont-ils maintenir l’intersyndicale ? Ils y travaillent, ce qui est assez nouveau. Cette dimension est à prendre en compte pour préjuger du poids qu’ils pourront avoir autour de la table. S’ils portent les questions ensemble, c’est un autre exercice qui s’annonce ».
Les questions de santé et de sécurité au cœur de l’employabilité des seniors
Parmi les thématiques brûlantes que souhaitent aborder rapidement les partenaires sociaux et le patronat : l’épineuse question de l’employabilité des séniors, intimement liée à la réforme des retraites, et pourtant évacuée manu militari du texte adopté le 17 mars par 49.3.
Le recul de l’âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans met en première ligne le problème du faible taux d’emploi des travailleurs âgés. En 2021, le taux de chômage des personnes de 55 à 64 ans était de 6,3 %, selon les données de la Dares – certes, un peu plus bas que celui des autres classes d’âge – mais pour un taux global d’emploi de 56 %, un chiffre bien en deçà de la moyenne européenne, à 60,5 %. Durant le parcours législatif de la réforme des retraites, les dispositions en faveur des seniors, comme l’index sénior, la visite médicale des 60 ans ou le CDI senior, modifications principalement apportées par le Sénat, se sont vues censurées par le Conseil constitutionnel car elles ont été considérées par les Sages comme autant de « cavaliers sociaux » au sein d’un texte de nature budgétaire.
Les partenaires sociaux et l’exécutif se retrouvent pour ainsi dire avec une page blanche sous les yeux, mais les débats de cet hiver amorcent différentes pistes de réflexion. Rappelons que le gouvernement s’était montré favorable à la mise en place de sanctions pour les entreprises qui ne respectent pas leurs engagements en ce qui concerne les salariés en fin de carrière. « L’une des questions sous-tendues par le maintien des seniors dans l’emploi est celle de la santé et de la sécurité au travail. Le risque étant que ce que l’on a gagné sur les retraites, on le repère in fine en dépenses de santé. On a vu que les mesures proposées pendant le débat parlementaire, notamment l’index senior, ne jouent pas énormément sur ces deux éléments. Les syndicats estiment qu’il faut toucher aux ordonnances Macron, ce que n’envisage pas le gouvernement », relève Jean-Marie Pernot.
Le compte épargne-temps
Par ailleurs, comme le rappellent Les Echos, la question de l’emploi des seniors et de l’allongement des carrières renvoie indirectement à l’instauration d’un compte épargne-temps universel (CET), une promesse de campagne d’Emmanuel Macron, qui s’inscrit dans une philosophie de portabilité des droits du salarié tout au long de sa carrière. L’idée du CET est de cumuler les jours de congé ou RTT non posés, pour pouvoir en profiter plus tard ou, éventuellement, les convertir en complément de rémunération. Certaines entreprises disposent déjà d’un CET. Si les syndicats, notamment la CFDT, sont plutôt favorables au dispositif, le patronat s’inquiète de l’impact que pourrait avoir ce système sur les PME. Les discussions s’annoncent donc tendues.
Toujours selon Les Echos, syndicats et patronat ont arrêté plusieurs dates pour les sujets sur lesquels ils peuvent discuter en autonomie, sans contrainte de la part de l’exécutif. Ainsi, la gouvernance des groupes de protection sociale devrait être au menu de l’été, avant que ne s’ouvre, à partir de septembre 2023, la négociation autour de l’accord national interprofessionnel sur le pilotage de la retraite complémentaire Agirc-Arcco. La révision de cet accord intervient tous les quatre ans.
Les salaires, « un point dur » pour les syndicats
Par ailleurs, plusieurs comités de suivi doivent également être mis en place, sur l’accord national interprofessionnel relatif au télétravail, un ensemble de recommandations et de bonnes pratiques sur les modalités de mise en œuvre du télétravail. Mais aussi sur le suivi de la transposition de l’accord sur le partage de la valeur. Cet accord, dont la traduction législative a été adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale et doit encore être examinée au Sénat, est régulièrement cité par le gouvernement comme une « avancée » en faveur de la rémunération des salariés.
« Cet accord est un mieux, mais il n’est pas l’alpha et l’oméga de la rémunération. Les syndicats veulent que l’on touche aux grilles salariales, pour le patronat la question des salaires se règle à l’échelle de l’entreprise, et le gouvernement a déporté le sujet en se concentrant sur l’épargne salariale, le partage de la valeur et les primes. La logique est celle du one-shot, avec des mesures ponctuelles qui ne comptent pas, par exemple, dans le calcul de la retraite », explique Jean-Marie Pernot. « Ce sujet est un point dur pour les syndicats. Si le gouvernement refuse d’ouvrir des discussions, les négociations sur d’autres éléments pourraient tourner court », estime le politologue.
Assurance-chômage, vers un nouveau serrage de vis ?
Un autre point chaud reste celui de l’assurance-chômage, qui devra nécessairement être abordé dans les prochains mois. Le décret qui permet actuellement de moduler la durée d’indemnisation en fonction de la situation du marché de l’emploi ne court que jusqu’à la fin de l’année. L’intention première du gouvernement – réduire de 40 % la durée d’indemnisation si le taux de chômage descend sous les 6 % – avait provoqué une importante levée de boucliers chez les syndicats, à quelques semaines seulement de l’ouverture du débat sur les retraites. L’exécutif a accepté de suspendre la mesure – pour l’heure les droits à l’assurance chômage n’ont été raccourcis que de 25 % pour les nouveaux bénéficiaires – mais a répété qu’il entendait bien aller plus loin. « Là, il y a une occasion de clash ! », avertit Jean-Marie Pernot. « Je rappelle que l’intersyndicale a été un préalable à la question des retraites précisément à cause de ce sujet. À la rigueur, la seule chose qui pourrait désamorcer la situation, ce sont les prévisions économiques, dont certaines laissent penser que l’inflexion de la courbe du chômage n’est qu’une embellie passagère. »