L’adoption du projet de loi spéciale au Parlement cette semaine a été une simple formalité. Un double vote à l’unanimité, qui aura nécessité une seule lecture dans chaque chambre. Cette roue de secours budgétaire permettra à l’État de continuer à fonctionner avec le minimum vital, d’ici l’adoption des textes budgétaires. Car la loi spéciale ne saurait remplacer le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la Sécurité pour 2025. Ceux-ci s’imposeront naturellement comme le principal dossier à traiter, une fois le gouvernement constitué.
Invité de France 2 ce jeudi soir, François Bayrou a expliqué vouloir reprendre le sujet « avec chacun des groupes parlementaires ». Sans certitude de pouvoir y parvenir, le nouveau Premier ministre espère que le budget sera adopté « à la mi-février ».
L’hypothèse d’un nouveau budget
Première possibilité : le nouveau gouvernement dépose un nouveau projet de loi de finances (PLF). Sans même compter la préparation technique, très lourde pour ce type de texte, repartir d’une page blanche signifierait que le projet de loi serait adopté plutôt vers la deuxième quinzaine du mois de mars. La logique voudrait que le texte soit déposé après la déclaration de politique générale, prévue le 14 janvier, et la Constitution laisse en effet 70 jours au Parlement pour se prononcer.
Ce calendrier n’est donc pas compatible avec l’objectif que s’est fixé le Premier ministre jeudi soir.
Le scénario qui tient la corde : reprendre l’examen du projet de loi de finances
Une autre solution semble se profiler : repartir du texte laissé en suspens depuis le vote de la motion de censure le 4 décembre. Lorsque les députés ont fait tomber le gouvernement Barnier le 4 décembre, les sénateurs étaient en plein examen de la deuxième partie du projet de loi de finances, relatif aux dépenses. Ils avaient adopté le 1er décembre la partie recettes, celle qui avait été rejetée à l’Assemblée nationale.
Reprendre le fil de la discussion parlementaire sur cette base est un peu en substance ce qu’a signifié François Bayrou jeudi soir. Interrogé sur l’éventualité de poursuivre l’examen du précédent budget, le Premier ministre a précisé « pas la copie de mon prédécesseur, la copie qui a été votée ».
Ces derniers jours, de nombreux sénateurs, en particulier de la majorité de droite et du centre, ont plaidé pour une reprise en janvier de l’examen au Sénat. C’est le cas du rapporteur général Jean-François Husson (LR). « Il y a une priorité : reprendre le plus tôt possible le projet de loi de finances sur lequel nous avions beaucoup avancé au Sénat, sur lequel beaucoup de points avaient fait l’objet d’un accord », a-t-il déclaré à notre micro. Le volet fiscal a néanmoins été adopté sous haute tension, puisqu’une série de deuxièmes délibérations ont fait tomber plusieurs modifications, un épisode très mal vécu par la gauche.
« Si on peut reprendre à partir du texte du Sénat, ça peut aller beaucoup plus vite », témoignait également hier le sénateur LR Roger Karoutchi. Il faut dire que les urgences s’empilent, entre le regain de colère des agriculteurs – en attente des dispositions du budget – les fonds nécessaires à la reconstruction de Mayotte, ou encore la crise en Nouvelle-Calédonie, où se pose la question de la prolongation du chômage partiel.
La piste d’un projet de loi de finances rectificative (PLFR) juste après le budget
L’avis est aussi partagé par le président de la commission des finances, Claude Raynal (PS). « Laissons le Sénat finir l’examen du texte en première lecture, puis l’Assemblée nationale en débattre dans le cadre d’une deuxième ou d’une nouvelle lecture […] Plutôt que de nous embarquer dans l’élaboration d’un nouveau texte, qui, en raison de la préparation technique et du travail parlementaire qu’elle impose, exigerait un délai de plusieurs mois. Nous devons choisir, ensemble, le pragmatisme et l’efficacité », plaidait-il en séance mercredi.
Le gouvernement aurait tout le loisir, selon lui, de proposer lui aussi des modifications, y compris « significatives ». L’insertion de nouveaux articles serait cependant contrainte par la règle de « l’entonnoir », qui empêche les amendements de porter sur des nouveaux sujets après la première lecture. Un projet de loi de finances rectificative pourrait alors y remédier, selon Claude Raynal.
Quid du projet de loi de financement de la Sécurité sociale ?
On le voit, le projet de loi de finances est encore à un stade qui offre encore des marges de manœuvre relativement souples au gouvernement. Le cas est différent pour le projet de loi de financement de la Sécurité sociale. D’abord sur la forme. Le texte a fait l’objet d’un accord entre députés et sénateurs dans le cadre d’une commission mixte paritaire (CMP). Selon le principe de l’entonnoir, évoqué plus haut, difficile de modifier le texte issu d’une CMP, en sortant du cadre initial.
La difficulté est surtout politique. C’est en réponse à l’engagement de la responsabilité du gouvernement sur ce texte de la CMP que l’Assemblée nationale a adopté une motion de censure, rejetant le texte. « On doit repartir sur autre chose il me semble, parce que les mêmes choses produisent les mêmes effets », a recommandé hier sur Public Sénat Élisabeth Doineau, rapporteure générale (Union centriste) de la commission des affaires sociales. Architecte des grands équilibres du texte examiné au Sénat, elle préconise de « trouver des dénominateurs communs » entre les différentes tendances pour un « nouveau PLFSS ». Rapporteur général du Budget à l’Assemblée nationale, Charles de Courson (Liot) est aussi d’avis qu’il faut repartir d’une page blanche.
Le président de la commission des finances à l’Assemblée nationale, le député LFI Éric Coquerel estime que l’adoption de ce texte n’est pas indispensable, puisque le PLFSS ne fixe que des objectifs de dépenses, et non des limites. Mais selon Bercy, sans projet de loi, le déficit de la Sécu pourrait se creuser jusqu’à 30 milliards d’euros l’an prochain (contre 18,5 milliards en 2024).
En début de semaine, les fédérations des établissements de santé ont demandé l’adoption du PLFSS « avant fin janvier ». Les tarifs des hôpitaux sont traditionnellement fixés au mois de mars, en s’appuyant sur l’Ondam. Un nouveau texte pourrait au maximum nécessiter 50 jours de débat au Parlement, selon la Constitution.
Un projet de loi portant diverses dispositions économiques, financières et sociales ?
Le temps que les deux grands textes budgétaires aboutissent, plusieurs parlementaires ont également émis l’idée d’un texte d’urgence, pour sanctuariser au plus vite des dispositions qui faisaient consensus au Parlement, comme l’indexation du barème de l’impôt sur le revenu, l’extension du prêt à taux zéro ou encore le soutien aux agriculteurs (relire notre article). Le Premier ministre se serait montré « ouvert » à cette idée, selon Éric Coquerel et des proches de Charles de Courson.