Le Sénat rétablit en séance l’interdiction de la publicité pour la mode « ultra éphémère »
Crédit : UGO AMEZ/SIPA

Fast fashion : le Sénat rétablit en séance l’interdiction de la publicité pour la mode « ultra éphémère »

La proposition de loi « anti-fast fashion » a été débattue ce 2 juin au Sénat, qui doit encore se prononcer par un vote final dans une semaine. Le texte a été réécrit pour cibler essentiellement les plateformes étrangères comme le chinois Shein, alors que le texte initial se voulait plus large sur les dérives de l’industrie textile. Les sénateurs ont rétabli un article important du texte des députés : l’interdiction de la publicité.
Guillaume Jacquot

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Des enjeux qui portent sur l’environnement mais aussi la production industrielle nationale et le réseau de commerces, et donc l’emploi, le tout sur fond de pouvoir d’achat. La proposition de loi Violland pour freiner l’impact sur l’environnement de la fast fashion, ces vêtements à bas prix de faible qualité, avait tout l’attirail d’une proposition de loi à la fois sensible et aux conséquences directement mesurables pour les consommateurs. Un an d’attente après le vote unanime des députés, le Sénat se savait très observé ce 2 juin en examinant à son tour en séance la proposition de loi de la députée Horizons Anne-Cécile Violland. Les dispositions visent en particulier à mettre frein aux exportations massives des plateformes chinoises Shein et Temu, qui se caractérisent par des produits à prix cassés, fréquemment renouvelés et à la durée de vie courte. Ces acteurs concentrent désormais un quart des colis pris en charge par la Poste.

L’examen des articles et des amendements achevé dans la nuit de lundi à mardi, la proposition doit encore faire l’objet d’un vote solennel au Sénat le 10 juin, précédé des explications de vote des groupes. Comme le gouvernement a déclenché la procédure accélérée, l’étape suivante sera donc une commission mixte paritaire pour tenter de rapprocher les versions des deux chambres, entre lesquelles les différences sont loin d’être anecdotiques.

Un accent mis sur la « mode ultra express »

Un exemple sémantique illustre ce qui s’est joué au Sénat. Le premier article, qui définit cette « fast fashion » à laquelle il s’attaque, fait désormais mention, non plus de la « mode express », mais de la « mode ultra express ». Pour le gouvernement, comme pour la rapporteure du texte Valente Le Hir (apparentée LR), l’objectif est de cibler le « renouvellement extrêmement rapide des collections, et non les acteurs traditionnels proposant des vêtements d’entrée de gamme ». « Je n’élude pas la question de la mode éphémère », a toutefois prévenu la ministre de la Transition écologique Agnès Pannier-Runacher.

Alors que plusieurs enseignes d’habillement en France font face actuellement à de grandes difficultés, les sénateurs en commission ont cherché à épargner les enseignes bon marché, localisées en France. « Nous avons souhaité préserver ce qui restait en Europe d’entreprises européennes qui sont sur nos territoires, qui permettent d’avoir un tissu commercial fourni », nous expliquait ce lundi la rapporteure. De quoi éviter à une enseigne par exemple comme Kiabi, ou des marques européennes comme Zara ou H & M d’être pénalisées comme Shein.

Toutes les importantes retouches opérées en commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, au mois de mars, n’ont pas été confirmées en séance. « Le débat, je pense, a fait bouger le texte, et pas nécessairement comme on l’envisageait au moment de rentrer dans l’hémicycle. Ce sont les vrais et les bons débats qui permettent de faire bouger les lignes », a conclu en fin de séance, peu après minuit, la ministre de la Transition écologique Agnès Pannier-Runacher.

Rétablissement de l’interdiction générale de la publicité, contre laquelle s’opposaient les sénateurs en commission

Le principal revirement s’est joué sur la question de la publicité. Avec l’appui du gouvernement, le Sénat a rétabli l’article qui prévoyait une interdiction générale de la publicité sur les médias classiques pour la mode ultra-éphémère. Cet article de la proposition initiale, votée à l’unanimité à l’Assemblée nationale, avait été retiré lors de l’examen en commission au Sénat, qui a préféré s’en tenir à une seule interdiction pour les influenceurs. La rapporteure avait justifié un risque d’inconstitutionnalité, risque contre lequel elle a à nouveau averti ses collègues en séance. « Cela pourrait être considéré comme portant atteinte de façon disproportionnée à la liberté d’entreprendre, au regard de l’objectif de protection de l’environnement poursuivi ».

Contre la promotion publicitaire « à outrance » qui constitue une « clé de voûte » pour les enseignes asiatiques à bas prix, selon les mots du socialiste Sébastien Fagnen, le Sénat a finalement choisi d’envoyer un « signal fort », comme l’a encouragé à son tour Marta de Cidrac (LR). L’écologiste Thomas Dossus avait, quant à lui, mis en garde contre une « capitulation » face aux marques de l’ultra fast fashion, si l’amendement n’était pas adopté.

Agnès Pannier-Runacher a reconnu l’existence de difficultés pour que cet article puisse s’articuler avec la réglementation européenne, et s’appliquer auprès des plateformes enregistrées dans d’autres Etats membres, souvent en Irlande. « Je ne me mésestime pas les risques de l’amendement, mais là, on fait de la politique », a-t-elle appelé. Selon elle, un vote « porté par l’ensemble des groupes politiques » du Sénat la semaine prochaine, après le oui unanime des députés, sera « un vote entendu », susceptible de faire bouger les lignes au niveau européen.

Le système de bonus-malus évolue une fois encore en séance

L’article 2 a également été l’un des points d’attention lors des débats. C’est ici qu’est introduit un système de bonus-malus pour pénaliser les productions aux « coûts environnementaux » importants, et à l’inverse, encourager les produits respectueux du développement durable. Le texte initial souhaitait lier ces pénalités à « l’affichage environnemental » des produits, une méthode récente de notation. En commission, le Sénat a préféré faire référence à des critères liés à la « durabilité » et aux « pratiques industrielles et commerciales » des producteurs, des critères jugés « flous » à gauche ou encore au sein du groupe RDPI (Rassemblement des démocrates progressistes et indépendants), le groupe macroniste du Sénat.

La rapporteure Valente Le Hir a estimé que « l’affichage environnemental » était un « dispositif qui était loin de faire l’unanimité dans le secteur textile », en raison d’un système de pondération de « nombreux indicateurs » pouvant « parfois mener à des résultats surprenants ». Elle a également souligné que cet indicateur était surtout plus large que la définition retenue par la commission. « Utiliser l’affichage environnemental, c’est faire le choix de pénaliser des entreprises au-delà de la seule mode express », a-t-elle averti. Et d’ajouter : « Ma ligne, c’est que je ne souhaite pas faire payer un euro aux entreprises qui disposent d’enseignes en France et qui contribuent à la vie économique de nos territoires. »

Un amendement des centristes est néanmoins venu préciser l’article réécrit en commission. La contribution financière dépendra notamment du niveau de « durabilité » des vêtements, en reprenant la méthodologie d’une partie de l’affichage environnemental. Le président de la commission, le centriste Jean-François Longeot, a regretté cette réécriture en fin des débats. « Nous avons introduit une obligation supplémentaire qui s’appliquera à toutes nos entreprises, françaises ou européennes », a-t-il estimé.

Le montant des pénalités pour les mauvais élèves sera arrêté dans un « cahier des charges » ministériel, cadré par la loi. En séance, le Sénat a voté un amendement du gouvernement pour que les montants inscrits soient des planchers, et qu’ils puissent donc être augmentés, si besoin. Le malus sera au minimum de 5 euros par produit en 2025 et d’au moins 10 euros en 2030, dans la limite de 50 % du prix hors taxe du produit.

Instauration d’une taxe sur les petits colis extra-européens

Contre la déferlante des vêtements à bas prix, un amendement a également réussi à s’imposer en toute fin de séance, à la surprise générale, contre l’avis du gouvernement et de la commission. Soutenu par Pierre-Jean Rochette (Les Indépendants) et soutenu par d’autres collègues de son groupe, tout comme des centristes, il vise à instaurer une taxe sur les colis d’un poids inférieur à deux kilogrammes livrés à des personnes physiques et due par « les places de marché, portails et dispositifs similaires établis hors de l’Union européenne ».

Cette modification pourrait ne pas survivre dans la version finale du texte, puisque le sujet est actuellement traité au niveau de l’Union européenne. En 2024, près de 4,5 milliards de colis sont entrés dans l’Union européenne et les estimations avoisinent 6 milliards pour 2025 et 2026.

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