C’est un sérieux avertissement que le Sénat a voulu adresser au gouvernement. La Chambre haute, plongée depuis la fin de semaine dans le volet « dépenses » du projet de loi de finances pour 2024, examinait dans la nuit de vendredi à samedi les crédits de la mission « Cohésion des territoires », qui incluent notamment le budget alloué à la politique de la ville, mais aussi aux aides au logement et à l’hébergement d’urgence. Un budget très largement rejeté par le Sénat, par 301 voix contre 27, qui a estimé que la copie du gouvernement ne répondait en rien à la situation particulièrement inquiétante du secteur du logement en France.
« Nous traversons une crise historique du logement et le gouvernement persiste à ne pas vouloir l’affronter, c’est une bombe sociale et sociétale majeure », a dénoncé depuis la tribune le sénateur LR Jean-Baptiste Blanc, rapporteur spécial de la commission des Finances. « Face à cette situation, on attendrait une politique rigoureuse, car sans logement décent, il n’y a pas d’éducation, pas d’emploi. Le gouvernement reste en retrait de cette question et multiplie les initiatives de faible ampleur pour s’éviter de prendre le problème à bras-le-corps. »
« Amortir le choc de l’immédiat »
« C’est vrai, le logement est aujourd’hui en crise, une crise conjoncturelle, mais aussi structurelle, qui ne remonte pas à 2017 comme j’ai pu l’entendre. On pourrait même remonter au début des années 2000 pour identifier les premiers signaux », a voulu défendre Patrice Vergriete, le ministre délégué chargé du Logement. Il a reconnu la nécessité d’« une refonte de la politique du logement », estimant que ce projet de loi de finances avait « d’abord vocation à amortir le choc de l’immédiat, de l’urgence ».
« Régulation des meublés touristiques, gestion de l’hébergement d’urgence, copropriétés dégradées, habitat indigne… tous ces sujets ont vocation à être abordés dans l’année avec le projet de loi copropriété et le projet de loi logement », a assuré le ministre.
Une hausse sensible des crédits, mais pas de réponses face à la crise
Dans sa copie, telle que présentée à la Chambre haute après une adoption sans vote à l’Assemblée nationale du fait du recours à l’article 49.3 de la Constitution, l’exécutif a prévu une augmentation globale de 7,6 % du budget de la mission « Cohésion des territoires ». Les crédits alloués passent ainsi de 17,9 milliards en 2023 à 19,4 milliards en 2024. Sur cette somme, 2,9 milliards doivent être accordés en crédits de paiement à l’hébergement d’urgence, 13,9 milliards aux aides au logement, 1,5 milliard à l’amélioration de l’habitat et 634,5 millions à la politique de la ville. « La question n’est pas celle du montant de ces crédits mais de leur utilisation et de la politique sous-jacente », a expliqué le sénateur Jean-Baptiste Blanc.
La majorité sénatoriale de droite et du centre, rejointe par la gauche, a dénoncé le manque d’initiatives du gouvernement face à la hausse des taux d’intérêt, alors que les prix de vente restent élevés. En parallèle, les coûts de construction augmentent, ce qui induit un net ralentissement des constructions. L’exécutif, de son côté, tend à encourager la rénovation des logements anciens plutôt que la construction, à travers notamment MaPrimRenov’.
En outre, la multiplication des cadres réglementaires, au nom de la sobriété foncière et écologique, avec des dispositifs comme le « Zéro artificialisation nette », qui contraignent de plus en plus les collectivités territoriales, reste un point de friction avec la « chambre des territoires ». De nombreux élus reprochent ainsi au gouvernement de « figer le parc immobilier ». « On va renverser l’équilibre du marché, les terrains sont déjà rares, la spéculation est désormais quotidienne », s’est alarmé le sénateur Les Indépendants Guislain Cambier.
« Une politique du logement ne peut pas se limiter à une politique de la rénovation. Ce n’est pas seulement que le gouvernement n’a pas de politique du logement, c’est qu’il reste en retrait de cette question », a déploré le rapporteur. « A priori, il faudrait entre 460 000 et 580 000 logements nouveaux chaque année. Nous en sommes loin avec une perspective de 100 000 à 150 000 par an, tandis qu’il y a entre 3 et 4 millions de ménages mal logés ».
Coup de rabot sur les aides au logement
Sur le logement social, le nombre de logements neufs est au plus bas depuis trois ans, sous la barre des 100 000 logements financés. La marge de construction des bailleurs sociaux est « catastrophique », a voulu alerter la sénatrice LR Anne Chain-Larché. Pour l’écologiste Ronan Dantec, ils pâtissent notamment des économies réalisées ces dernières années sur les aides au logement. « La baisse des APL, en réduisant par effet domino les fonds propres des organismes HLM, est l’une des raisons essentielles de la baisse de la production de logements. »
Jean-Baptiste Blanc note d’ailleurs que « les aides au logement sont à peu près le seul domaine dans le budget général où des économies ont été faites depuis 2017, avec une diminution des dépenses de 18,1 %. » Mais, ajoute-t-il aussitôt, elles sont « le résultat de mesures de restriction budgétaire dont le coût est supporté par les bénéficiaires dont les prestations ont été réduites. »
« Le gouvernement est obnubilé par une vision comptable et un objectif d’économies, comptant sur la baisse des prix pour assurer l’ajustement et la relance du secteur. En faisant cela, il oublie que le logement n’est pas une marchandise comme les autres, mais un bien essentiel », a encore dénoncé Anne Chain-Larché. Même inquiétude chez la sénatrice communiste Marianne Margaté : « Ce budget confirme l’abandon du modèle généraliste français, qui garantit un logement abordable pour tous, vers un modèle résiduel réservé aux plus pauvres. »
« Il ne peut pas y avoir de maison commune, si chacun n’a pas son toit », a estimé la sénatrice LR Dominique Estrosi-Sassone, spécialiste des questions de logement. L’élue n’a pas hésité à agiter le chiffon des Gilets Jaunes : « Il nous faut prendre garde que cette crise du logement ne pousse nos concitoyens à chercher des solutions en dehors du champ républicain. Ne pas pouvoir accéder au logement social, ou ne pas pouvoir en sortir, renoncer à un emploi ou des études faute de logement, ne pas pouvoir accéder à son rêve de propriété sont autant de faits qui nourrissent un sentiment de déclassement. »
Malgré un effort historique sur l’hébergement d’urgence, la situation reste critique
Elément régulièrement mis en avant par l’exécutif pour défendre son bilan : la très forte hausse des hébergements d’urgence depuis la crise du covid-19, avec un chiffre record de 203 000 places. Mais là encore, pour les sénateurs le compte n’y est pas, au regard de l’accroissement rapide de la pauvreté. « Les associations ne cessent de nous alerter sur le nombre de femmes et d’enfants à la rue qui n’a jamais été aussi grand. 2 822 enfants, dont près de 700 de moins de 3 ans, sont refusés chaque soir par le 115. Ils passent la nuit à la rue avec leurs parents, dans une voiture ou sous une tente. C’est plus 41 % en une année », a indiqué Jean-Baptiste Blanc. « Le taux de non-recours pourrait être de 70 %, on ne voit que la partie émergée de l’iceberg », a voulu préciser la sénatrice centriste Nadia Sollogoub.
Dans le rapport qu’il a consacré à cette partie du budget, Jean-Baptiste Blanc reproche à l’Etat de « systématiquement sous-évaluer » les crédits consacrés à l’hébergement d’urgence. Ainsi, pour 2023, l’enveloppe initiale de 2,8 milliards a dû être rallongée de 200 millions d’euros. Or, les augmentations sont largement absorbées par les solutions d’appoint, comme les réquisitions de chambres d’hôtel, « une forme d’hébergement qui offre le moins d’accompagnement vers un logement stable ».
Rappelons que le gouvernement pourra reprendre la main sur la copie budgétaire lors de la seconde lecture du projet de loi à l’Assemblée nationale où, privé de majorité absolue, il devrait de nouveau avoir recours au 49.3.