Le « produit d’épargne européen » pour empêcher le décrochage économique de l’Europe et limiter la fuite des capitaux vers les Etats-Unis
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Les investissements sont en rade, et les capitaux européens regardent ailleurs. C’est le constat amer que dressent bon nombre de dirigeants européens face au décrochage économique et industriel du Vieux continent sur ses concurrents américains et chinois. Pour endiguer ce déclin, les pays de l’Union européenne auraient besoin d’investissements massifs dans des secteurs stratégiques tels que la transition énergétique, l’intelligence artificielle, ou encore l’industrie militaire. Mais où trouver cet argent ? Dans une tribune publiée sur le site du Financial Times, Emmanuel Macron et le chancelier allemand Olaf Scholz regrettent que « trop d’entreprises se tournent vers l’autre côté de l’Atlantique pour financer leur croissance ». Selon les leaders du couple franco-allemand, les pays européens sont actuellement moins attractifs que les Etats-Unis pour les entreprises florissantes qui souhaitent se développer et trouver des investisseurs. Emmanuel Macron et Olaf Scholz prônent donc la création d’un « produit d’épargne européen ».
300 milliards d’épargne par an vers les Etats-Unis
L’idée est simple : inciter les citoyens de l’Union à placer leur épargne pour financer le développement d’entreprises européennes et mettre ainsi fin à la fuite des capitaux outre-atlantique. « Chaque année, notre épargne, à hauteur d’environ 300 milliards d’euros par an, va financer les Américains », déplorait déjà Emmanuel Macron, le 24 avril dernier, dans son discours à la Sorbonne, « une aberration », selon le président français. Une analyse qui converge avec un récent rapport du sénateur LR Albéric de Montgolfier pointant « une épargne européenne abondante, de plus de 35 000 milliards d’euros », qui « ne parvient pas à être suffisamment mobilisée au profit des entreprises ou des investissements de long terme ». Pour le sénateur Jean-François Husson, rapporteur général de la Commission des finances, « il y a un facteur de poids qui entre en jeu pour mobiliser l’épargne des particuliers : c’est la confiance. Or aujourd’hui, elle n’est pas suffisamment élevée ». L’idée d’un produit d’épargne européen reviendrait donc à inciter – éventuellement via des leviers fiscaux – les particuliers européens à placer leur épargne dans des fonds plus risqués, européens, et ainsi permettre aux entreprises de lever davantage d’argent.
« Impératif »
Un tel outil s’inscrirait dans un plan plus large, et un projet plus ancien : une union des marchés de capitaux en Europe. Jamais mise en place, cette hypothétique union reviendrait à faire tomber les frontières financières entre les différents pays membres de l’UE. En 2015, déjà, les sénateurs Jean-Paul Emorine et Richard Yung consacraient une proposition de résolution à la question. « La perte de confiance consécutive à la crise financière ainsi que celle des dettes souveraines a provoqué une « balkanisation » du système financier qui s’est replié derrière les frontières nationales », déploraient les sénateurs, indiquant que « cette fragmentation financière » rendait « difficiles les flux naturels de l’épargne des États excédentaires vers les autres États ». Et les deux parlementaires de citer Benoit Coeuré, membre du directoire de la Banque centrale européenne : « le marché unique des capitaux n’est pas seulement souhaitable : c’est un véritable impératif ».
La France en fer de lance
Sept ans plus tard, les institutions européennes ne sont pas plus avancées. Mais les besoins colossaux de l’Europe pour se réindustrialiser tout en réussissant sa transition énergétique ont remis cette idée sur le devant de la scène. Emmanuel Macron et Olaf Scholz insistent à nouveau sur le besoin de «sérieusement se pencher sur la question d’un marché financier européen véritablement intégré, articulé autour d’une union bancaire et d’une union des marchés des capitaux ». Les deux dirigeants ne sont pas les seuls à se prononcer en faveur de la mise en place d’un tel système. L’ancien Premier ministre italien Enrico Letta a présenté au printemps un rapport à Bruxelles enjoignant les 27 pays membres de l’Union européenne à mettre en place une union des marchés des capitaux. « Ce sera la réponse européenne à l’Inflation Reduction Act des Etats-Unis », a plaidé l’Italien dans une interview au Monde, en référence au plan d’investissement colossal décidé par Joe Biden pour relancer l’économie américaine. Bruno Le Maire, fervent défenseur d’une UMC, a demandé à Christian Noyer, ancien gouverneur de la Banque de France, un rapport sur le sujet. Remis à Bercy au mois d’avril, le texte milite selon les Echos pour développer un produit d’épargne européen de long terme, redynamiser la titrisation et assouplir le cadre réglementaire et prudentiel des banques et des compagnies d’assurances.
Résistance des pays du nord
Mais cette offensive française pour une UMC, forte du soutien de l’Allemagne autrefois plutôt réticente, se heurte à l’hostilité de bon nombre de pays du nord de l’Europe. « C’est compréhensible », explique le sénateur Jean-François Husson, pour qui ces pays s’appuient sur « leurs bons ratios économiques, budgétaires et une certaine puissance financière » pour refuser un nouveau levier de financement aux pays plus endettés, comme la France et les pays méditerranéens. Au-delà de ce manque apparent de solidarité, c’est un avantage comparatif de taille que des pays comme l’Irlande, l’Estonie ou le Luxembourg considèrent comme menacé par le projet d’Union des marchés des capitaux : leur régime fiscal attractif. Car inévitablement, davantage d’intégration des différents systèmes financiers européens impliquerait une forme d’harmonisation des règles en place dans chaque Etat.
Un moyen de pression pour les entreprises
Une harmonisation par le haut pour les pays les plus souples, et par le bas pour les pays les plus régulés. Une forme de compromis pour ne pas voir les meilleures start-up et entreprises européennes quitter le Vieux continent pour aller se faire coter aux Etats-Unis. Un moyen, aussi, pour les entreprises, de faire pression sur les dirigeants politiques pour obtenir moins de régulation. Le 26 avril 2024, le directeur général de Total, Patrick Pouyanné, confirmait que le groupe envisageait de déplacer sa cotation principale de Paris à New-York. « La base d’actionnaires européens de TotalEnergies diminue, notamment la base française. Nous avons perdu 7 % d’actionnaires français au cours des quatre dernières années, notamment à cause de la réglementation ».