Le patron de Michelin détaille ses aides publiques… et évoque le remboursement de certaines

Auditionné par la commission d’enquête du Sénat sur les aides perçues par les grandes entreprises, le président du groupe Michelin, Florent Menegaux, a détaillé les quelques dizaines de millions d’euros reçus ces dernières années. Il évoque la possibilité de rembourser une partie des aides versées au site de La Roche-sur-Yon, fermé en 2019. « Huit sites » Michelin sont actuellement « très largement sous chargés », prévient le patron du groupe.
François Vignal

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Pas de sortie de route. Pour son audition, mardi 18 mars, devant la commission d’enquête du Sénat sur l’utilisation des aides publiques aux grandes entreprises, le président du groupe Michelin, Florent Menegaux, est venu visiblement bien préparé. Accompagné de plusieurs membres de sa direction, il répète à l’envi ses éléments de langage formant le discours classique, souvent entendu, sur « l’entreprise, un organisme vivant qui doit en permanence s’adapter à son environnement », quitte à entrer dans un dialogue de sourd avec les sénateurs ou répondant parfois à côté.

« Je suis scandalisé »

Les sénateurs justement, notamment le rapporteur communiste de la commission d’enquête, Fabien Gay, ou le socialiste Thierry Cozic, ont bien tenté de le cuisiner sur les suppressions d’emplois sur les sites de Vannes et Cholet, annoncées fin 2024.

« Est-ce que vous comprenez que ça ulcère, que ça mette en colère, qu’un groupe comme le vôtre, qui touche de l’argent public, verse 1,4 milliard d’euros (de dividendes), fasse un plan de rachat d’actions de 1 milliard d’euros, et licencie 1.200 personnes ? Vous savez d’où je parle, mais moi, je suis scandalisé », lance le sénateur PCF de Seine-Saint-Denis. Mais pour Florent Menegaux, on ne peut pas corréler les deux sujets, qui ne sont pas liés. D’un côté, un site « au bout de son cycle de vie », pour prendre le cas de Cholet, de l’autre, une « compétition internationale féroce », décrit le patron, soulignant que « Michelin assure son financement par les investisseurs, notamment étranger. Il faut les rémunérer ». Fermez le banc.

« Les aides publiques sont essentielles »

Le Président de l’entreprise s’en n’est pas moins adonné à un exercice de transparence sur les aides publiques perçues ces dernières années par Michelin. Avec une limite : les années ou périodes n’étant pas toujours les mêmes, selon les types d’aides, difficile de totaliser les aides perçues chaque année.

« Les aides publiques sont essentielles » pour Michelin, commence le responsable. Importantes « pour la compétitivité » comme pour « la location de nos activités en France », explique le patron du groupe, dont le siège social est basé à Clermont Ferrand, dans le Puy-de-Dôme.

32,5 millions d’euros d’allégements de cotisations en 2023

Les aides sont nombreuses. On n’en compte pas moins de 2200 au total. Michelin a ainsi « perçu 10,6 millions d’euros d’aides en 2023 sur le soutien à l’emploi, sur une masse salariale de 1,5 milliard d’euros », explique Florent Menegaux. « Deuxième type d’aide : le soutien au mécénat avec des déductions fiscales. Entre 2019 et 2024, la fondation et le mécénat de compétence de Michelin ont bénéficié de 43,5 millions de déductions fiscales pour 101,2 millions de dépenses. Donc cela fait 8 millions d’euros par an d’aides », détaille le président du groupe.

Vient ensuite un troisième type d’aide, « le soutien à la compétitivité, indispensable pour maintenir un certain leadership dans la concurrence mondiale ». On y trouve les réductions ou allégement de cotisations maladies et familiales, « pour compenser le poids de la fiscalité ». Michelin a ainsi touché « 32,5 millions d’euros en 2023 pour 400 millions d’euros de cotisations ». Toujours au chapitre du soutien à la compétitivité : les aides pour compenser le coût de l’énergie, qui s’est envolé avec la guerre en Ukraine. « Entre 2022 et 2024, Michelin a perçu 4 millions d’euros, alors que le surcoût énergétique supporté par Michelin, après toutes les économies de consommation supportées par Michelin, est de 129,4 millions d’euros », précise-t-il, avec une facture énergétique totale de « 364 millions d’euros sur la période ».

40,4 millions d’euros de crédit d’impôt recherche en 2023

Pour la modernisation industrielle, généralement des subventions des collectivités, Michelin n’est quasiment pas éligible, car trop important. Il a reçu 1,4 million en 2023 à ce titre. Pour favoriser la transition environnementale des sites, 1,8 million d’euros ont été versés à l’entreprise, pour 14,5 millions de dépenses.

Vient enfin un chapitre important, « le soutien à la recherche et développement », avec le célèbre crédit d’impôt recherche (CIR). C’est pour Michelin « 40,4 millions d’euros en 2023 », pour « 400 millions de dépenses en France ». S’ajoutent 14,7 millions d’euros de « subventions » perçues de 2020 à 2024, venues épauler des dépenses de 82 millions d’euros. « Avec le CIR, nous avons relocalisé une grande partie de la recherche en France, augmenté nos effectifs de 250 personnes en France sur la recherche, car nous sommes compétitifs sur le coût d’un chercheur », défend le Florent Menegaux. Il fait au passage trois recommandations sur les aides publiques : « Mieux définir leur finalité », « simplifier leur fonctionnement » et « améliorer la transparence ».

« Si le CICE n’a pas servi aux machines qui sont restées en France, il ne serait pas anormal qu’on le rembourse », admet Florent Menegaux

Saluant cet « exercice de transparence sur le montant des aides publiques », le rapporteur Fabien Gay pose une question « sur le montant du CICE (Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi) que vous avez touché ». En 2017, le spécialiste du pneu a ainsi touché « 4,3 millions d’euros pour le site de La Roche-sur-Yon ». Il ferme pourtant deux ans après, en 2019. « Vous avez dit que les investissements devaient servir à la rénovation d’atelier de cuisson et à l’achat de huit nouvelles machines d’assemblage que vous avez achetées. Deux machines, achetées avec le CICE, sont montées. […] Les six autres sont restées dans des cartons et parties dans des usines en Espagne ou ailleurs… » pointe Fabien Gay, qui demande si « l’argent public doit mener à des investissements en France, ou s’il peut être utilisé pour investir en dehors de France ? »

« L’argent public français doit aider à investir en France », soutient Florent Menegaux, qui perd alors un peu de son assurance. « Les machines ont commencé à être déployées sur le site de La Roche-sur-Yon. Il y en a eu deux. Et après, on a décidé de fermer », explique-t-il, assurant qu’« il n’y a pas de décision, prise très longtemps à l’avance, sur une décision de fermeture ». « Sur La Roche-sur-Yon, on a essayé différentes choses […] et deux ans après, on arrive à la conclusion qu’on n’y arrive pas. […] C’était le site le plus cher pour fabriquer des pneus de camion », justifie le président de Michelin, avant d’évoquer un remboursement des aides perçues à l’époque : « Sur cette partie-là, je considère qu’on devrait être capable de rembourser. Si le CICE n’a pas servi aux machines qui sont restées en France, il ne serait pas anormal qu’on le rembourse », dit-il, sans s’avancer plus précisément (voir la vidéo).

« On parle beaucoup de réarmement, sauf que toute la chaîne d’approvisionnement du réarmement n’est pas prête »

Interrogé sur le recours au chômage partiel – autre aide de l’Etat – le président du groupe Michelin a par ailleurs parlé de la situation de certaines usines françaises, qui ne tournent pas à plein. « Sur les sites de Troyes et du Puy-en-Velay, oui, ces sites sont en moment très largement sous chargés. Nous avons huit sites, en France, très largement sous chargés, avec un taux de charge de l’ordre de 50 % dans ces usines-là », prévient Florent Menegaux. Pour l’usine de Troyes, qui fabrique des pneus pour l’agriculture, cela s’explique par « le marché agricole qui s’est effondré », alors que « l’Union européenne laisse rentrer sur le marché français des pneus indiens, sans aucune contrepartie. Nous, nous n’avons pas le droit d’exporter en Inde ». Et d’ajouter, au sujet du site de la préfecture de l’Aube : « On fait tout pour essayer de le maintenir ».

Il continue : « Les usines de Montceau-les-Mines et du Puy-en-Velay sont indispensables pour fabriquer des pneumatiques qui vont sur les engins militaires. Aujourd’hui, on parle beaucoup de réarmement, sauf que toute la chaîne d’approvisionnement du réarmement n’est pas prête. Derrière, on a des sites sous chargés en ce moment et qu’on maintient en activité car on est convaincu qu’il faut contribuer à l’effort qui sera effectué par la France ».

« Si on vous écoute, huit sites sont menacés »

Donc « oui, on touche du chômage partiel, mais sinon, on va réajuster les effectifs dans ces sites pour les mettre au minimum. On ne préfère pas faire ça. Il vaut mieux qu’il y ait un peu de prise en compte par l’Etat, (pour) assister, pour nous aider à passer ces moments qui sont difficiles », soutient Florent Menegaux. Fabien Gay en tire cette conclusion, mêlée d’une crainte : « Si on vous écoute, huit sites sont menacés. Donc si on continue de verser l’argent public, sans le conditionner, cela va faire qu’à un moment donné, Michelin sera un groupe à pavillon français, à majorité d’actionnaires étrangers – il l’est déjà – et qui ne produira quasiment plus en France ». Ce serait gonflé, pour un spécialiste du pneumatique.

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