Action Logement espérait certainement autre chose pour son 70e anniversaire. Les partenaires sociaux, chargés de sa gestion, donnent de la voix depuis plusieurs jours sur un changement de statut en apparence technique, mais qui pourrait être lourd de conséquences. Le président du groupe, Bruno Arcadipane, s’est en ému vigoureusement ce 24 mai, devant la commission des affaires économiques du Sénat.
Pour comprendre les raisons de sa colère, petit retour en arrière. En août dernier, l’INSEE a décidé de requalifier sa filière Action Logement Services – qui assure la collecte et la gestion de la participation des employeurs à l’effort de construction ou « 1 % logement » – en administration publique. Les gestionnaires d’Action Logement craignent depuis que le ministère des Comptes publics entérine ce choix dans un arrêté qui ferait entrer cette entité dans le giron des organismes divers d’administrations centrales, aux côtés des grandes agences de l’État.
« La politique du nœud coulant »
Cette évolution aurait une conséquence financière. Action Logement Services serait alors interdit de s’endetter à plus de 12 mois, un horizon beaucoup trop court pour financer des investissements immobiliers. « Cette transformation d’Action Logement en administration publique est très clairement la politique du nœud coulant. Demain matin, nous sommes étranglés financièrement et c’est l’ensemble du secteur qui va bouger et qui va être atteint », a averti Bruno Arcadipane. Ce représentant du Medef a précisé que les sept partenaires sociaux étaient opposés à l’unanimité contre ce glissement. « Je souhaite de tous mes vœux que la trésorerie d’Action Logement ne soit pas centralisée, que la signature de ce décret n’arrive jamais, que l’on nous laisse travailler. »
Au-delà des bouleversements dans ses conditions d’emprunt, les représentants d’Action Logement redoutent surtout une remise en cause de leur gestion paritaire, avec l’immixtion de l’État dans la gestion des fonds. « Il y a aussi une conséquence politique. Derrière, c’est quel est le rôle des partenaires sociaux. On voit bien que tout ça serait amené à évoluer », s’est projeté Philippe Lengrand, vice-président de l’organisme, choisi par la CFDT. « On serait à la merci d’une décision du projet de loi de finances », a résumé Bruno Arcadipane, parlant d’une « épée de Damoclès ».
« Action Logement ça ne peut pas être un distributeur automatique »
La perspective de se voir potentiellement imposer des arbitrages sur l’allocation de ses ressources fait grincer les partenaires sociaux, préférant se concentrer sur le cœur de mission d’Action Logement : la construction de logements à prix abordables pour les salariés, le soutien de l’accession à la propriété ou à la mobilisation professionnelle. L’organisme a encore en mémoire le prélèvement de 300 millions dans sa trésorerie, inscrite dans la dernière loi de finances, au profit du Fonds national des aides à la pierre (FNAP). « 300 millions d’euros de ponction, c’est 25 000 salariés qui n’auront pas d’aides derrière, tout ça c’est du concret », a remis en perspective Philippe Lengrand.
Démonstration supplémentaire que l’organisme est actuellement dans le plus grand flou, la nouvelle convention quinquennale, qui aurait dû intervenir en début d’année, n’a toujours pas été signée entre l’Etat et Action Logement, sur l’utilisation de la participation des employeurs à l’effort de construction. Faute de visibilité sur son avenir, Action Logement a déjà dû engager certaines décisions difficiles. « On va devoir, pour la première fois de l’histoire – et je le dis avec beaucoup de gravité – fermer une de nos filiales. Ma Ville nouvelle est aujourd’hui sous PSE [Plan de sauvegarde de l’emploi] parce qu’on n’a pas le choix », a expliqué Bruno Arcadipane.
Remonté contre des choix budgétaires imposés d’en haut, le président a communiqué, dans un exercice de franchise assez remarqué dans la commission sénatoriale, son mécontentement en direction de l’État. « Action Logement ça ne peut pas être un distributeur automatique. On met la carte et on tire de l’oseille, ce n’est juste pas possible ! » La préparation du budget 2024 n’est d’ailleurs pas pour le rassurer. « Vous imaginez qu’elle a été mon émotion, lorsqu’il y a quelques jours, le ministre Attal a dit que les deux coups de rabot portés encore cette année le seront sur le ministère de l’Emploi et le ministère du Logement », a ajouté Bruno Arcadipane.
« On est à l’os »
Première foncière européenne avec un bilan de 100 milliards d’euros, à la tête de 1,1 million de logements sociaux, Action Logement constitue par ailleurs une vigie de premier plan sur les difficultés majeures que rencontre le secteur, avec l’envolée des taux d’intérêt et l’inflation. Et ceci, alors que la demande en logements sociaux n’a jamais été aussi forte dans le pays. « On va vraiment se heurter à un mur, on y va en klaxonnant mais personne ne l’entend », a résumé Bruno Arcadipane. « En 2023, aucun bailleur social – Action Logement inclus – ne fera un résultat positif […] On est à l’os. »
Le cri d’alerte des deux dirigeants d’Action Logement a en tout cas reçu un appui marqué de la part de plusieurs groupes au sein de la commission. « Depuis 2017, Emmanuel Macron et ses gouvernements successifs n’ont jamais autant négligé cette politique du logement », a appuyé la sénatrice LR Dominique Estrosi Sassone. « Que l’État mette des moyens supplémentaires, mais n’aille pas faire les poches à un secteur du logement pour abonder ce qu’il ne souhaite pas mettre dans un secteur du logement », s’est également indignée Valérie Létard (Union centriste). Marie-Noëlle Lienemann, autre référente de la commission sur ces problématiques, y est aussi allée de son soutien : « Je pense qu’il faut qu’on s’arc-boute pour conserver ce modèle. » Comme à l’automne 2022, le Sénat semble parti pour engager une bataille en faveur d’Action Logement.