Le marathon budgétaire est bel et bien lancé. Le gouvernement a présenté ce mercredi 27 septembre son projet de loi de finances pour 2024, lequel sera débattu au Parlement pendant plusieurs semaines cet automne. Un an après un budget marqué par la flambée des prix de l’énergétie, Bercy doit désormais composer avec une inflation persistante. Celle-ci devrait s’établir à 5 % sur l’ensemble de l’année 2023, selon l’Insee.
Pour le ministre de l’Economie et des Finances, Bruno Le Maire, qui s’est exprimé à la sortie du Conseil des ministres, cette inflation constitue un « défi pour notre économie et une souffrance pour des millions de nos compatriotes ». Celle-ci aura également une incidence lourde sur les comptes publics.
Le budget de plusieurs ministères de premier plan en hausse
L’Etat va mettre en œuvre une série de revalorisations automatiques, calquées sur la hausse des prix : hausse des pensions de retraite de 5,2 % dès janvier et augmentation des prestations sociales (RSA ou encore allocations familiales) d’environ 4,6 % à partir d’avril. Bercy doit également, comme chaque année, actualiser le niveau des tranches de l’impôt sur le revenu, pour éviter que les ménages, dont le salaire n’a pas augmenté au moins autant que l’inflation, ne soit perdants. Mis bout à bout, ces mesures se chiffrent à 25 milliards d’euros.
L’indemnité carburant de 100 euros par véhicule, promise par Emmanuel Macron à plus de 4 millions de Français à partir de janvier, coûtera 430 millions d’euros. « Quand il y a de l’inflation, l’Etat perd de l’argent, il n’en gagne pas », a insisté Bruno Le Maire, qui a voulu démentir l’existence d’une cagnotte générée par la hausse des prix. D’après ses services, les recettes supplémentaires générées par la TVA se chiffreront à dix milliards d’euros.
Ce projet de loi de finances confirme par ailleurs la montée en charge des budgets des ministères régaliens, qu’il s’agisse de la justice, de l’intérieur ou de la défense. Conséquence des différentes lois de programmation votées ces derniers mois par le Parlement, les crédits de ces secteurs vont augmenter d’environ cinq milliards d’euros. Selon les documents budgétaires, le nombre de fonctionnaires doit augmenter de près de 8300 l’an prochain, plus la moitié étant portée par les forces de l’ordre et les métiers de la justice.
Le budget de l’Education nationale est lui aussi orienté à la hausse. La progression de 3,9 milliards d’euros de ses moyens, doit répondre aux engagements de revalorisation du traitement des enseignants. Quant à la transition écologique, sept milliards d’euros supplémentaires sont mobilisés. Cette enveloppe doit financer l’augmentation du bonus pour les ménages modestes sur les achats de véhicules électriques, les primes liées aux rénovations thermiques ou encore le tout nouveau crédit d’impôt en faveur de l’industrie verte. Bercy estime qu’à travers ce projet de budget, le gouvernement « investit dans l’avenir ». « Ce n’est donc pas un budget d’austérité », s’est défendu le nouveau ministre des Comptes publics, Thomas Cazenave.
La sortie des boucliers énergétiques, principale source d’assainissement budgétaire
Dans le même temps, Bercy veut « poursuivre le rétablissement de nos finances publiques », avec des mesures d’économies « réelles et crédibles », selon les mots de Bruno Le Maire. L’objectif du gouvernement est de ramener le déficit public de 4,9 % en 2023 à 4,4 % l’an prochain. 16 milliards d’euros d’économies sont inscrites dans le texte. L’essentiel du reflux -après une année exceptionnelle de soutien de l’Etat face à la crise énergétique- repose sur l’extinction des mécanismes d’aide. Fin du bouclier tarifaire sur le gaz, réduction progressive de celui sur l’électricité, fin des aides aux entreprises énergétivores : le volet dépenses du budget s’allège automatiquement de près de dix milliards d’euros.
Pour le reste, le gouvernement compte sur sa revue de dépenses et la disparition de certains dispositifs coûteux comme le Pinel (une réduction d’impôt pour encourager les investissements dans l’immobilier neuf locatif). Bercy a également dans son viseur les opérateurs de l’Etat, chez qui il a identifié « un milliard d’euros de trésorerie excédentaire ». Le dialogue avec ces agences doit encore se poursuivre.
« Nous devons retrouver des marges de manœuvre », a mis en garde Thomas Cazenave, alors que le coût de la dette s’est fortement apprécié ces derniers mois, en raison de la hausse des taux d’intérêt. Le taux d’un emprunt d’Etat d’une maturité de 10 ans dépasse désormais 3,3 %, il est au plus haut depuis 2011. L’Agence France Trésor, chargée de lever la dette, va devoir trouver 285 milliards d’euros sur les marchés financiers l’an prochain, un record après les 270 milliards de 2023.
Côté recettes, Bercy maintient son exigence de ne pas augmenter les impôts. L’Etat a finalement renoncé à augmenter la taxe prélevée sur les billets d’avion. « Moins il y a de taxes, mieux on se porte », a commenté Bruno Le Maire. Pour autant, le gouvernement veut mettre en place une taxe supplémentaire sur de grandes infrastructures de transport polluantes, pour financer les investissements dans le ferroviaire. Bruno Le Maire a assuré que cette augmentation ne se répercuterait « pas sur l’usager » grâce au maintien de « la définition des tarifs de péage ». « Une hausse des taxes, c’est inévitablement une hausse des péages », a également averti Vinci Autoroutes, l’un des principaux concessionnaires du secteur. Aéroports de Paris (ADP) a fait savoir qu’il répercuterait une grande partie du surcoût sur les compagnies aériennes.
Critiqué par le Haut Conseil des finances publiques, le gouvernement qualifie sa prévision de croissance de « sincère »
Comme lors des précédents exercices, le gouvernement compte aussi sur une conjoncture favorable et sur l’activité pour assainir la trajectoire budgétaire. « Au-delà des revues de dépenses, des réformes de structure, c’est bien la croissance et l’emploi qui permettent de retrouver des finances publiques saines », a insisté Bruno Le Maire, qui considère que la croissance française « résiste ».
À ce titre, le Haut Conseil des finances publiques, organisme placé auprès de la Cour des comptes, a une nouvelle fois épinglé le scénario macroéconomique présenté par le gouvernement, notamment la prévision de croissance de 1,4 % pour 2024. La Banque de France table sur 0,9 %, soit 0,5 point de moins. « C’est beaucoup », a fait observer le premier président de la Cour des comptes Pierre Moscovici ce matin devant la commission des finances du Sénat. Selon lui, la cible de 1,4 % est « élevée mais pas inatteignable ». Elle constitue en tout cas un « pari », sur lequel est basé le projet de budget. Invité à réagir à la mi-journée sur les avertissements du Haut Conseil des finances publiques, Bruno Le Maire a estimé que la prévision de croissance de 1,4 % était « un chiffre responsable et sincère ».
Le Haut Conseil des finances publiques s’inquiète au même titre de la trajectoire des dépenses. Celles-ci pourraient « s’avérer plus élevées que prévu, notamment s’agissant du coût des dispositifs énergétiques et des dépenses de santé », a-il averti.
La copie du gouvernement va maintenir vivre au Parlement, où de multiples recours au 49.3 à l’Assemblée nationale sont à prévoir. Vantant « l’esprit de dialogue » que l’exécutif a ouvert avec les différentes forces politiques en amont de la présentation, Thomas Cazenave a redit aux oppositions que ce projet de loi n’était « pas le texte final ». « Nous souhaitons construire des réponses transpartisanes », s’est-il engagé. Plusieurs chapitres sont à éclaircir au fil des débats. Comment mieux redistribuer les bénéficies dans les entreprises pratiquant le rachat d’actions ? Quel avenir pour la fiscalité sur les logements touristiques ? Ou encore quels leviers pour accompagner la transition écologique ? La route est encore longue pour le projet de loi de finances 2024.