Un coup de com’ pour amuser la galerie ou une vraie volonté de compromis ? En vue de l’examen du projet de loi de finances (PFL) 2023, les membres des commissions des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat se sont retrouvés, mercredi après-midi, pour le premier rendez-vous des « dialogues de Bercy », instance informelle voulue par le gouvernement. C’est l’une des mises en forme – ou en scène ? – de « la nouvelle méthode », défendue par Emmanuel Macron. Les ministres de l’Economie et des Comptes publics, Bruno Le Maire et Gabriel Attal, ont reçu les oppositions pour un premier point sur les chiffres macroéconomiques, avant d’autres sur la partie dépenses du budget, puis la partie recette, avant une réunion de synthèse.
« Jusqu’à maintenant, dialogue et Bercy, ce n’était pas deux mots qui se conjuguaient très harmonieusement… »
Les prévisions sont revues à la baisse. Le PIB devrait croître de seulement 1 %, contre 1,4 % espéré encore en juillet par le gouvernement. L’inflation devrait être pour l’année 2022 à 5,3 % (contre 5 % attendus), avant de baisser l’année prochaine à 4,2 % (3,2 % jusqu’ici). Côté déficits, Bruno Le Maire espère tenir les 5 % en 2023. L’objectif du retour sous les 3 % en 2027 est maintenu. En résumé, « des temps plus difficiles sont attendus en début d’année 2023 où on sera toujours dans la crise et où un certain nombre de mesures d’aides au carburant et du bouclier énergétique ne seront plus aussi fortes qu’aujourd’hui », résume le sénateur LR Jean-François Husson, rapporteur général du budget au Sénat, avec un risque d’effet ciseau à la clef.
Devant les ministres, le rapporteur « a rappelé que jusqu’à maintenant, dialogue et Bercy, ce n’était pas deux mots qui se conjuguaient très harmonieusement… » Le sénateur LR de la Meurthe-et-Moselle joue cependant le jeu. Mais il avoue être « assez interrogatif ». « Il y a un volet communication, opération de séduction. Mais sur la communication, les Français ne sont pas dupes », soutient le rapporteur du budget.
« Il y a la mise en scène d’un dialogue dans un but de communication politique, mais en aucun cas une forme de coconstruction du budget » selon le socialiste Rémi Féraud
« Il y a la mise en scène d’un dialogue dans un but de communication politique, mais en aucun cas une forme de coconstruction du budget », ressent aussi le sénateur PS Rémi Féraud. « Il y a eu un débat politique avec la gauche, mais il n’y a aucune ouverture du gouvernement sur une possible taxe sur les superprofits. Il a été répondu par Bruno Le Maire un non clair et net pour le budget », regrette le sénateur PS de Paris. Il ajoute :
En fait, on nous présentait les arbitrages, point.
De son côté, le sénateur EELV Daniel Breuiller « n’en attendait pas énormément. Car les orientations budgétaires du gouvernement sont quand même très éloignées de nos propres choix. On n’avait pas d’illusion sur ce que ça pouvait donner », d’autant que « le cadre est très fermé, avec zéro hausse de fiscalité et le maintien d’un déficit à 5 % », « mais les écologistes n’ont jamais refusé le dialogue ».
Les droits de succession, « c’est l’os à ronger » pour la droite
S’il y a bien une volonté de présenter « en amont » le budget, « il n’y avait aucune marge de manœuvre, sauf peut-être, à droite, sur les droits de succession », constate Rémi Féraud. Une promesse de campagne de Valérie Pécresse et… d’Emmanuel Macron. Mais pas sûr que la droite s’en satisfasse. « C’est l’os à ronger », lâche Jean-François Husson. « Et il a bien été dit que ce n’était pas dans le PLF. Mais que pour ceux qui voudront en discuter, il est possible de l’évoquer. On peut imaginer préparer des choses. Je pense que c’est un peu une incitation, et plus si affinité, voire peut-être le début de quelque chose dès ce PLF », pense le rapporteur du budget au Sénat.
« Le gouvernement a entrebâillé une fenêtre sur les droits de successions », résume Jean-François Husson. « C’est une manière d’obtenir les faveurs de tel ou tel, notamment les LR », reconnaît le rapporteur général, mais il entend « avoir l’intérêt supérieur du pays dans le viseur ». Et pour le sénateur LR, « dans les priorités du moment, l’enjeu de l’offre énergétique, intégrant l’enjeu climatique, est nettement au-dessus » de celui d’une baisse des droits de succession.
« Dans tous les slides qui nous ont été présentés, jamais la crise climatique n’a été évoquée »
L’écologiste Daniel Breuiller ne cache pas lui son « très grand étonnement car dans tous les slides qui nous ont été présentés, jamais la crise climatique n’a été évoquée… Alors qu’on met un fort accent sur la dette, j’ai demandé à ce qu’on mette le même accent sur la dette climatique, dont les conséquences sont même plus graves ».
Le sénateur EELV du Val-de-Marne note qu’« il y a beaucoup d’amour pour les entreprises » de la part du gouvernement, mais pas assez pour les collectivités locales, « qui au fond, sont des entreprises de service public ». Pour le sénateur écolo, « il faut que le fonds vert de 1,5 milliard d’euros soit multiplié par 10 pour atteindre 10 milliards ou même 15 milliards d’euros ».
Amendement sur les retraites dans le PLFSS ? « Les ministres n’ont pas vraiment infirmé »
Quant à la question de la réforme des retraites, qu’Emmanuel Macron compte finalement relancer rapidement, pour une application à l’été 2023, Bruno Le Maire s’est montré évasif. « Il a botté en touche, mais je pense qu’il y aura des tentatives », avance Jean-François Husson. L’idée d’un amendement dans le PLFSS (le budget de la Sécu) semble une possibilité. « Les ministres ont botté en touche », remarque également Rémi Féraud, « confirmant l’intention d’une réforme des retraites possibles l’année prochaine, mais disant que ça ne changerait rien à notre discussion, car cela serait neutre en terme de croissance et des comptes publics pour l’année 2023 ». Mais le socialiste note qu’« ils n’ont pas vraiment infirmé » la possibilité de faire passer la réforme à l’occasion de l’examen du PLFSS, cet automne.
Au final, « pour les parlementaires de gauche, on est sortis interrogatifs sur l’objet de cette réunion, sur l’intérêt, autre qu’avoir des informations et un coup de com' politique du gouvernement », soutient le socialiste Rémi Féraud. Même impression chez Jean-François Husson, qui a « senti que les participants ne se faisaient pas trop d’illusion ». Ils se donnent malgré tout rendez-vous dès demain, pour une nouvelle réunion, sur les dépenses.