Ce n’est pas à Davos que les acteurs se sont réunis mais bien à Paris, dans le XVIe arrondissement, au Conseil économique, social et environnemental (CESE). En clin d’œil à ce forum économique mondial en Suisse où se réunit chaque année tout le gratin des élites mondiales, Aziz Senni, président de l’association Quartiers d’affaires, a décidé de créer le « Davos des banlieues ».
Cette réunion met en relation des entrepreneurs des quartiers avec des décideurs publics et privés et des élus. Aziz Senni est parti d’un simple constat. Le taux de chômage dans les banlieues est 2,7 fois supérieur à celui de la moyenne nationale. Elles en concentrent 23 % et 42 % du taux de pauvreté du pays. « Depuis une trentaine d’années, les gouvernements se sont succédé mais la question de ce qu’on fait des territoires les plus pauvres d’un point de vue économique ne s’est jamais réellement posée », indique l’ancien porte-parole d’Hervé Morin pendant la campagne de l’élection présidentielle de 2012. Et de plaider « pour une banlieue rentable pour ses habitants, ses entreprises et ses collectivités ».
« Ce forum marque un tournant dans la manière dont nous abordons les banlieues »
Dans les allées du Palais d’Iéna, on peut croiser Xavier Niel, fondateur de Free, Najat Vallaud-Belkacem, ancienne ministre de l’Education nationale et présidente de l’association France Terre d’Asile ou Thierry Beaudet, président du CESE et pressenti pour Matignon avant la nomination de Michel Barnier. « Ce forum économique des banlieues est bien plus qu’un simple rassemblement. Il marque un tournant dans la manière dont nous abordons les banlieues : non plus comme des territoires en marge, mais comme des moteurs essentiels de notre croissance économique », s’est enthousiasmé ce dernier lors du discours d’ouverture de l’événement.
Parmi le millier de participants, il y a Tayeba Chaudhary, ingénieure de 33 ans. Elle est à la tête d’une entreprise de dix-sept salariés, lancée avec sa fratrie, spécialisée dans la lutte contre le gaspillage alimentaire. « On pensait avoir fait de grandes études, mais en tant que salariés on s’est aperçus qu’on n’avait pas été dans les trois meilleures écoles de commerce ou d’ingénieurs. Il y avait un écart avec les autres du fait de notre origine et cet écart ne nous permettait pas d’accéder aux mêmes postes », indique-t-elle à l’Agence France Presse. La jeune femme voit dans l’entrepreneuriat « un levier d’émancipation permettant d’être maître de son destin ».
A ses côtés, Sofiya El Manani-Oulhaci, dirige sept micro-crèches. « On peut être une femme d’origine maghrébine avec des parents analphabètes, avoir grandi et étudié en banlieue et réussir », assure la quinquagénaire. « Quand on vient du Val Fourré, un quartier sensible de Mantes-la-Jolie, il faut pousser pas mal de portes. Ça a été le parcours du combattant pour démontrer à une banque qu’elle peut me faire confiance et à une mairie qu’elle peut m’accompagner pour créer ma structure », souligne-t-elle.
« Cet événement permet de mettre la lumière sur les banlieues »
Le maire de Mantes-la-Jolie, Raphaël Cognet, est justement présent à ce forum. « En tant que maire, notre rôle est effectivement de mettre en place tous les dispositifs pour aider nos administrés », indique-t-il. « On ne peut pas tout faire. Ce n’est pas à nous de financer les projets, mais nous faisons le maximum pour que n’importe quel jeune sérieux soit accompagné, notamment avec l’aide des associations », poursuit celui qui est aussi Vice-président de la communauté urbaine Grand Paris Seine et Oise, enchanté de participer à une table ronde sur les investissements publics et privés dans les territoires.
« Cet événement permet de mettre la lumière sur les banlieues », se réjouit Pierre-Olivier Nau, président du Medef en Haute-Garonne. « Je suis toujours frappé du taux de chômage dans les quartiers alors qu’on n’a une force vive. Dans mon département, il y a dix-neuf QPV (Quartier prioritaire de la politique de la ville) et on dépasse les 25 % de chômeurs », signale celui qui a pris part à un débat sur la place de la réindustrialisation dans les banlieues.
« Les diagnostics ont déjà tous été faits, il faut passer à l’action »
En tant que présidente de groupe à l’Assemblée nationale, Cyrielle Chatelain était invitée à donner sa vision pour vivifier l’attractivité économique dans les quartiers. La patronne des Ecologistes au Palais Bourbon a cité trois enjeux : la lutte contre les clichés, l’investissement de l’Etat dans les services publics et la capacité à attirer des investisseurs. La députée réélue en Isère en juillet dernier est ravie d’avoir pu échanger avec les entrepreneurs. « J’ai remarqué qu’ils étaient très tournés vers l’écologie et le développement durable. C’est une très bonne nouvelle », souligne-t-elle.
D’autres sont moins enthousiastes au sujet de ce rassemblement. Marc-Philippe Daubresse, sénateur du nord les Républicains, dénonce « un énième coup de communication ». Pour l’ancien ministre délégué au Logement et à la Ville, ce forum est inutile. « Il y en a ras-le-bol. Les diagnostics ont déjà tous été faits, les pouvoirs publics doivent passer à l’action », s’agace-t-il. Et pour ça, celui qui a aussi été ministre de la Jeunesse, recommande de reprendre le plan Borloo sur les banlieues, « le seul travail approfondi sur le sujet », écarté par Macron au début de son premier quinquennat. Il prévoyait notamment de créer une grande école d’administration publique pour les jeunes de quartiers, un développement de l’alternance ou la création d’un observatoire national des discriminations.
« L’objectif c’est d’être aussi influent et connu que le salon de l’agriculture »
L’un des objectifs de cet événement était d’atteindre 100 millions d’euros de commandes. « Ce qui a largement été dépassé », certifie Aziz Senni, fier de la réussite de ces deux journées. La suite ? « Revenir l’année prochaine avec encore plus d’ambition. On souhaite davantage de soutien des grands groupes, des politiques, des présidents de régions, de départements et des maires. L’objectif final, c’est d’être aussi influent et connu que le salon de l’agriculture », affirme celui qui a aussi été un proche de Jean-Louis Borloo à l’UDI (Union des démocrates indépendants). En attendant, il va pousser pour créer un « Choose Banlieue » tel Choose France, un sommet annuel pour inciter les entreprises étrangères à investir en France et un « Made in Banlieue », tel Made in France, pour certifier la conception d’un produit dans les quartiers.