C’est une énième alerte sur l’état des finances publiques. La dette publique de la France a atteint à la fin du deuxième trimestre 112 % du produit intérieur brut (PIB), soit 3 228,4 milliards d’euros, un record, selon les chiffres publiés vendredi par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). Entre avril et juin, la dette de l’Etat s’est creusée de 68,9 milliards d’euros.
La dette des administrations de la Sécurité sociale poursuit sa hausse, avec une augmentation de 4 milliards d’euros, selon les données de l’Insee. En revanche, celle des organismes d’administration centrale a baissé de 4,7 milliards d’euros, ainsi que celle des administrations publiques locales, qui s’est contractée de 0,3 milliard.
En mars 2021, la dette publique était montée jusqu’au niveau record de 118,2 % du PIB, sous l’effet des mesures de soutien liées à la crise sanitaire, mais pour un montant global de 2 739,2 milliards d’euros. Depuis, le trou s’est encore creusé de quelque 400 milliards, en raison notamment des dispositifs de lutte contre l’inflation et la crise de l’énergie. La tendance s’est nettement accélérée ces deux dernières années.
De mal en pis
En 2023, le déficit public a enregistré un premier dérapage à 5,5 % du PIB, loin de la sacro-sainte règle européenne des 3 %. Pour cette année, le gouvernement tablait sur un déficit à 5,1 % du PIB, mais des documents transmis début septembre par Bercy aux commissions des finances des deux assemblées font état d’un glissement à 5,6 %. Mercredi, devant l’Assemblée nationale, le nouveau ministre des Comptes publics, Laurent Saint Martin, a finalement reconnu que le déficit public risquait de « dépasser les 6 % du PIB » en fin d’année.
« C’était inévitable. Le précédent gouvernement a fait voter un budget 2024 en sachant pertinemment que les indicateurs sur les prévisions de croissance n’étaient pas les bons. Après la dissolution, ils n’avaient plus aucune légitimité pour agir. Quant au nouveau gouvernement, il vient seulement de se mettre en place », résume le sénateur Jean-François Husson (ex-LR), rapporteur général du budget. « À l’arrivée, il se sera écoulé une année au cours de laquelle nous aurons laissé les comptes publics se dégrader sans jamais intervenir ».
Vers un effort budgétaire inédit
Le gouvernement présentera son projet de loi de finances pour 2025 la semaine du 7 octobre, avec au moins une semaine de retard sur l’agenda budgétaire fixé par la Constitution, en raison des atermoiements liés à la nomination du nouveau Premier ministre et de son gouvernement. Michel Barnier a indiqué vouloir miser en priorité sur les économies de dépenses, avant d’envisager des hausses de fiscalité, qui seront ciblées sur les plus hauts revenus et les grandes entreprises. « Le sujet est désormais sur la table. Ceux qui prétendent que l’on peut redresser la situation sans toucher à la fiscalité, les Darmanin, les Attal… font de l’électoralisme », s’agace Claude Raynal, le président (PS) de la commission des finances du Sénat.
« Ce sera comme monter l’Everest à mains nues, et sans crampon » soupire Jean-François Husson. « Il faut viser large, faire en sorte d’avoir une ambition assez grande pour que l’effort puisse se porter dans tous les secteurs, même s’il faut cibler », explique-t-il.
Une dette française de plus en plus cher à financer
Conséquence de la dégradation des comptes publics et des soubresauts politiques des derniers mois : la dette française coûte désormais plus cher que celle de l’Espagne, du Portugal ou de la Grèce, des pays du sud de l’Europe longtemps réputés plus dépensiers. Jeudi, sur le marché primaire, le taux auquel Paris emprunte sur dix ans, utilisé comme référence par les investisseurs, a dépassé celui de Madrid, ce qui n’était plus arrivé depuis 2006.
« Il faut prendre ça la tête froide. La dette française continue de s’acheter, ce qui signifie que les investisseurs sont confiants en nos capacités de remboursement », explique Claude Raynal. « Mais ils nous envoient un message clair : si rien n’est fait pour redresser la situation, ils vont continuer d’augmenter les taux. S’il y a une impulsion politique, elle se répercutera forcément sur les marchés. Là, nous sommes dans l’attente depuis des mois. »
Tenir les engagements européens
La France s’est engagée auprès de Bruxelles à remmener le déficit public à 3 % du PIB d’ici la fin du quinquennat, mais cet objectif apparaît de plus en plus difficile à tenir devant la situation des comptes publics. En avril déjà, le Haut Conseil des finances publiques estimait déjà que cet objectif « manqu[ait] de crédibilité ». Même constat du côté de François Villeroy de Galhau, le Gouverneur de la Banque de France, et de Pierre Moscovici, le premier président de la Cour des comptes, qui misent plutôt sur un délai de cinq ans pour parvenir à réaliser 100 milliards d’économies, à raison de 20 milliards d’euros par an.
« Les efforts qu’on nous demande, malheureusement, vont déborder sur la moitié du prochain quinquennat, ce qui me rend particulièrement amer. Sans compter qu’à partir de 2028, nous allons devoir commencer à rembourser le prêt commun pour le plan de relance européen », observe Jean-François Husson.
Placée en procédure de déficit excessif cet été par la Commission européenne, avec six autres pays, la France a obtenu de Bruxelles un délai supplémentaire pour la présentation de sa trajectoire de redressement des finances publiques, initialement prévue le 20 septembre, et reporté au 31 octobre. « 2029… 2030… Quelle que soit la trajectoire qui sera arrêtée, il faudra impérativement la tenir. Il y va de notre crédibilité. Il n’est plus possible de considérer, parce que nous sommes la deuxième puissance économique européenne, que l’on peut s’asseoir sur les règles communes, et donc les autres pays », avertit Claude Raynal.