Le patron de Renault demande un coup de frein sur le développement de la voiture électrique. Lundi, dans une interview au journal Les Echos, Luca de Meo, directeur général du groupe Renault, et président de l’Association des constructeurs automobiles européens, a estimé que l’objectif d’interdire les ventes de véhicules thermiques en 2035, adopté par l’Union européenne en 2022, était irréaliste. « Basculer en 12 ans de 10 % de part de marché pour les véhicules électriques à 100 %, c’est vraiment très compliqué. » Il estime que les ventes de véhicules électriques n’augmentent pas assez vite sur le marché européen (elles représentent 12% du marché actuellement), « alors qu’on demande aux constructeurs d’être à plus de 20% l’an prochain ». C’est pourquoi au nom des constructeurs automobiles européens, Luca de Meo demande « un peu plus de souplesse dans le calendrier ». « Il y a deux ans, la position de la France et celle de Renault Group ont été de dire que 2035, c’était trop tôt, et qu’il fallait plutôt viser 2040 », rappelle-t-il.
« Luca de Meo n’est pas à la hauteur de ses fonctions », regrette l’écologiste David Cormand
« Cette déclaration est très problématique et prouve que Luca de Meo n’est pas à la hauteur de ses fonctions », estime David Cormand, eurodéputé écologiste. « Il me fait penser au groupe Kodak à la fin des années 1990 qui ne croyait pas au numérique et qui a disparu. Il y en a ras-le-bol de ces constructeurs automobiles qui ne veulent pas prendre le virage de l’électrique. D’autant que c’est un objectif de moyen-terme. Je préfère citer le patron de Stellantis, Carlos Tavares, qui a déclaré il y a un an : « Je vais vous dire une chose très simple : chez Stellantis, nous n’avons aucun problème avec l’interdiction de vendre des véhicules thermiques en 2035 (…) Elle a été prise avec environ 13 ans d’anticipation donc je ne pourrais que saluer le fait qu’on nous donne du temps pour nous adapter. » L’eurodéputé socialiste Christophe Clergeau note que « ceux qui entretiennent l’incertitude sur le calendrier ne font aucune proposition pour accélérer la transition vers l’électrique. »
Pour le coordinateur de la commission Industrie au Parlement européen, l’eurodéputé Modem Christophe Grudler, « certes il y a des inquiétudes mais on entend surtout beaucoup d’industriels qui nous demandent de tenir la barre. Ils ont besoin de visibilité à long-terme. »
Son de cloche différent du côté des élus du Rassemblement national à Strasbourg, qui sont opposés à cette interdiction en 2035. « Ce que dit le patron de Renault correspond au sentiment de beaucoup de citoyens, notamment dans le milieu rural », estime le nouvel eurodéputé RN Aleksandar Nikolic. « Il n’y a pas une forte demande de voitures électriques, car le prix du véhicule est prohibitif, les distances sont trop grandes, les bornes de recharge encore trop rares. Cette interdiction en 2035 repose sur une volonté idéologique et pas populaire. »
Un objectif maintenu par la présidente de la Commission européenne
Cette déclaration du patron du lobby automobile européen intervient au moment où les institutions européennes renouvelées entrent en fonction.
Réélue la semaine dernière à la présidence de la Commission européenne par un Parlement européen renouvelé, Ursula von der Leyen a maintenu l’objectif d’interdire les ventes de voitures thermiques en 2035, pilier de son Pacte vert, lancé lors de son premier mandat pour atteindre la neutralité carbone en Europe en 2050. Elle s’est déclarée néanmoins favorable à l’autorisation après 2035 de la vente de véhicules roulant aux carburants synthétiques, produits à partir de CO2 et d’électricité. « Ce n’est pas une bonne stratégie », estime Christophe Clergeau, « car ces carburants synthétiques coûtent très cher, sont produits en quantité limitée, et devraient être réservés aux modes de transports qui ne peuvent pas être complètement électriques comme l’avion de ligne ou le tanker pétrolier. »
Une union des droites européennes pour assouplir le dispositif ?
Mais le Parlement européen, qui penche plus à droite, que jamais, pourrait-il voter d’autres assouplissements de cet objectif écologique, via une union des voix de droite et d’extrême droite ? C’est ce qu’espère Aleksandar Nikolic : « Certains élus de droite sont pour la clause de revoyure de cette interdiction en 2035. On espère qu’on reviendra dessus sinon ce serait la fin de notre industrie automobile. »
Pour Christophe Grudler, « il faudra juste vérifier l’avancement de l’Europe en termes de production d’électricité, de matières premières critiques comme le lithium et de batteries électriques. Mais nous sommes sur la bonne voie. Par exemple, la France produit 40% de ses besoins en lithium. »
L’écologiste David Cormand ne croit pas à un retour en arrière. « Il n’y aura pas de majorité dans cette direction car tout le groupe du Parti populaire européen (le PPE, groupe de droite, est le premier de l’hémicycle avec 188 députés), n’est pas favorable à un retour en arrière. Pas de majorité non plus sur ce point au Conseil européen (qui regroupe les 27 Etats-membres). » « Si Ursula von der Leyen s’engage sur cet objectif, c’est qu’elle a des garanties du groupe du PPE, sinon c’est un jeu de dupes », explique Christophe Clergeau.
Comment relever le défi d’ici 2035 ?
Toujours est-il que la marche est haute pour les industriels avant de pouvoir respecter cette interdiction en 2035 sans perte de chiffres d’affaires, alors qu’en 2024 le nombre de vente de véhicules électriques est en baisse dans certains pays (environ -30% en Allemagne et en Italie au premier trimestre). « Les pouvoirs publics doivent continuer à soutenir les industriels pour qu’ils réalisent leur transformation technologique et ils doivent aussi soutenir massivement la demande pour accélérer les achats de véhicules électriques », estime Christophe Clergeau. « Le gouvernement a lancé le leasing social, c’est-à-dire la location longue durée de véhicules électriques pour 100 euros par mois. La demande des ménages a très vite atteint 90 000 véhicules alors que le budget n’était prévu que pour 20 000 véhicules. Il manque parfois des moyens en face des objectifs. »
Pour David Cormand, l’Union européenne doit « se protéger contre le concurrent chinois dont l’Etat subventionne massivement ses véhicules électriques afin d’inonder le marché européen. Nous devons mettre en place une fiscalité à nos frontières. » En fin d’année dernière, la Chine représentait 70% du marché de la voiture électrique. « Si on recule sur cet objectif de 2035, nos concurrents vont se frotter les mains car ils pourront garder des parts de marché », prévient Christophe Grudler.