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Intelligence économique : « Il faut que ça devienne une culture commune », juge Marie-Noëlle Lienemann

Marie-Noëlle Lienemann (CRCE) et Jean-Baptiste Lemoyne (RDPI) ont présenté un rapport sur l’intelligence économique, et les enjeux de souveraineté qui en découlent. Outil encore très peu mobilisé par la France, les sénateurs proposent la création d’un Secrétariat général, rattaché au Premier ministre. Il permettra de mutualiser les forces de l’Etat et des entreprises, pour peser dans le monde.
François-Xavier Roux

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Jusqu’alors, l’intelligence économique trouve peu d’échos en France. Depuis 1980, la France connaît « une perte de souveraineté profonde et transversale », explique la sénatrice Marie-Noëlle Lienemann. Les raisons sont la désindustrialisation du pays, et la perte de parts de marché des entreprises françaises. Dans un monde de « plus en plus concurrentiel », il est indispensable que l’économie française parvienne à s’imposer sur le marché international. Une science s’est développée pour appuyer les stratégies de développement : l’intelligence économique.

Pierre-Marie de Berny, dirigeant du cabinet Vélite (spécialisé en intelligence économique), la définit comme la « capacité à comprendre et lire les jeux de compétitions économiques entre les Etats », mais aussi « à agir en mobilisant les capacités de l’Etat en bonne intelligence avec les entreprises ». Il est primordial que l’Etat accompagne ses entreprises, dans la défense de leurs intérêts, mais aussi pour la conquête de nouveaux marchés. C’est le thème d’un rapport dévoilé hier par Marie-Noëlle Lienemann (PCF) et Jean-Baptiste Lemoyne (RDPI). Leur principale préconisation est de doter la France d’une stratégie nationale, avec une institution interministérielle, et en lien étroit avec les entreprises.

La « naïveté » de la France à aller de l’avant

Pendant de longues années, la France a délaissé l’intelligence économique. Marie-Noëlle Lienemann parle même d’une « naïveté française » sur le sujet. En 1994, un premier rapport souligne « le retard de la France » par rapport aux autres puissances mondiales. En 2003, le député Bernard Carayon (UMP) produit un nouveau rapport. Mais en 29 ans, presque rien n’a changé. « La quasi-intégralité des constats établis par ces deux rapports pourrait être réitérée », explique la corapporteure Marie-Noëlle Lienemann. L’intelligence économique se découpe en deux volets : un offensif et l’autre défensif. Sur ce dernier, la sénatrice note toutefois une légère prise de conscience.

L’aspect défensif de l’intelligence économique consiste à « agir contre les prédateurs ». Pierre-Marie de Berny confirme le constat des sénateurs. La France est « beaucoup plus mûre sur le volet défensif ». Tous s’accordent sur l’efficacité à lutter contre les ingérences dans notre économie, ainsi que contre la cybercriminalité. Mais dans un monde avec des « pratiques offensives de mieux en mieux documentées », les sénateurs insistent sur le besoin de développer un outil performant, qui puisse évoluer au rythme des tensions croissantes. Marie-Noëlle Lienemann alerte toutefois sur la nécessité de garder une continuité dans nos structures, aussi bien défensives qu’offensives. « Sans arrêt, on change les structures », déplore-t-elle. Et cela est en partie responsable du retard de la France.

L’insuffisance des acteurs français

Les crises de ces trois dernières années ont permis à l’exécutif de prendre conscience que l’intelligence économique, et notamment la souveraineté économique, sont indispensables. Pour la sénatrice rattachée au groupe communiste, elles ont permis « de prendre conscience de la gravité de la guerre économique ». Le dirigeant du cabinet Vélite précise que « le Covid a ouvert les yeux », et « l’Ukraine est un second acte ». La pénurie de masques au premier semestre 2020 fut un révélateur du retard pris par la France en matière de souveraineté économique. Alors que depuis 2015 et les alertes du Sénat sur une baisse des stocks, les gouvernements successifs n’avaient pas pris en compte ces rapports. La vente de la branche énergie d’Alstom à l’américain General Electric en 2014, est un autre cas criant de manque d’intelligence économique, pour la sénatrice.

L’intelligence économique repose sur trois actions clés : la veille stratégique, la protection du patrimoine matériel et immatériel, ainsi que les opérations d’influence. Marie-Noëlle Lienemann a pu constater l’insuffisance de ces actions, mais surtout une absence totale de coordination. Elle regrette notamment le manque d’un « travail systématique de veille collective des entreprises et de l’Etat ». Les grandes entreprises se parlent peu, et les PME n’ont pas les moyens d’assurer ce travail. Il est donc indispensable, pour les sénateurs, que l’Etat lance un mouvement qui bénéficie à l’ensemble des acteurs économiques. La France est dans une position attentiste, où chacun « réagit à la dernière minute » et apporte « des réponses individuelles », regrette la sénatrice.

« Se mettre en alerte afin de défendre les intérêts stratégiques »

Les préconisations des sénateurs touchent toutes à la nécessité d’une stratégie nationale, pour valoriser l’intelligence économique. Le pays a « besoin d’un lieu qui brasse l’ensemble des enjeux », détaille la rapporteure. Elle reconnaît que « le gouvernement actuel a avancé sur la stratégie défensive dans les secteurs hyper stratégiques, et en nombre très limité ». Mais il faut multiplier ces initiatives à tous les secteurs et tous les acteurs. C’est pourquoi ils proposent la création d’un Secrétariat général à l’intelligence économique. Sous l’autorité du Premier ministre, il y aura des correspondants dans tous les ministères. Ils ont tous « des enjeux d’intelligence économique », explique Marie-Noëlle Lienemann. Par exemple, le sport porte une grande influence. C’est pourquoi il faut que la souveraineté économique « devienne une culture commune », car tout le monde est concerné.

Actuellement, la sensibilisation est « très hétérogène ». La sénatrice a remarqué que les très grandes entreprises sont déjà bien armées, et entretiennent des liens sur ces sujets avec Bercy. Mais la structure du Secrétariat général permettrait d’être « plus utile », en aidant aussi les acteurs économiques plus petits. Ces derniers sont prêts : « Il y a une forme de patriotisme économique » pour Marie-Noëlle Lienemann. Pierre-Marie de Berny s’est aussi rendu compte qu’à « tous les étages des entreprises, il y a des gens qui attendent qu’on libère le patriotisme économique ». Le rapport répond « à notre volonté de réaffirmer notre souveraineté », conclut la sénatrice.

L’idée d’un Secrétariat général répond à la volonté de mener une politique économique aussi bien défensive qu’offensive. « Il ne faut pas être naïf et être lucide », poursuit la sénatrice. Nous sommes dans un monde de plus en plus offensif, où les « partenaires concurrents » sont partout, sans être dans « le complotisme », précise Marie-Noëlle Lienemann. L’Ecole de Guerre Economique a sorti un rapport sur les tentatives allemandes d’affaiblissement de la puissance nucléaire française.

Dans la continuité du rapport, Marie-Noëlle Lienemann (PCF) et Jean-Baptiste Lemoyne (RDPI) veulent déposer une proposition de loi début septembre, avant les élections sénatoriales. Ils peuvent déjà compter sur le soutien de quatre groupes. Franck Montaugé (PS) et Serge Babary (LR) ont aussi été associés sur le rapport.

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