Après les amendes pour les entreprises qui ne publient pas leur bilan carbone, les modalités de consultation du public, et la réutilisation des friches industrielles, le Sénat poursuit l’examen du projet de loi sur l’industrie verte, ce jeudi. Ce matin, les sénateurs ont adopté l’article 9 du projet de loi, qui prévoyait initialement une « nouvelle procédure accélérée de mise en compatibilité des documents de planification et d’urbanisme pour les projets d’intérêts national ou d’intérêt écologique. »
« Un nouveau coup de canif dans les compétences d’urbanisme du maire »
Dans l’esprit du gouvernement, le but était de simplifier la procédure au niveau des documents d’urbanisme, et de laisser la main à l’Etat pour les permis de construire, pour les quelques projets industriels les plus importants chaque année. « On parle de projets pour lesquels chaque détail compte », a ainsi justifié le ministre de l’Industrie, Roland Lescure. « Sur ces cas particuliers, nous devons pouvoir donner de la visibilité aux investisseurs internationaux avec un interlocuteur unique. […] L’Etat devrait avoir le dernier mot sur le permis de construire pour pouvoir dire aux investisseurs : ‘la personne qui va s’occuper de vous de A à Z c’est le préfet’ », a poursuivi le ministre.
Seulement, les associations d’élus ne l’ont pas entendu de cette oreille. « Les associations d’élus ont exprimé leur plus vive réticence face à ce nouveau coup de canif dans les compétences d’urbanisme du maire après les projets de loi sur les énergies renouvelables et le nucléaire », a expliqué Laurent Somon, rapporteur LR du projet de loi, en fixant clairement « une ligne rouge » sur « l’intervention unilatérale de l’Etat dans les documents d’urbanisme. » La commission des Affaires économiques a ainsi « profondément remanié » le dispositif « pour garantir la participation effective des collectivités à toutes les étapes de la procédure. »
« Nous sommes pour le mot final des territoires, mais plutôt au début »
Si Roland Lescure a réaffirmé que le gouvernement était « prêt à faire évoluer » sa position, il ne s’est pas pour autant rangé sur la position de la commission des Affaires économiques et de la majorité sénatoriale. En soutenant un amendement du sénateur RDPI-Renaissance Bernard Buis, qui supprime l’avis conforme des maires en fin de procédure, et introduit la nécessité d’un accord du maire préalablement à la procédure de mise en compatibilité des documents d’urbanisme. Le ministre a tenté de « trouver une rédaction qui permettra de rassurer » les sénatrices et sénateurs. Et notamment « sur le fait qu’évidemment, un maire pourra s’opposer à un projet qu’il considère comme nuisible, mais avec une procédure claire pour permettre à la France d’exister dans la compétition mondiale. »
Le but : que l’accord des collectivités soit nécessaire avant le démarrage de la procédure, mais que l’Etat ait ensuite les mains libres pour mener le projet à bien. « À partir du moment où le maire dit ‘banco on y va’, on se met dans une logique où le préfet prend la main pour que l’interlocuteur unique soit le plus efficace possible. Le risque de la rédaction de la commission c’est que le maire pourra décider à la fin et qu’entre-temps l’investisseur dise qu’il va voir ailleurs. Nous sommes pour le mot final des territoires, mais au début, plutôt que de se lancer dans beaucoup de travail pour finalement que ça soit refusé », a détaillé Roland Lescure.
« Nous voulons que l’avis des collectivités soit recueilli tout au long du projet, pas seulement au début »
Mais le ministre n’a pas réussi à convaincre les sénatrices et les sénateurs, qui n’ont pas adopté l’amendement de Bernard Buis. « Nous voulons que l’avis des collectivités soit recueilli tout au long du projet, pas seulement au début », a notamment expliqué Sophie Primas, la présidente LR de la commission des Affaires économiques. « Je suis embarrassée par cette affaire », a aussi confié Françoise Gatel, présidente centriste de la délégation aux collectivités territoriales. « Est-ce que ça veut dire que dès lors que vous avez interrogé le maire, il n’a plus rien à dire si le projet évolue ? Je souscris à cette idée de se prononcer en amont pour ne pas balader les gens, mais je suis attentive à l’alerte du rapporteur. »
À gauche aussi, la logique du gouvernement était loin de convaincre. Franck Montaugé, sénateur socialiste a ainsi alerté sur le besoin d’associer les élus locaux aux grands projets industriels, notamment pour leur acceptabilité sociale et environnementale : « Notre Nation a besoin d’un grand récit. Les collectivités locales, les maires, constituent des relais de sens, pour faire comprendre et accepter ces grands projets : le texte qui nous est proposé les place en situation extrêmement difficile. On veut arriver à gagner du temps, monter ces projets rapidement, mais si on les dessaisit de cette manière-là, on peut avoir des blocages que l’on connaît actuellement. »
Il a été rejoint par le sénateur communiste Fabien Gay : « Ce n’est pas contre les collectivités qu’il faut réindustrialiser, c’est avec. Quand une entreprise veut s’implanter. Elle regarde le bassin d’emploi, les lycées professionnels, les transports : c’est tout un écosystème. Là on découpe la question sujet par sujet, en silo. » Le texte devra encore être examiné en première lecture à l’Assemblée nationale les 12 et 13 juillet, puis un compromis devra être trouvé en commission mixte paritaire sur cette question.