Pour le plus célèbre des moteurs de recherche, sécher sur une question est toujours un peu gênant. C’est pourtant ce qu’il s’est produit avec les dirigeants de Google France, auditionnés ce 24 mars devant la commission d’enquête du Sénat relative à l’utilisation des aides publiques. Les représentants de la branche française de la puissante multinationale américaine n’ont pas pu donner le montant, même indicatif, des exonérations de cotisations sociales ou encore du CICE (crédit impôt pour la compétitivité et l’emploi) dont l’entreprise a automatiquement bénéficié, comme toutes les sociétés immatriculées en France.
Les trois premiers groupes auditionnés par la commission d’enquête ont pourtant été en mesure de fournir chacun à leur tour un chiffrage de ces aides, qu’il s’agisse de Michelin, Auchan, ou encore de Renault, le constructeur au losange étant auditionné juste avant le géant des services numériques.
« On ne voit pas l’argent qui ne nous a pas été demandé, puisqu’il n’apparaît pas. Cela nécessite de regarder le calcul du début jusqu’à la fin. Il ne peut être qu’approximatif […] Ce chiffre n’existe pas, il faut le recalculer », s’est excusé Benoît Tabaka, secrétaire général de Google France au rapporteur de la commission, le sénateur communiste Fabien Gay.
« Vous n’êtes pas une TPE-PME qui n’a pas les moyens ! » s’exclame le rapporteur
Étant face à une commission d’enquête parlementaire, Google France aura à apporter des éléments complémentaires sous forme écrite. L’absence de réponse ce lundi a toutefois constitué un impair qui a crispé le duo sénatorial chargé de la plupart des questions. « Vous ne pouvez pas commencer cette commission d’enquête sur ce format-là », a estimé le président (LR) de la commission, Olivier Rietmann. « D’autant plus quand on connaît votre domaine d’action. La précision, ça vous connaît. On démarre sur une mauvaise base », s’est exclamé le sénateur de la Haute-Saône. « Vous n’êtes pas une TPE-PME qui n’a pas les moyens. Tout le monde a fait l’effort ! » s’est également étonné le rapporteur Fabien Gay, en référence aux précédentes auditions. « Le CICE, c’était de l’argent versé à l’entreprise, donc de fait, vous devriez au moins connaître le montant. »
Calculé sur la masse salariale d’une entreprise (hors salaires supérieurs à 2,5 fois le Smic), le CICE a été versé de 2013 à 2018, avant d’être transformé en baisses pérennes de cotisations sociales. « Nous avons regardé depuis 2020, je ne suis pas remonté jusqu’en 2013. On vous le partagera. Ce n’est pas que nous ne voulons pas le partager avec vous, ce n’est que je ne l’ai pas aujourd’hui », a reconnu Sébastien Missoffe, directeur général de Google France.
Selon le dirigeant, compte tenu de la taille de Google France en 2013-2014, les montants versés au titre du CICE n’étaient « pas très significatifs ». Concernant les allègements de cotisations sociales, son secrétaire général a indiqué que la « quasi-totalité » de ces abattements s’appliquait sur les forfaits sociaux, qui concernent les dispositifs de participation et d’intéressement, versés aux salariés. Sur les salaires, cela « ne représente pas des sommes significatives », a estimé Benoît Tabaka.
« Nous n’avons sollicité aucune aide publique directe », assure le directeur général de Google
Ce n’était pas la seule réponse surprenante, depuis le début des travaux de la commission d’enquête. Un propos a également tranché avec les auditions des trois entreprises françaises. Mis à part ces allègements, automatiques, les responsables de Google France ont affirmé qu’aucun soutien financier public n’avait été demandé. « À ma connaissance, nous n’avons sollicité aucune aide publique directe, auprès de l’Etat ou de collectivités territoriales en 2023 », a affirmé son président.
Durant la crise sanitaire, Google France n’a par exemple jamais sollicité de dispositifs de soutiens gouvernementaux, comme le chômage partiel. Idem sur le front des actions de philanthropie ou de mécénat, pouvant donner lieu à des réductions d’impôts. « Nous n’avons jamais sollicité en France d’avantage fiscal, sous une forme ou une autre », a assuré son président.
Une autre révélation n’aura pas manqué de surprendre les sénateurs : Google, qui fait de son développement et de l’innovation l’un de ses atouts majeurs, n’a pas, « à ce jour », formulé de demande pour toucher le crédit impôt recherche. « C’est un choix très surprenant », a réagi le rapporteur Fabien Gay.
« La recherche et le développement sont organisés de façon globale chez Google », a expliqué le directeur général. « On n’a pas fait la demande, car ce n’était pas un dispositif dont on avait besoin pour créer cet écosystème en France », a appuyé le secrétaire général.
Le cas de figure est tellement inhabituel en France que le rapporteur général de la commission a dû demander une nouvelle confirmation sur cette non-perception ou demande d’aides directes. « On a regardé ligne par ligne », a assuré Sébastien Missoffe, qui a affirmé ne pas avoir connaissance d’un éventuel soutien à l’installation de l’entreprise sur le sol français en 2004. « Je n’ai pas cet élément ». Dans le cas contraire, « c’était probablement de l’argent bien placé », a-t-il jugé, en référence aux 1 400 salariés que compte désormais Google en France.
« Ce n’est pas la présence ou l’existence de ces aides spécifiques qui ont guidé nos décisions d’investissements »
Fabien Gay s’est demandé si l’absence de sollicitation d’aides publiques ne cachait pas des « raisons politiques », voire un moyen de ne pas attirer l’attention. « Google monde connaît parfaitement les questions fiscales de chaque pays. Son installation est bien pesée, tout est pesé. Vous avez décidé en réalité de ne pas demander de subventions parce que vous avez une question autour de la fiscalité, et vous le savez […] Il apparaîtrait pour un groupe comme le vôtre, d’organiser de l’optimisation fiscale et de toucher des aides publiques, je pense que ce ne serait pas une bonne publicité. » Le sénateur de Seine-Saint-Denis a par ailleurs estimé que le CICE, par exemple, ne changerait « strictement rien » au modèle économique de Google.
« Ce n’est pas une décision politique », a de nouveau souligné Sébastien Missoffe, quant à l’absence de crédit impôt recherche. La raison tient, selon lui, à la manière dont est organisée la recherche à l’échelle internationale du groupe. Quant à la compétitivité, le chef d’entreprise a voulu préciser que Google n’était « pas juste un long fleuve tranquille ». « Il faut continuer à innover, ce sont des nouveaux usages. On a investi des montants significatifs en recherche et développement. Nous sommes challengés par de nouveaux acteurs. »
« On a une cohérence depuis 21 ans en la matière, ce n’est pas la présence ou l’existence de ces aides spécifiques qui ont guidé nos décisions d’investissements en matière de recherche », a ajouté le secrétaire général Benoît Tabaka, ajoutant que la maison mère Google était redevable d’un taux d’impôt effectif de 20 %.
Après un démarrage compliqué en début d’audition, le président de la commission d’enquête a rappelé à ses interlocuteurs, mais également aux prochains dirigeants qui suivront : « Il ne faut pas commencer en prenant les sénateurs pour des lapins de trois semaines. »