Les conseils teintés d’avertissements se multiplient au chapitre des finances publiques. Dimanche soir, c’était au tour du gouverneur de la Banque de France d’apporter sa pierre à l’édifice, à travers sa traditionnelle lettre adressée au président de la République et aux présidents des deux assemblées. En cette année marquant le 25e anniversaire du lancement de l’euro, François Villeroy de Galhau a longuement axé son propos sur la nécessité d’approfondir le marché unique. Et dans un espace économique où les différentes économies sont arrimées à une même monnaie, le document n’a pas fait l’impasse sur la situation budgétaire française, nettement dégradée depuis la récente actualisation du déficit de 2023.
« Agir d’abord sur les dépenses »
En écho à l’avis du Haut conseil des finances publiques, le banquier central appelle l’exécutif dans sa missive à « affronter la vérité et faire preuve maintenant de crédibilité ». Le message vaut aussi bien pour les trajectoires pluriannuelles que pour les prévisions de croissance. Concernant les voies et moyens pour enrayer l’aggravation du déficit, le gouverneur de la Banque de France a, là aussi, délivré des conseils à l’attention de l’Élysée et des ministres. « Attendre seulement d’une future accélération de la croissance ou d’un retour au plein emploi la résolution de cette dérive est une illusion entretenue depuis trop longtemps », a-t-il écrit. Et d’appeler les pouvoirs publics à « agir d’abord sur les dépenses », pour aboutir à une « quasi-stabilisation globale en volume ».
Autant de messages que le rapporteur général de la commission des finances au Sénat, Jean-François Husson (LR), fait siens. « Le gouverneur de la Banque de France dit la même chose que ce que je dis, au nom de la majorité sénatoriale », approuve le sénateur de la Meurthe-et-Moselle, qui cherche à faire la lumière depuis mars sur le dérapage des comptes publics. « Ce qui m’inquiète, c’est quand le président de la République explique qu’il n’y a pas de problème de dépenses mais de recettes. J’appelle le président de la République à un sursaut, il faut arrêter la procrastination. Evidemment qu’il faut corriger cette fâcheuse addiction à la dépense publique », insiste le parlementaire.
François Villeroy de Galhau admet que tout redressement aura un « effet modérément restrictif sur la croissance à court terme », il estime néanmoins que le contexte est « plutôt favorable » pour enclencher ce mouvement. Sur France Inter, le haut fonctionnaire a répété qu’il était probable que les taux d’intérêts baissent dans la zone euro au mois de juin. De quoi stimuler l’activité et les investissements. « Si le contexte est plus favorable, raison de plus faire un peu plus d’efforts. Ce n’est pas un problème de recettes, sinon nous serions parmi les meilleurs élèves de la zone euro. C’est simplement la conséquence d’un certain nombre de choix malheureux qui ont persisté trop longtemps », soulève Jean-François Husson.
Le gouverneur de la Banque de France suggère un élargissement de l’assiette de certains impôts
Derrière l’accent mis sur la colonne des dépenses, le gouverneur de la Banque de France n’occulte pas non plus le levier que peut constituer l’impôt. En avertissant d’emblée : « Aucune mesure fiscale réaliste ne sera à la mesure de la dérive des dépenses ». François Villeroy de Galhau note que « les baisses d’impôt successives depuis 2014 ont contribué à nos déficits ». La « première priorité » seraient donc de « de suspendre toute nouvelle baisse d’impôt non financée, sur les entreprises comme sur les ménages ». Là encore, le gouverneur invite à la prudence, alors que Gabriel Attal s’est réengagé à diminuer de deux milliards d’euros les impôts des classes moyennes. L’exécutif a par ailleurs en ligne de mire la poursuite de la baisse des impôts de production, comme la CVAE (contribution sur la valeur ajoutée des entreprises), dont la disparition progressive a été étalée jusqu’en 2027.
« On avait aussi demandé d’attendre avant de baisser certains impôts. Cette espèce de frénésie d’annonces a commencé par la suppression de la taxe d’habitation et s’est poursuivie par celle de la redevance audiovisuelle. Le pays s’est endetté, ce n’est ni raisonnable, ni responsable », observe Jean-François Husson.
Étant donné « l’ampleur du redressement à opérer », François Villeroy de Galhau note que des mesures fiscales peuvent être prises « en complément » des économies de dépenses. Le gouverneur suggère par exemple « sans tabou » d’élargir certaines assiettes d’impôts ou encore de revoir certaines « niches », qui profitent « majoritairement » aux grands groupes ou aux ménages les plus aisés.
Sur ce point, le rapporteur général de la commission des finances du Sénat se veut prudent. « Il ne faut pas être dogmatique, ni fermé. Mais je ne crois pas que la solution soit, aujourd’hui, les taxes et les impôts. On a déjà le record d’Europe ». Quant au sujet sensible des niches fiscales, le sénateur assure qu’il faut « accepter de regarder ». « Nous avons voté au Sénat 7 milliards d’euros de mesures d’économies l’an dernier », rappelle-t-il.
Cycle d’auditions sur le déficit : le sénateur Jean-François Husson fait le parallèle avec le Fonds Marianne
Au Sénat, la commission des finances sera d’ailleurs l’un des acteurs principaux de la reprise des travaux parlementaires fin avril. L’hémicycle débattra avec le gouvernement sur le contenu du programme de responsabilité. Le contenu de la feuille de route budgétaire, qui sera transmise ensuite à la Commission européenne, a déjà été accueilli avec scepticisme.
Jean-François Husson se prépare aussi à un mois de mai chargé en auditions, dans le cadre de sa mission flash destinée à faire l’autopsie du grand écart des prévisions budgétaires ces derniers mois. Le rapporteur annonce vouloir rendre ses conclusions « avant l’été ». Un programme d’auditions – dont certaines seront publiques – a été arrêté. « Le gouvernement doit la vérité aux Français. Je souhaiter avoir une opération finances publiques propres. C’est une manière de restaurer la confiance que les Français devraient avoir dans leurs représentants », nous explique-t-il. Un an après des auditions le Fonds Marianne, très suivies, Jean-François Husson ne cache pas avoir « un peu en tête » cette expérience de contrôle. « Je veux travailler dans le même d’esprit ».