Une somme colossale. Elle correspond à deux fois le budget du ministère de la Justice. C’est aussi quasiment l’équivalent du déficit de la Sécurité sociale pour 2025. L’an dernier, les différentes administrations ont détecté 20 milliards d’euros de fraudes, de différentes natures (fiscale, sociale, douanière, aux aides publiques), a annoncé ce vendredi la ministre des Comptes publics, Amélie de Montchalin, lors d’une conférence de presse. Elle a fixé l’objectif de doubler ce montant d’ici 2029.
L’État a pu récupérer sur cette somme près de 13 milliards d’euros, une « somme record », selon Bercy. Le chiffre est loin d’être négligeable alors que les finances publiques sont dans une passe difficile. Sur les seules fraudes fiscales, les services ont notifié 16,7 milliards de droits et de pénalités à des particuliers ou des entreprises, à la suite de contrôle. C’est deux fois plus qu’en 2020. La direction générale des finances publiques a encaissé 11,4 milliards d’euros, soit 0,85 de plus qu’en 2023.
Le ministère de l’Économie et des Finances ne compte pas en rester là, et va intensifier davantage les contrôles au cours des prochaines années. « Nous continuerons d’augmenter les moyens humains et technologiques », a annoncé Amélie de Montchalin, dans la lignée du plan mis en place par l’un de ses prédécesseurs en 2023, Gabriel Attal.
Un recours à l’intelligence artificielle de plus en plus important
Le contrôle fiscal s’est modernisé grâce à une utilisation accrue de l’intelligence artificielle du datamining, un processus qui consiste à trouver des anomalies et des corrélations dans de grands ensembles de données. Ces techniques ont permis de mettre en recouvrement 2,5 milliards de droits et de pénalités l’an dernier, soit 0,4 de plus sur un an. « On est méthodique. Quand on identifie une fraude, on fait les choses de manière massive, cela permet une détection et un recouvrement plus grand », a motivé la ministre.
Concernant la Sécurité sociale, 2,9 milliards d’euros de fraudes ont été détectés en 2024. La ministre du Travail et de la Santé, a évoqué un « enjeu financier absolument majeur ». « La fraude au recouvrement social est majoritairement le fait d’entreprises. Le travail dissimulé est l’un des enjeux les plus importants », a-t-elle expliqué.
La ministre espère progresser dans le recouvrement des sommes, plus difficile actuellement pour la sphère sociale. Elle souhaite par ailleurs ouvrir un nouveau chantier, récupérer une partie de l’argent « gagné frauduleusement » par des trafiquants par exemple, sur le modèle de la rétroactivité qui existe déjà pour l’administration fiscale. « Pourquoi ne pas être créatif, et avoir la capacité de mettre un peu de CSG sur le sujet », a-t-elle suggéré. Une fenêtre de tir s’ouvre avec l’examen à l’Assemblée nationale de la proposition de loi de lutte contre le narcotrafic.
« Il y a un certain nombre d’éléments qui ont été mis en œuvre dans le domaine fiscal et qu’il faut simplement translater, et faire appliquer dans le domaine social. Ce n’est pas moins grave de frauder les cotisations que le fisc », a approuvé Amélie de Montchalin.
Un accent mis sur la lutte contre les fraudes aux aides publiques
Outre le domaine fiscal, et les cotisations sociales, le gouvernement veut également mettre un coup d’arrêt à la fraude aux aides publiques. L’an dernier, l’État a évité 480 millions de fraudes dans ce domaine, dont 229 sur MaPrimeRénov’et 236 M€ sur les certificats d’économie d’énergie.
L’ancien ministre des Comptes publics, Thomas Cazenave, est à l’origine d’une proposition de loi pour bloquer davantage en amont les opérations frauduleuses. Elle a été adoptée à l’unanimité à l’Assemblée nationale, et chemine désormais au Sénat, qui doit l’examiner les 18 et 19 mars en commission, avant les débats en hémicycle le 2 avril.
Le texte prévoit notamment la suspension du versement d’une aide, en cas de suspicion de fraude aux aides publiques. Le gouvernement annonce qu’il déposera un amendement afin que l’escroquerie aux finances publiques en bande organisée soit considérée comme un acte criminel. « C’est une position de bon sens, qui va renforcer notre capacité à poursuivre et punir ceux qui se lancent sur des faits extrêmement graves », a insisté Amélie de Montchalin, qui dénonce une forme de « fraude industrielle ».
Le ministère veut enfin « accélérer le partage d’informations » entre les administrations, en mettant notamment en place une base de données unique des RIB frauduleux, ce qui permettra d’être mieux armé dans la lutte contre l’usurpation d’identité.