Dans un entretien accordé aux Echos ce 6 octobre, Gérald Darmanin, fermement opposé à la hausse de la fiscalité proposée par le gouvernement Barnier pour les plus aisés et certaines entreprises, suggère au Premier ministre plusieurs pistes d’économies. Parmi celles-ci, l’ex-ministre de l’Intérieur, et avant cela des Comptes publics, demande de « mettre fin définitivement aux 35 heures dans le privé, (…) et passer à 36 ou 37 heures dans le public ».
En rouvrant le dossier du temps de travail, le député du Nord s’attaque à un véritable serpent de mer. Depuis l’adoption de la réforme mise en œuvre par Martine Aubry, en 2000 pour les entreprises de plus de 20 salariés et en 2002 pour les petites entreprises, les tentatives de détricotage des 35 heures ont été nombreuses.
« Les entreprises n’ont pas perdu avec la mise en place des 35 heures »
Dès 2002, alors que la réforme de Martine Aubry n’est effective que depuis quelques mois, l’élection de Jacques Chirac entraine des assouplissements de la loi notamment en termes d’heures supplémentaires. Leur seuil est relevé de 130 heures à 180 heures par an et par salarié. Les ajustements de la réforme se poursuivent après l’élection de Nicolas Sarkozy en 2007, qui fait voter la même année la loi TEPA (loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat). Celle-ci exonère d’impôts sur le revenu et réduit les cotisations salariales et patronales pour les heures supplémentaires au-delà de 35 heures. Un an plus tard, une nouvelle loi vient renforcer l’autonomie des entreprises dans la gestion du temps de travail, le contingent d’heures supplémentaires n’a par exemple plus besoin d’être autorisé par l’inspection du travail s’il dépasse 180 heures par an.
Malgré tous les ajustements qui permettent d’allonger la durée effective du travail au-delà de 35 heures, les gouvernements de droite se sont bien gardés de remettre en cause cette réforme. Pour Éric Heyer, économiste et directeur du département analyse et prévision de l’OFCE, les entreprises ont trouvé dans cette réduction du temps de travail un « nouvel équilibre ». « Macroéconomiquement, les entreprises n’ont pas perdu avec la mise en place des 35 heures. Certes, elles payent leurs salariés de la même manière pour moins d’heures de travail. Mais, ce temps de travail n’a dans les faits pas été réduit de 4 heures hebdomadaires, mais plutôt de deux heures. Il a également été compensé par une annualisation du temps de travail et des aides de l’État », observe l’économiste.
Alors qu’il n’était pas encore à l’Élysée, le ministre de l’Économie Emmanuel Macron s’était également exprimé pour une forme de remise en question des 35 heures. Dans un entretien accordé au Nouvel Obs en novembre 2016, il avait par exemple suggéré une sortie du dispositif pour les jeunes salariés, plaidant pour « plus de souplesse, plus de flexibilité ». Élu président de la République, Emmanuel Macron n’a toutefois pas rouvert le dossier. En réalité, le discours politique autour du temps de travail a bien évolué depuis l’adoption des 35 heures, explique Éric Heyer : « Aujourd’hui, on touche davantage à la durée effective du travail et pas à sa durée légale. En fonction du contexte économique, on encourage sa réduction via le chômage partiel, comme lors de la pandémie de Covid, ou bien on encourage au contraire les heures supplémentaires. »
Un impact sur l’économie difficile à mesurer
Aujourd’hui, dans le cadre des débats sur le budget 2025 et en raison de la situation de déficit du pays, c’est davantage la question du coût du dispositif qui est sur la table. Dans son entretien aux Echos, Gérald Darmanin estime ainsi que la fin des 35 heures permettrait « un gain de 4 milliards d’euros, rien que dans le [secteur] public ».
En réalité, l’impact économique de la réduction du temps de travail est difficile à mesurer. « Il est certain que les aides de l’État aux entreprises pour la mise en place des 35 heures ont un coût. Mais il est aujourd’hui impossible à chiffrer. On sait que les allègements de cotisations sociales pour les entreprises coûtent 75 milliards d’euros par an, mais ce chiffre représente une accumulation de dispositifs qui vont bien au-delà des aides mises en place par Martine Aubry », analyse Éric Heyer.
En raison des multiples ajustements de la réforme, son impact global sur l’économie française reste donc difficile à mesurer. Une chose est sûre, pour faire des économies, la suppression des 35 heures devrait donc s’accompagner de la fin des allègements de cotisations sociales dont bénéficient les entreprises au titre de ce dispositif. « Si le gouvernement décide de mettre cette idée sur la table, les entreprises seront vent debout. La mise en place des 35 heures, ce n’est pas seulement une diminution de la durée du travail, ce sont aussi des aides et une flexibilité données aux entreprises grâce à l’annualisation du temps de travail. On ne peut pas décider de supprimer un point du dispositif tout en maintenant les deux autres », affirme Éric Heyer.
Une durée moyenne de travail hebdomadaire supérieure à 35 heures
Dans les faits, les Français travaillent en réalité déjà plus de 35 heures par semaine. Selon les chiffres de la Dares, les salariés travaillent en moyenne 36,2 heures par semaine, un chiffre stable depuis la fin de la pandémie de Covid-19, qui avait entrainé une réduction du temps de travail. Selon ces mêmes chiffres, depuis l’instauration de la réforme en 2000, la durée de travail moyenne des Français n’a d’ailleurs jamais réellement atteint les 35 heures.
Des chiffres qui cachent tout de même de grandes disparités. Chez les indépendants, la durée de travail est en constante diminution depuis le début des années 2000, mais atteint toujours plus de 42 heures hebdomadaires. Une durée évidemment divisée par deux chez les salariés à temps partiel, qui travaillent en moyenne plus de 22 heures par semaine.
Pour nuancer les propos de son collègue sur les bancs de l’Assemblée nationale, Gabriel Attal propose d’ailleurs de gommer ces disparités, en demandant l’application effective des 35 heures « dans toute la fonction publique ». « On sait qu’aujourd’hui, notamment dans les collectivités locales, tout le monde ne le fait pas », assure-t-il. Une mesure qui, selon l’ancien Premier ministre, « rapporterait un milliard d’euros ».