Premier tour de chauffe pour le gouvernement et son projet de budget 2024 à la commission des finances du Sénat. Le projet de loi de finances, sorti du Conseil des ministres ce 27 septembre, repose sur trois objectifs à concilier : protéger les Français de l’inflation et poursuivre le verdissement du pays, tout en consolidant les finances publiques, dégradées par trois années de crises et de chocs à répétition. La réponse de Bercy à cette difficile équation a difficilement convaincu en l’état les sénateurs de la commission des finances.
Lors de la traditionnelle audition des ministres de l’Economie et des Comptes publics, les oppositions majoritaires au Sénat n’ont en effet guère partagé l’optimisme de Bruno Le Maire. Les inquiétudes répétées du président du Haut Conseil des finances publiques, Pierre Moscovici, plus tôt dans la même salle, ont semble-t-il posé l’ambiance dans l’aile ouest du palais du Luxembourg.
Soucieux de rassurer ses partenaires européens tout comme ses créanciers, dans un contexte d’envolée des coûts de la dette, le gouvernement a présenté un budget qui engage 16 milliards d’euros d’économies, dont 10 rien que sur les dispositifs instaurés en urgence il y a un an en pleine crise des prix de l’énergie. « Ces économies ne sont pas faciles, contrairement à ce que j’entends dire ici ou là, ce n’est pas facile de retirer totalement le bouclier sur le gaz et l’électricité. Nous le ferons », s’est défendu Bruno Le Maire devant les sénateurs.
Le projet de loi de finances, sur lequel les débats s’annoncent houleux à l’Assemblée nationale, prévoit de stabiliser le déficit public de 4,9 % du PIB en 2023 à 4,4 % du PIB en 2024. En euros, le déficit se chiffrerait à 145 milliards d’euros, sur un total de 491 milliards de dépenses l’an prochain, contre 496 en 2023. « Nous dépensons cinq milliards d’euros de moins. C’est un effort notable dans une période d’inflation », a insisté le ministre. Et de souligner que ce projet de loi de finances donne une impulsion « solide » à la trajectoire de redressement pluriannuelle qui doit aboutir à un retour du déficit sous les 3 % du PIB d’ici 2027.
« Depuis six ans que vous êtes au ministère des finances, jamais vous n’avez baissé la dépense publique »
Pas de quoi impressionner le rapporteur général du budget, Jean-François Husson (LR), requinqué par sa réélection dimanche, après des semaines d’interminable campagne. « Il y a un monde entre une partie des propos et la situation telle qu’elle est ressentie sur les territoires », a fait observer le sénateur de Meurthe-et-Moselle. « Depuis six ans que vous êtes au ministère des finances, jamais vous n’avez baissé la dépense publique. Même en enlevant les mesures de crise, les dépenses publiques ont augmenté […] Je ne vois pas d’économies, quasiment toutes les missions budgétaires continuent d’être à la hausse. »
Déplorant « l’absence totale d’économies structurelles », le parlementaire exprimant la voix de la majorité sénatoriale de droite et du centre a reproché au gouvernement de vouloir « renvoyer la responsabilité aux parlementaires ». Pour le sénateur LR Antoine Lefèvre, l’Etat « semble aujourd’hui se réengager dans une logique du quoiqu’il en coûte », quand le centriste Hervé Maurey s’est dit « très étonné » par « l’autosatisfaction » affichée par le gouvernement.
Bruno Le Maire s’est défendu en rappelant qu’en 2017 et 2018 le gouvernement avait sorti la France de la procédure de déficit excessif. « Mon objectif, ce n’est pas l’austérité, c’est d’avoir de la dépense publique bien employée, une dépense publique qui augmente moins vite que l’inflation. » L’ancien membre des Républicains en a profité pour critiquer son ancienne famille politique, où deux camps s’affrontent selon lui. D’un côté, les partisans du rétablissement des finances publiques « mais qui ne cessent de proposer des dépenses supplémentaires ». Une référence directe au groupe LR de l’Assemblée nationale partisan d’un remise générale sur les carburants. De l’autre côté, les sénateurs, peu emballés par cette idée l’an dernier. « Je me range plutôt du côté de Bruno Retailleau et de Gérard Larcher. Faire des remises générales sur les carburants, c’est une triple erreur », a estimé le ministre, lequel a tenu à partager la paternité de ce dispositif phare de l’année 2022 avec les députés LR. Cette fois, au lieu d’une remise générale de 20 centimes par litre, coûtant 12 milliards d’euros à l’Etat en rythme annuel, le gouvernement propose une prime carburant de 100 euros par an à plus de 4 millions de foyers modestes. Coût total : 430 millions d’euros. « On peut débattre du ciblage », a proposé Bruno Le Maire.
Dans la foulée de leur président Hervé Marseille ce matin, les centristes ont proposé au gouvernement de se pencher également sur l’autre versant du projet de loi de finances, à savoir le volet des recettes. Jean-Michel Arnaud a ainsi sondé le gouvernement sur leur idée de taxe sur les profits exceptionnels. Pour le sénateur des Hautes-Alpes, plutôt que de « faire l’aumône auprès des grands groupes pétroliers », il faut faire en sorte que « ceux qui se sont gavés dans la période puissent restituer une partie de leurs superprofits. »
Le groupe Union centriste remet sur la table l’idée d’une taxe des superprofits
Bruno Le Maire n’a pas fermé la porte à prolonger la contribution européenne instauré en 2022 sur les profits des producteurs d’électricité, la taxation dite de la « rente inframarginale ». Celle-ci doit s’arrêter à la fin de l’année. « Si les parlementaires estiment qu’il faut maintenir cette contribution, avec Thomas Cazenave nous sommes totalement ouverts à maintenir cette contribution sur les rentes inframarginales », a indiqué le ministre.
La ligne rouge du gouvernement de pas introduire d’impôts supplémentaires lui a également valu quelques critiques au sein du groupe socialiste. « Le projet de loi de finances ressemble à un vertigineux exercice d’équilibriste », a ainsi reproché le sénateur Thierry Cozic. Selon le sénateur de la Sarthe, « sans nouvelles recettes, notamment fiscales », le triptyque protection contre l’inflation, investissement dans l’écologie et réduction de la dépense publique « ressemble fort à un triangle d’incompatibilité ».
Sur l’environnement, plusieurs sénateurs n’ont pas manqué de reprendre le ministre au sujet de sa déclaration surprise au Parisien. Dans une interview très commentée jusqu’au sein de la majorité présidentielle, Bruno Le Maire s’est dit favorable à reporter l’interdiction de louer des logements énergivores, en pleine crise immobilière. Face à la commission des finances du Sénat, le numéro 2 du gouvernement n’est pas allé jusqu’à réitérer sa proposition choc. « J’appelle juste à ce que ces mesures, leur application, soient soutenables pour les gens, c’est tout », a-t-il simplement répondu, encourageant à apporter des « solutions ». Plus généralement, le logement s’est aussi imposé dans les questions. Très critiqué pour le recentrage du prêt à taux zéro, Bruno Le Maire s’est dit prêt à retravailler le zonage mais également à envisager un « prêt à taux intermédiaire », pour inclure davantage de publics dans la cible.
Autre engagement budgétaire fort, le bonus pour l’achat de véhicule électrique n’a pas été davantage précisé. La sénatrice LR Christine Lagarde demandait à disposer de la grille des véhicules éligibles. D’après Bruno Le Maire, les arbitrages sur le bonus ne sont pas encore rendus.
De son côté, Thomas Cazenave, le ministre des Comptes publics, a invité les sénateurs à faire des propositions « pour aider » le gouvernement dans les revues de dépenses, appelées à se reproduire chaque année. « Toutes les bonnes volontés sont les bienvenues. » Une proposition dont va devoir se saisir le Sénat dans les semaines à venir.