Entreprises : les pistes du Sénat pour stopper la « prolifération normative »

La délégation aux entreprises du Sénat a adopté ce matin à l’unanimité un rapport pour combattre « le mal si français qu’est la surcharge administrative ». Ces mots sont ceux de Serge Babary (LR), président de la délégation. Ce rapport sur les normes applicables aux entreprises comporte sept recommandations pour alléger ce poids qui freine les entreprises françaises.
François-Xavier Roux

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Normes étatiques nationales, normes des autorités déconcentrées (les préfets), normes des collectivités territoriales, etc. Voici trois des sept autorités dont émanent les normes. Le stock de normes en vigueur est inconnu. Mais le rapport a réussi à chiffrer le nombre de mots qui composent les normes étatiques nationales. 44,1 millions de mots forment le flux de ces normes (lois, ordonnances, décrets, arrêtés). A ceux-là il faut rajouter toutes les autres normes. Au niveau des entreprises, les codes sont de bons indicateurs de la « prolifération normative ». Depuis 2002, le code de l’environnement s’est épaissi de 653%. Le poids des normes constaté par les sénateurs devient un poids pour la compétitivité des entreprises en France. Les PME, du fait de leurs tailles, subissent cette lourdeur. C’est la concurrence des marchés qui est ainsi fragilisée. Pour corriger ce fardeau, dénoncé depuis 1966 par Georges Pompidou : « Il y a trop de lois, trop de textes, trop de règlements dans ce pays ! », l’Etat a du mal à appliquer des décisions efficaces. C’est pourquoi la délégation propose sept recommandations. L’allègement des normes permettrait de renforcer « la compétitivité de notre pays ». Alors que la France occupe le 107ème rang sur 140 pays pour le fardeau administratif, selon l’indice de compétitivité mondiale.

« Des normes toujours trop nombreuses »

Les sénateurs dressent un constat peu flatteur du monde de la réglementation qui touche les entreprises. Depuis plus de 30 ans, différentes institutions alertent sur « l’accumulation de normes contraignant les entreprises ». Dès 1992, le Conseil de l’Etat dénonce « un fardeau normatif ». En 2016, il parle même de « menace pour l’Etat de droit ». Mais ces constatations n’ont pas stoppé l’inflation normative. Entre 2002 et 2023, « c’est plus 76% d’articles qui ont attrait à une norme supplémentaire ou une obligation supplémentaire pour les entreprises » nous explique le rapporteur Olivier Rietmann (LR). Ce pourcentage correspond à 95 000 articles. Tous les codes utilisés par les entreprises subissent la même augmentation galopante d’articles. Le code du commerce a cru de 364% sur cette période, et celui de la consommation de 311%. Pour Olivier Rietmann, les législateurs ont un rôle dans cette multiplication. Cependant « il y a aussi une attitude de l’administration qui aujourd’hui n’est pas toujours dans une facilitation » et « un accompagnement des entreprises ». Les rapporteurs du texte, Olivier Rietmann avec Jean-Pierre Moga (UC) et Gilbert-Luc Devinaz (SER), appellent à une « profonde révolution culturelle ».

La déferlante normative entraîne tout un problème de compétitivité. « C’est un des endroits sur lequel on a un vrai potentiel d’économie et de rentabilité pour nos entreprises », explique Olivier Rietmann. Mais l’application des normes coûte à la France « 60 milliards d’euros c’est-à-dire 3% du PIB ». Au niveau des entreprises de tailles intermédiaires, le coût des normes revient à 28 milliards d’euros. Rapporté à leur chiffre d’affaires, il est équivalent à 2,3%. Le « fardeau de la réglementation empêche donc aux entreprises françaises de pleinement être compétitives. Elles partent avec du retard par rapport aux autres entreprises européennes. L’idée de compétitivité par rapport aux autres nations est l’un des sujets majeurs pour les sénateurs. Alors que la balance du commerce extérieur est largement négative, il faut comprendre pourquoi la France a du mal à s’imposer sur les marchés. Pour cela « il faut aller voir ce qui se fait dans les autres pays » selon le sénateur Rietmann. Ce problème est « dû à un excès de norme » poursuit-il. Les entreprises ne sont pas réticentes à appliquer les normes mais celles-ci ne sont pas adaptées. Le sénateur Moga regrette que « l’administration soit insuffisamment à l’écoute des entreprises ».

« Alléger le fardeau normatif »

Depuis que le problème est dénoncé, et cela ne date pas d’hier, les choses n’ont pas l’air de changer. L’administration « s’investit davantage dans le contrôle et la sanction que dans le conseil et l’accompagnement ». Or, elle « doit produire moins de circulaires » et être plus pédagogue. Pour mettre fin aux surnombres des normes, « il faut partir de la base » expliquent les sénateurs. Cela signifie donc qu’il faut se pencher sur le flux plus que les stocks. Dans les recommandations figurent la création d’une instance qui aurait comme « première obligation d’analyser à travers des études d’impacts et des tests PME », l’impact qu’aurait l’application des normes sur les entreprises. Le comité, constitué de 4 à 6 individus originaires du monde de l’entreprise, rendrait des avis. Ils seront adressés au gouvernement, au Parlement et au public. Sauf si la norme obtient un avis favorable, son initiateur sera obligé de revoir sa copie. Avec ce comité, « on va permettre de simplifier énormément les choses sur ce domaine-là » juge Olivier Rietmann. Les études d’impact seront accompagnées de tests PME. Inspiré par ce qui se fait dans les autres pays, le « test PME » vise à « confronter l’étude d’impact théorique de sa mise en œuvre concrète avec une évaluation grandeur nature ». L’application de ces recommandations permettrait de mettre fin au flux incontrôlé, et surtout inadapté, de normes.

Toutefois, « il ne faut pas attendre un choc » met en garde le sénateur Rietmann. « La simplification est une politique de long terme mais, pour réussir, elle ne doit pas être un enjeu politique ». Il faut parvenir à un consensus partagé entre toutes les parties prenantes. Olivia Grégoire, ministre déléguée aux PME, a été auditionnée la semaine dernière par la délégation. Les sénateurs se félicitent de l’attention qu’elle porte au sujet. Dans les préconisations des sénateurs se trouve la création d’un Haut-commissariat dédié à la simplification. En lien direct avec le Président de la République, il pourrait « impulser la simplification dans les administrations ». Il est indispensable d’avoir un « suivi au plus haut de l’Etat » pour les sénateurs. Le dialogue avec les entreprises se ferait au niveau du comité qui revêt le rôle de « porte-parole des entreprises ». Les PME et les TPE seront intégrés au projet via les tests d’applications des normes. Les grandes entreprises ne sont pas au cœur du travail de la délégation car leur taille leur permet d’encaisser avec moins de difficultés les normes : « Qui peut le plus peut le moins ». Si les Pme et les TPE s’adaptent sans souci à la norme en test, alors Olivier Rietmann n’est pas inquiet pour les entreprises de taille supérieure.

« Nous sommes optimistes »

Par le passé, de nombreuses autres initiatives ont vu le jour. Mais aucune n’est parvenue à réellement endiguer le problème. Entre 2007 et 2012 ont été promulguées des lois de simplification d’origine parlementaire. En 2014 a été créée un Conseil de la simplification pour les entreprises, mais qui a été dissous en 2017. Mais pourquoi ce rapport va-t-il faire bouger les choses selon les sénateurs ? Au-delà de leur détermination, ils possèdent plusieurs indices pour être aussi « optimistes » que le président Babary. Du côté des entreprises, le soutien a toujours été présent. Du côté de l’administration, les sénateurs ont pu constater l’intérêt qu’ils suscitent. De plus, adopter ces réglementations rejoint la volonté d’Olivia Grégoire de faire basculer d’ici la fin du quinquennat 500 PME en ETI (entreprises de taille intermédiaire). La nouveauté avec ce rapport avec ce qu’il s’est fait dans le passé réside dans l’angle choisi pour résoudre le problème. Les sénateurs privilégient un travail sur le flux avant de s’attaquer au stock. Mieux réguler permettrait de mieux gérer toutes les normes dans un second temps, flux et stock réunis. La balle se trouve donc dans le camp des parlementaires. Les rapporteurs du texte prévoient de constituer une proposition de loi qui serait débattue à l’automne.

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