Emploi des seniors : le président du MEDEF confirme l’échec des négociations et déplore une lettre de cadrage trop restrictive du gouvernement
Par Alexis Graillot
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Il était très attendu. Quelques heures seulement après des négociations entre syndicats et patronat qui n’ont pas abouti à un accord, le président du MEDEF, qui a reconnu avoir passé « une nuit blanche », a pourtant répondu aux sénateurs pendant plus de deux heures, n’évacuant aucun sujet : concurrence internationale féroce, situation conjoncturelle, dialogue social, bien-être au travail, réindustrialisation, ou encore les sujets brûlants de l’assurance-chômage, de la taxation des superprofits, du taux d’emploi des seniors, ou de l’avenir des accords commerciaux bilatéraux, après le vote défavorable des élus du palais du Luxembourg sur le CETA.
« Télescopage de décisions contradictoires »
Reconnaissant que les discussions sur l’emploi des seniors avec les syndicats ne s’étaient pas avérées conclusives, le patron du MEDEF se refuse pourtant à se montrer trop sévère envers les partenaires sociaux : « La CFDT et FO ont beaucoup insisté pour que soient améliorés ou aménagés, les régimes de retraites progressives », explique-t-il, alors que « la lettre de cadrage du gouvernement nous interdisait toute dépense supplémentaire ». Dans la foulée, s’il salue que le taux d’emploi des 55-60 ans s’est « considérablement amélioré » et « se compare favorablement à la moyenne européenne », il constate que la situation d’emploi des plus de 60 ans constitue un « problème ». Prenant sa part, il critique bien volontiers les « mauvaises habitudes mises en place par les entreprises sur l’emploi des seniors » avec les plans de départs volontaires, tout en jugeant « dommage » que le CDI senior « ne verra jamais le jour ». « On aurait levé un frein à l’embauche », se veut-il, amer, estimant que « tout ne peut pas être réglé par les réglementations et les discussions de branches ». En revanche, pas de pessimisme exacerbé de la part de Patrick Martin, qui au regard de la démographie du pays, relève que « les entreprises auront besoin des seniors dans les années qui viennent ».
Pas de pessimisme non plus, sur l’échec de ces négociations en lui-même. S’il estime l’absence d’accord « malencontreux », étant donné que « le niveau de conflictualités dans les entreprises privées est à un plus bas historique », il qualifie les relations entre patronat et syndicats, de « très bonnes », prenant pour exemple les négociations sur la baisse des cotisations patronales, que les partenaires sociaux avaient accepté. Sur ce point, il se montre extrêmement mécontent de la reprise en main du gouvernement sur l’assurance-chômage, qui par la même occasion, souhaite supprimer la baisse des cotisations patronales votées. « On agit un peu à front renversé », tance Patrick Martin, qui explique une telle décision par des « raisons étroitement budgétaires », ce qui selon lui est « assez édifiant quant à la constance des convictions ».
Dans la même lignée, le patron des patrons a souhaité « pousser un coup de gueule » sur l’absence de publication des décrets d’application, à la suite du vote de la loi sur le partage de la valeur, en fin d’année dernière à l’Assemblée nationale. « Ce serait d’intérêt général de passer du discours aux actes », fulmine-t-il, dépeignant un « télescopage de décisions contradictoires », qui l’encourage, sortant quelque peu de son champ, à livrer un plaidoyer en faveur des études d’impact.
Une situation structurelle et conjoncturelle tendue
Evoquant également la situation locale comme internationale et rappelant la « fibre pro-européenne » de son syndicat, le président du MEDEF alerte sur une conjoncture qui « se dégrade », avec des « signaux de redressement [qui] tardent à se manifester ». En particulier, il a souhaité souligner « une situation critique dans toute la filière construction », déplorant « les 150 000 destructions d’emploi qui sont malheureusement pronostiquées dans la filière pour les prochains mois », ajoutant que ce chiffre pourrait être supérieur. Dans la même lignée, il s’est enquis d’une « baisse de 20% » de la vente de véhicules par rapport en 2019, ainsi qu’une « baisse des volumes dans la consommation alimentaire ». Tempérant les perspectives de croissance pour 2024, qu’il juge « sujettes à caution », il s’inquiète de « chiffres inquiétants dans l’intérim (…), en baisse de 8% sur le premier trimestre », ainsi que la baisse des investissements des sociétés non-financières. Ainsi, il exhorte la Banque centrale européenne (BCE) à revoir sa politique en matière de taux directeurs, estimant que « plus vite une baisse interviendra, mieux ce sera pour l’investissement ».
La tendance n’est guère plus réjouissante du point de vue structurel, si l’on suit les constats de Patrick Martin, qui décrit « une intensification très rude de la concurrence internationale », qui passe du côté des Etats-Unis par la mise en place d’« avantages commerciaux » et de « programmes de réindustrialisation massive ». Des politiques qui ne sont pas sans conséquence pour notre pays, le représentant patronal constatant qu’un « nombre croissant d’entreprises françaises sont en train de basculer très significativement aux Etats-Unis », à l’image du secteur de la chimie. A cet égard, il dépeint « un fossé qui s’est creusé » entre la France et les Etats-Unis en matière de croissance, d’investissements, de recherche et développement, d’innovation, de transferts de capitaux, ou encore de PIB en termes de pouvoir d’achat. Pour le président du MEDEF, la France, si elle était un Etat américain, serait aujourd’hui au 48e rang sur 50 Etats en termes de pouvoir d’achat, alors qu’elle était plutôt aux alentours du 15e rang il y a une vingtaine d’années. Un danger américain, peut-être, mais également chinois, l’Empire du milieu déployant une « stratégie prédatrice (…) pour s’emparer de secteurs d’activité très porteurs », à l’image du photovoltaïque ou des véhicules électriques.
« Les entreprises contribuent déjà beaucoup à l’effort de guerre »
Face à cette concurrence internationale qui se durcit de plus en plus, le patron du MEDEF se dit « très perturbé » par « un certain nombre de débats », notamment le souhait d’une partie du personnel politique de faire contribuer davantage les entreprises. « Les prélèvements obligatoires sur les entreprises françaises sont déjà les deuxièmes les plus élevés au monde », peste-t-il, estimant que « les décideurs économiques sont très soucieux d’avoir de la prévisibilité, de la lisibilité et de la stabilité ». « Tout ce qui introduit de l’incertitude est ravageur », regrette-t-il, jugeant que « l’aléa est le pire ennemi de la décision économique ».
A ce titre, il qualifie d’« erreur fondamentale », la suppression de l’exonération de cotisation patronale sur les salaires entre 2,5 et 3,5 SMIC, proposée par le député Renaissance, Marc Ferracci, en octobre dernier, sur la base de plusieurs travaux d’économistes. Des études qui ne convainquent pas Patrick Martin : « Ces travaux méconnaissent le panorama concurrentiel », critique-t-il, expliquant que cette tranche de salaires constitue « le cœur de la compétitivité et de l’attractivité ». « On touche les secteurs les secteurs les plus exposés à la concurrence », se désole le chef d’entreprise, qui milite au contraire pour « soutenir ce niveau de qualification d’emploi, qui est celui à partir duquel le différentiel de coût s’accélère le plus ». « Au-delà de 2.1 SMIC, l’Allemagne est plus compétitive de 16% », insiste-t-il, raison pour laquelle il relève que « nos entrepreneurs sont assez fébriles en ce moment ». « Les entreprises contribuent déjà beaucoup à l’effort de guerre puisqu’elles restent parmi les plus taxées au monde. On ne peut pas tenir cette trajectoire de décarbonation, être compétitif, augmenter les salaires et en même temps, augmenter les prélèvements obligatoires », tance-t-il, posant un certain nombre de « warnings », sur le retardement de la suppression de la CVAE, ainsi que les restrictions qui seraient apportées au crédit-impôt recherche.
« N’allons pas chercher de mauvaises économies ! »
Pas question cependant de céder à la démoralisation : « Le moral des troupes n’est pas si mauvais que ça, mais il ne faudrait pas qu’on ne nous envoie pas trop de signaux contraires ». A ce titre, s’il qualifie l’enjeu du plein emploi comme étant « important », il estime que « la stratégie la plus pérenne est de soutenir l’activité et l’investissement ». « N’allons pas chercher de mauvaises économies ! », avertit-il. Ce faisant, alors même qu’il se rend aujourd’hui même au Canada en compagnie de Gabriel Attal, pour rencontrer le Premier ministre canadien, Justin Trudeau, il en profite pour attaquer le vote de la chambre haute, il y a deux semaines, contre le CETA, traité de libre-échange bilatéral entre la France et le Canada : « La France est massivement bénéficiaire du CETA », soutient-il, décriant un « signal extrêmement inamical envers nos amis canadiens et envers nous-mêmes ». « D’autres réponses pouvaient exister », se désole-t-il. En tout cas, la décroissance ne semble pas du tout constituer une solution pour le chef d’entreprise : « Je ne vois pas comment en s’inscrivant dans une stratégie de décroissance, on pourra à la fois garantir l’emploi, le niveau de vie, la compétitivité, l’attractivité, et surtout le financement des efforts des entreprises sur le plan environnemental et la décarbonation », souligne-t-il, rappelant à cet égard les « 40 milliards d’euros d’investissement par an jusqu’en 2050 », qui ne pourront pas être dégagés « si les résultats liés à la croissance ne le permettent pas.
Enfin, Patrick Martin a été interrogé par les membres de la commission sur plusieurs sujets relatifs à la vie au travail, à l’image du télétravail ou de la semaine de quatre jours. Sur ce point, le chef d’entreprise a fait part de son « extrême prudence », appelant à « laisser la main aux entreprises ». Pas question de la même manière d’accorder une importance démesurée sur les sujets de mal-être au travail, même s’il ne nie pas qu’un sujet peut exister dans certains secteurs en tension : « L’image de l’entreprise n’a jamais été aussi bonne, 77% des salariés déclarent être bien dans leur entreprise », se félicite-t-il, sur la base d’une étude de l’Institut Montaigne, groupe de réflexion à tendance libérale. Similairement, il rappelle que « seulement 12% des Français estiment qu’il faut augmenter l’impôt sur les sociétés », déplorant par ailleurs que « l’entreprise et les salariés supportent une part trop importante des régimes sociaux ».
Nul doute en tout cas que le président du MEDEF aura à s’exprimer à de nombreuses reprises ces prochains, en attendant de voir la décision du gouvernement quant à l’assurance-chômage. En tout cas, il aura largement le temps de faire part de ses critiques à Gabriel Attal, les deux hommes effectuant le voyage ensemble au Canada.