Blocage des agriculteurs a la Villette d Anthon, France, 23 fevrier 2024

Egalim : un rapport sénatorial pointe le contournement de la loi des centrales d’achat à l’étranger

Le groupe de suivi des lois « Egalim » rend son rapport annuel sur l’évaluation de l’application du dispositif. Les sénateurs mettent en garde contre un bouleversement du cadre législatif et proposent « d’améliorer sans rigidifier ».
Quentin Gérard

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Face à la grogne des agriculteurs, les sénateurs ne veulent pas bousculer le mécanisme « Egalim ». Mieux l’appliquer et le fluidifier, ce sont les recommandations du groupe de suivi. Créé dans la foulée de l’adoption de la première loi « Egalim » du 30 octobre 2018, ce groupe de parlementaires, sous la houlette de Daniel Gremillet (sénateur LR) et Anne-Catherine Loisier (sénatrice centriste), rend chaque année un travail d’évaluation de l’application des lois « Egalim » de 2018, 2021 et 2023. L’objectif de ce dispositif est de mettre en place des mesures pour soutenir un revenu aux producteurs, améliorer les conditions de production et favoriser une alimentation saine.

« Egalim » face à la volatilité des prix

Premier constat du rapport : 2022 et 2023 ont représenté une rupture avec la stabilité économique des années 2010. A la suite de l’inflation du coût des matières premières lié à la guerre en Ukraine, « les tarifs négociés entre industriels et distributeurs ont rapidement été frappés d’obsolescence », indiquent les élus. En conséquence, de nouvelles négociations commerciales ont dû avoir lieu à l’été 2022. L’année suivante, le mécanisme inverse s’est produit. Face au ralentissement de l’inflation et aux tensions sur le pouvoir d’achat des Français, le gouvernement a proposé un texte visant à avancer les négociations pour obtenir des baisses de prix plus tôt que prévu.

Sur ce dernier cycle 2023-2024, le groupe de suivi note que « tous les acteurs auditionnés ont fait le constat d’un climat de négociations particulièrement délétère, caractérisé par le retour du rapport de force ‘pur et dur’ ». A l’époque, la pression déflationniste du gouvernement a conforté des demandes de baisses de tarifs des distributeurs. Les sénateurs pointent une logique « aux antipodes d’Egalim » qui doit normalement « construire le prix en partant du coût de production des agriculteurs afin de préserver leur rémunération ». A cause du renversement de ce principe, les rapporteurs ont même constaté que « les hausses du coût des matières premières agricoles ont parfois abouti à des baisses de tarifs ».

Un autre constat « alarmant » : les marques de la « ferme France » décrochent dans les rayons. En 2023, les volumes vendus sous marque nationale ont baissé de plus de 6 % par rapport à 2022. « Outre notre balance commerciale, ça se matérialise par une progression des produits dont la matière première agricole est d’origine ‘Union européenne’ou d’ailleurs, notamment au niveau des produits de marque de distributeur (MDD) », soulignent les parlementaires. « Ça illustre les limites de la stratégie de montée en gamme initiée en 2018 avec les objectifs ambitieux de la première loi Egalim », indique Daniel Grimillet. Le groupe de suivi alerte aussi sur le recul de la consommation en 2023 qui a plus fortement impacté les marques nationales que les MDD. Face à ça, Daniel Gremillet, sénateur LR et Anne-Catherine Loisier, sénatrice centriste, préconisent l’instauration d’un observatoire des produits sous marque de distributeur pour assurer un suivi de l’évolution de leur prix et origine.

Le contournement des centrales d’achat se poursuit

Dans la suite du rapport, les sénateurs des Vosges et de la Côte-d’Or notent « un déficit d’application, voire des contournements des lois Egalim ». Par exemple, la contractualisation écrite, généralisée par « Egalim 2 » pour les filières animales, n’est pas devenue la norme. En 2023, ce taux de contractualisation dans la filière bovine n’était que de 25 %. Les parlementaires appellent les interprofessions à poursuivre les efforts d’accompagnement à la contractualisation. Ils demandent aussi de réexaminer la liste des filières exonérées de cette contractualisation, comme les productions végétales et céréales. Un point positif. « Il y a bien eu un avant et un après « Egalim » en ce qui concerne les dialogues entre les organisations de producteurs et les entreprises », se réjouissent les élus. Notamment sur les indicateurs de référence, qui fournissent une base de discussion et un référentiel. « Cependant, de nombreux indicateurs ne sont tout simplement pas publiés par les interprofessions », pestent dans le même temps les sénateurs.

Un autre moyen de contournement : les centrales d’achat basées à l’étranger. Environ 20 % en valeur et jusqu’à 50 % en volume des produits commercialisés par la grande distribution seraient négociés en dehors de l’hexagone. Pour les rapporteurs, leur progression s’explique par deux raisons. « D’une part, les distributeurs considèrent que ceux qui n’ont pas recours aux centrales basées à l’étranger subissent un désavantage concurrentiel », soufflent-ils. « D’autre part, malgré l’affirmation de la loi du 30 mars 2023 (Egalim 3) du caractère d’ordre public des dispositions du cadre « Egalim », leurs pratiques ne sont pas systématiquement sanctionnées », ajoutent les deux parlementaires. Dans l’attente du projet d’Egalim européen, ils appellent à rendre ces sanctions obligatoires et exhortent les entreprises à faire preuve de responsabilité. Ils préconisent aussi que la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) transmette chaque année au Parlement les données relatives aux négociations effectuées en droit étranger.

« Améliorer sans rigidifier »

En amont comme en aval, les élus veulent « améliorer sans rigidifier » les dispositions actuelles. Par exemple, ils demandent que l’industriel mentionne, dans ses conditions générales de vente, les indicateurs utilisés à l’amont pour fixer le prix de la matière première agricole. Pour sécuriser les producteurs face à la volatilité des prix, ils recommandent qu’un poids prépondérant soit donné aux indicateurs de coûts de production dans les formules de détermination et de révision des prix. Ensuite, les sénateurs préconisent de préserver le principe d’une date butoir fixe pour les négociations commerciales. Tout en prévoyant pour les prochains cycles, des négociations plus courtes, closes le 1er février, contre le 1er mars aujourd’hui.

Le groupe de suivi souhaite aussi améliorer les clauses de révision. Depuis « Egalim 2 », les contrats incluent cette cause automatique du prix en fonction de la variation du coût de la matière première agricole. Pour les élus, son fonctionnement « demeure insatisfaisant ». Pour cause, elles sont activées dans seulement 20 % des cas. « Leur principal défaut tient à ce qu’elles ne sont pas soumises au principe de non-discrimination et font parfois l’objet d’une négociation dans la négociation », pointent-ils. Les parlementaires demandent donc que ces clauses figurent dans les conditions générales de vente de l’industriel afin d’être soumises au principe de non-discrimination et d’être incluses au socle unique de négociation. Ils proposent même de la remplacer par une clause tenant compte de l’évolution du coût des matières premières industrielles.

Une évaluation du relèvement du seuil de revente à perte de 10 %

Les rapporteurs saluent les « premiers bons résultats » de l’expérimentation du préavis en l’absence d’accord. Introduite par la loi « Egalim 3 », elle permet la possibilité pour le fournisseur d’appliquer un préavis de rupture en l’absence d’accord entre les parties à la date butoir. « Il permet de corriger partiellement le rapport de force qui permettait au distributeur de rompre la relation commerciale en l’absence d’accord à la date butoir », soulignent-ils. Daniel Gremillet, sénateur LR et Anne-Catherine Loisier, sénatrice centriste, demandent sa prolongation.

Pour finir, les élus souhaitent une évaluation des effets positifs du relèvement du seuil de revente à perte de 10 %. Concrètement, avec ce dispositif, si un distributeur achète à son fournisseur une pâte à tartiner 10 €, il ne peut pas la revendre aux consommateurs à un prix inférieur à 11 €. S’ils plaident pour la prolongation de ce système, en place pour l’instant jusqu’en avril 2025, ils rappellent la « circonspection du Sénat sur ce dispositif inflationniste, qui n’a pas démontré son effet en cascade sur la rémunération du producteur ».

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