Durcissement du bonus-malus automobile : « Ça s’appelle un impôt déguisé », dénonce Luc Chatel, représentant des constructeurs

Entre un malus qui s’annonce plus sévère et un bonus moins généreux, le représentant des constructeurs automobiles français, Luc Chatel, auditionné par le Sénat, pointe le risque sur un secteur en pleine transition vers l’électrique et confronté à la concurrence chinoise.
François Vignal

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C’est peu dire que le lobby de l’automobile n’apprécie pas la perspective d’une révision du bonus/malus auto, dans le budget 2025. Auditionné mercredi 1er octobre par la commission des affaires économiques du Sénat, son représentant, l’ancien ministre Luc Chatel, président de la Plateforme automobile (PFA), qui porte les intérêts de l’ensemble de la filière automobile, n’a pas caché le mal qu’il en pensait.

C’est en effet l’une des pistes que pourrait suivre le gouvernement, qui ne vise pas moins de 40 milliards d’euros d’économies dans son futur projet de loi de finances. Selon Le Monde, « il est prévu d’accentuer sur plusieurs années ce « malus CO2 » ». De plus, le montant maximal du malus passerait de 60.000 à 90.000 euros pour les véhicules les plus polluants en 2027. Le « malus masse », c’est-à-dire la taxe au poids, serait élargi, en passant le seuil de 1.600 à 1.500 kg en 2026.

« J’ai entendu le premier ministre expliquer qu’il ne voulait pas taxer ceux qui travaillent. Et bien là, on va taxer ceux qui travaillent »

Des perspectives qui inquiètent Luc Chatel. « L’année dernière, il y a eu 1,5 milliard d’euros de bonus, qui devraient l’an prochain, en 2025, être ramené autour 1 milliard d’euros. Donc on a une baisse de 30 % du bonus. Et en face, on avait un malus qui s’élevait autour de 1,3 milliard, qui, peu ou prou, compensait le bonus », souligne le président de la PFA. « Si on continue à diminuer chaque année le seuil d’émission de CO2 pour le déclenchement du malus, l’an prochain, il y a plus d’un véhicule thermique sur deux vendus en France, qui sera concerné, et non plus les 10 ou 20 % les plus pollueurs », ajoute Luc Chatel, qui met en garde : « On est sur Monsieur tout le monde. D’ailleurs des véhicules courants, toute la gamme Clio, toute la gamme 208, pourraient être touchées, les véhicules utilitaires légers seront touchés. J’ai entendu le premier ministre expliquer qu’il ne voulait pas taxer ceux qui travaillent. Et bien là, on va taxer ceux qui travaillent. Et comme on va avoir 1,8 milliard de recettes pour 1 milliard de dépenses, et bien, ça s’appelle un impôt déguisé », dénonce Luc Chatel. Il pourra le dire directement au nouveau ministre de l’Industrie, qu’il annonce voir « cette semaine ».

Quand on sait qu’« un véhicule électrique coûte 30 à 50 % plus cher qu’un véhicule thermique, les aides sont très importantes. Dès qu’on les a arrêtées en Allemagne, le marché s’est effondré », ajoute le responsable de la Plateforme automobile. Il résume : « Sur les bonus, nous avons besoin de stabilité, de lisibilité, de simplicité ». S’il assure que les constructeurs « veulent être à l’avant-garde du changement », par les milliards investis pour la transition vers l’électrique, le président de la Plateforme automobile alerte sur le contexte :

 Il y a un moment, faut arrêter de nous taper dessus. Nous sommes face à un marché atone, des investissements gigantesques, la concurrence chinoise, des difficultés qui s’ajoutent les unes aux autres. 

Luc Chatel, président de la Plateforme automobile.

Le secteur est actuellement en pleine mutation. « En France, la part de marché des véhicules 100 % électriques s’établit autour de 18 %, après avoir été multipliée par 10 en 5 ans », rappelle la sénatrice LR Dominique Estrosi Sassone, président de la commission des affaires économiques, dont une délégation de sénateurs vient de faire un déplacement en Chine pour rencontrer les constructeurs chinois, à la pointe de l’électrique. Mais « cette hausse a pour l’heure surtout profité à Tesla et aux acteurs chinois », remarque la sénatrice des Alpes-Maritimes.

« Nous pouvons perdre l’industrie automobile »

S’il souligne l’effort des constructeurs français pour rattraper leur retard sur les Chinois, Luc Chatel tire cependant la sonnette d’alarme : « En Europe, nous avons déjà perdu plusieurs industries : l’industrie de la chimie, l’industrie des télécoms. Nous pouvons perdre l’automobile », lance-t-il, ajoutant que « nous traversons une période horriblement compliquée et la fin de l’histoire n’est pas encore écrite ». Pour Luc Chatel, la clef du succès sera « l’innovation ».

L’interdiction de la vente de véhicules à moteurs thermiques, en 2035, fixée au plan européen, paraît dans ces conditions difficiles à tenir. Toute l’industrie la questionne, du moins dans son rythme. « Il n’y aura plus de véhicule thermique en 2035, donc plus d’hybride, plus d’hybride rechargeables » non plus, souligne Luc Chatel, qui renvoie vers la « clause de revoyure en 2026. Nous ne souhaitons pas revenir en arrière, nous souhaitons discuter de la pente, de la trajectoire. Nos amis allemands seraient favorables à réintroduire l’e-fuel ». Et quitte à paraître alarmiste et à dramatiser, Luc Chatel insiste : « Qu’il y ait encore une filière de l’industrie automobile en France dans 10 ans, ce n’est pas écrit ».

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