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Droits de douane : « Depuis la décision de Trump, des viticulteurs disent qu’ils veulent abandonner », raconte une sénatrice de Gironde

Face à la hausse de 20 % des droits de douane pour les produits européens, imposée par Donald Trump, les sénateurs ressentent « l’inquiétude » sur le terrain. Dans leurs départements, ils sont sollicités par les entreprises ou les viticulteurs dans les régions viticoles, particulièrement touchées. Mais petit à petit, « tout le monde regarde ce qu’il se passe aux Etats-Unis », constate le socialiste Hussein Bourgi.
François Vignal

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Depuis l’annonce par Donald Trump de hausses tous azimuts des droits de douane, ce ne sont pas que les marchés qui s’affolent. En France, beaucoup se posent des questions face aux 20 % de droits de douane supplémentaires décrétés par le président américain. Selon leur territoire d’élection, les sénateurs ressentent l’inquiétude monter. Ces retours de terrain ne sont néanmoins pas uniformes.

Si beaucoup de citoyens n’ont peut-être pas encore vraiment en tête les conséquences de cette décision, dans les départements viticoles, le sujet est évidemment en haut de la pile. Et les sénateurs, très sensibles à la cause, sont nombreux à relayer les inquiétudes du secteur.

« Le vin de Bordeaux exporte environ 70 % de sa production »

Florence Lassarade, sénatrice LR de Gironde, est en première ligne. « On a beaucoup parlé du Cognac, mais la viticulture est beaucoup touchée. C’est surtout à l’export qu’on vend notre vin, rouge surtout », souligne cette qui est aussi vice-présidente du groupe d’études vigne et vin de la Haute assemblée. Dans sa région, « si les grands crus sont moins ou pas touchés, tout ce qui est gamme moyenne, de bonne qualité, ne va pas trouver de marché. Si une bouteille à 8 euros passe à 15 euros, les consommateurs ne sont pas habitués à payer ce prix-là », souligne Florence Lassarade.

Pour le Bordeaux, ces droits de douane en hausse peuvent tourner à « la catastrophe ». « Le vin de Bordeaux exporte environ 70 % de sa production. Le marché français est en perte de vitesse », pointe la sénatrice LR, en contact avec les viticulteurs de Gironde. Alors que les difficultés sont là depuis longtemps, entre concurrence internationale, baisse de la consommation, changement climatique et surproduction, les droits de douane sont « la goutte d’eau » qui pourrait achever certains. « J’ai des retours sur des volontés de réorientation. Depuis la décision de Trump, des viticulteurs disent qu’ils veulent abandonner », alerte Florence Lassarade. La sénatrice de Gironde voit au moins un point pour limiter la casse : « Là, Trump taxe toute l’Europe, donc ça met sur un pied d’égalité vis-à-vis de l’Italie et de l’Espagne ».

« Les gens sont très inquiets, surtout dans le Midi dans la viticulture »

Dans l’Hérault aussi, on voit rouge. « Les gens sont très inquiets, surtout dans le Midi dans la viticulture », confirme le sénateur du département, Jean-Pierre Grand. Si bien que « certains n’expédient plus leur vin aux Etats-Unis, car ils ont peur qu’il ne soit plus vendable », ajoute le sénateur du groupe Les Indépendants.

Le sénateur socialiste de l’Hérault, Hussein Bourgi, a pu constater la situation en assistant vendredi dernier à l’assemblée générale de la FDSEA du département. « Il y a une grande inquiétude qui s’est manifestée. Surtout, cela rappelle de mauvais souvenirs de sa précédente présidence, où il avait déjà augmenté les taxes », rappelle le sénateur PS, qui avance quelques chiffres, qui donnent une idée des conséquences : « Dans l’Hérault, nous avons une indication géographique protégée, les vins du Pays d’Oc. 42 % de la production est exportée à l’étranger. Le premier pays, c’est l’Allemagne. Le sixième, ce sont les Etats-Unis. C’est un marché patiemment travaillé par les négociateurs. C’est 15 millions de bouteilles qui vont là-bas chaque année. Et c’est 97 % de vin rosé », cadre Hussein Bourgi. « Quand Donald Trump avait mis 25 % de taxes, les exportations des vins du Pays d’Oc ont chuté de 30 %. Quand on a quasiment 5 millions de bouteilles qui restent sur les bras, c’est quasiment un tiers », ajoute-t-il. Résultat, « tous les vignerons m’interpellent quand je les croise », raconte le sénateur. Ces droits de douane sont « considérés au même niveau que la sécheresse et la ressource en eau, qui sont des fléaux ».

Le sujet touche jusque « dans les communes rurales »

Le sujet touche jusque « dans les communes rurales. La politique américaine a fait son entrée à la cave, c’est-à-dire la cave coopérative où on amène le raisin pour le presser, puis le vinifier. Des gens me disent notre fils est vigneron, on se fait du souci à la cave », raconte Hussein Bourgi. Qui ajoute :

 La politique américaine fait irruption dans des endroits où on n’en aurait vraisemblablement jamais parlé. Tout le monde regarde ce qu’il se passe aux Etats-Unis. 

Hussein Bourgi, sénateur PS de l’Hérault.

Dans le Maine-et-Loire, le sénateur LR Stéphane Piednoir, voit aussi le problème pour « la filière viticole. On a les vins d’Anjou, le Coteaux du Layon, et des distilleries, comme la liqueur Giffard, qui exporte, ou le Cointreau, c’est chez nous. On le retrouve dans n’importe quel hôtel du monde », souligne le sénateur LR.

A l’inverse, l’inquiétude ne semble pas avoir atteint tout le pays, ou plutôt toutes les strates de la société. Certains sénateurs n’ont ainsi pas de retour particulier en circonscription, comme Guillaume Gontard, président du groupe écologiste. « Globalement, ce n’est pas le sujet numéro un chez moi. Je ne constate pas de grosse inquiétude. Forcément, il y a des discussions. Je vois plus une attitude d’observation », relate le sénateur écologiste. « Après, en l’Isère, je suis dans un territoire peu concerné, notamment par la question des alcools. On a bien la Chartreuse dans notre département. Mais c’est un modèle où il y a plus de consommation à l’échelle locale que d’exportations vers les Etats-Unis… Donc ça va. D’où l’intérêt de raisonner local ! » sourit Guillaume Gontard.

Dans la métallurgie, « la surtaxe les inquiète au plus haut point »

Les alcools ne sont évidemment pas les seuls touchés. En Haute-Saône, le sénateur LR Olivier Rietmann voit le danger pour l’entreprise « Sahgev, numéro 1 du vérin hydraulique en France. Ils sont en partie impactés car leur premier client, c’est John Deer (qui fabrique des tracteurs notamment, ndlr), aux Etats-Unis », ne peut que constater le sénateur LR, qui préside la délégation aux entreprises du Sénat. Il souligne que globalement, « il y a plus ou moins d’inquiétudes, car on ne sait pas encore. On est dans la phase de négociation ». Pour comprendre la situation, Olivier Rietmann explique que « Donald Trump a une ligne : il vise avant tout l’Asie. Et il a une obsession, c’est de ramener la fabrication aux Etats-Unis. Toutes les grandes boîtes ont délocalisé en Asie. Ce sont environ 20.000 entreprises qui ont fermé la porte, sur 10 ou 15 ans ». Quant à l’Europe, « il considère que la TVA est injuste. Pourtant, elle s’applique aussi sur les produits européens ». Pour sortir de la crise, « il faut que l’Europe rentre dans une phase de négociation. Il faudrait arriver à réduire la taxe à 10 %. Mais il faudrait qu’Ursula von der Leyen rentre très tôt dans la négociation ».

Stéphane Piednoir voit lui les conséquences sur « l’acier ». Il était « hier dans le nord du Maine-et-Loire, avec une société affineuse, qui travaille sur l’aluminium. Ils ont déjà pris de plein fouet l’explosion du coût de l’énergie. Et la surtaxe les inquiète au plus haut point ». Le sénateur LR pense qu’« un deal peut se faire, si l’Union européenne envoie un message assez fort ». Mais Stéphane Piednoir se dit « assez inquiet », quant au manque de réactivité de Bruxelles, alors que « l’Union annonce des mesures d’ici fin avril ».

« J’ai des retraités, qui sont très attentifs à leur pouvoir d’achat, et qui me demandent, à quelle sauce on va être mangés ? »

Le sujet monte également chez de simples citoyens. Hussein Bourgi « rencontre aussi des personnes, qui sont des Messieurs et Madames Tout-le-monde », qui s’inquiètent. « J’ai des retraités, qui sont très attentifs à leur pouvoir d’achat, et qui me demandent, quand on voit les bourses présenter des signes de faiblesse, comment ça va se passer pour nous ? Concrètement, à quelle sauce on va être mangés ? Car tôt ou tard, quand il y a une instabilité financière, sur la bourse, qui n’inspire pas la confiance, ça rejaillit sur l’activité économique, la consommation », souligne le sénateur PS de l’Hérault.

Hussein Bourgi note chez lui une situation « assez paradoxale, car il y a une dichotomie dans la réaction des gens. Il y a traditionnellement pas mal d’Américains ici, soit pour étudier, soit pour travailler, comme à IBM ou Dell. Donc on a une dichotomie entre un rejet de Trump et de son administration, et en même temps beaucoup d’empathie, de soutien et de bienveillance à l’égard des Américains ».

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