Paris : Meeting between Bruno Le Maire, Marc Fesneau, Olivia Gregoire and members of the French Banking Federation.

Déficit public : où et quand faire des économies ?

Alors que le gouvernement cherche 20 milliards d’euros pour l’année prochaine, l’économiste de l’OFCE, Eric Heyer, met en garde : « On est très proche du pire moment pour faire des économies ». Il appelle à « sanctuariser les dépenses sociales et les dépenses d’avenir ». Jean-Marc Daniel, professeur à l’ESCP, préconise lui, de « supprimer » des postes de fonctionnaires. Il veut même « supprimer le statut de la fonction publique ». Et préconise de davantage taxer l’essence : « On ne s’en sortira que si tout le monde fait des efforts, y compris les plus pauvres ».
François Vignal

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Où trouver l’argent ? Le gouvernement recherche des économies, c’est entendu. Et il en recherche beaucoup. Le coup de rabot de 10 milliards d’euros annoncé fin février n’est qu’une mise en bouche. L’exécutif prépare déjà un budget 2025 qui va secouer. Emmanuel Macron a réuni mercredi soir sur le sujet les principaux ministres et responsables de la majorité. L’exécutif s’est fixé comme objectif de dégager 20 milliards d’euros d’économies.

Mais la note pourrait être encore plus salée. La commission des finances du Sénat a fait une descente hier à Bercy. Plus exactement, elle a utilisé son pouvoir de contrôle sur pièces et sur place. Résultat de la visite surprise : le rapporteur général du budget au Sénat, le sénateur LR Jean-François Husson, confirme que le déficit sera de 5,6 % du PIB en 2023, soit +0,7 point comparé à la prévision initiale. Et si « rien n’est fait », les services du ministère de l’Economie prévoient un déficit qui se creuse à 5,7 % en 2024 puis 5,9 % en 2025… contre 3,7 % prévus jusqu’ici en 2025 par le gouvernement. Soit « un différentiel de l’ordre minimum de 65 milliards d’euros par rapport à ce qui est annoncé », alerte Jean-François Husson. « Nous verrons bien qui aura raison mardi prochain… », quand l’Insee donnera le chiffre définitif pour 2023, a simplement rétorqué le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, interrogé vendredi, à la mi-journée, sur BFM TV.

« Il n’y a pas d’urgence, il n’y a pas le feu au lac »

Face à ces chiffres, la question des économies devient cruciale, sachant que le gouvernement se refuse toujours à augmenter les impôts. Mais pour l’économiste Eric Heyer, la première question à se poser n’est pas où faire ces économies, mais quand ? « Idéalement, les meilleures conditions pour faire des économies, c’est quand l’activité repart, quand nos partenaires ne le font pas et que la Banque centrale soutient. L’objectif est de réduire la dépense publique sans qu’il y ait d’incidence sur l’activité », explique le directeur du département analyse et prévision de l’OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques). Car « si cela engendre des pertes de pouvoir d’achat ou de compétitivité, donc une moindre croissance, ça fera moins de recettes donc ça ne réduira pas le déficit ».

A l’inverse, « le pire moment pour le faire, c’est quand il y a un ralentissement économique, quand les autres pays le font et quand la Banque centrale a une politique restrictive. Est-ce qu’on n’est pas proche du pire moment ? On est très proche du pire moment pour le faire », tranche Eric Heyer.

Pour le responsable de l’OCFE, il est faux de dire qu’il n’y a pas d’autre choix. « On pourrait être un peu plus calme et avoir une vision un peu différente. Ce n’est pas vrai de dire qu’on a le couteau sous la gorge et que les marchés financiers disent que c’est insupportable », affirme l’économiste. Il relève que les signaux des marchés sont bons, la dette française est demandée et « le spread reste stable », c’est-à-dire l’écart entre les taux d’emprunt d’Etat français et allemand. Bref, « il n’y a pas de défiance. Il n’y a pas de signaux qui inquiètent », souligne Eric Heyer, qui ajoute :

 On n’est absolument pas la Grèce, comme dit Eric Ciotti, ce sont de grosses bêtises. 

Eric Heyer, directeur du département analyse et prévision de l’OFCE.

Alors pourquoi Bruno Le Maire entend maintenir un rythme soutenu de réduction des dépenses publiques ? « Soit, ils ne savent pas lire les chiffres, ou il fait de l’idéologie, en disant qu’il y a trop de dépenses publiques, point barre, donc faut les réduire », lance l’économiste. Bref, « il n’y a pas d’urgence, il n’y a pas le feu au lac », soutient Eric Heyer, qui a certainement pu passer le message. L’économiste rencontrait en visio, ce vendredi après-midi, des conseillers du cabinet de Bruno Le Maire…

Le responsable de l’OFCE n’écarte pas l’idée de faire des économies cependant. « Les nouvelles sont moins bonnes. Faire des ajustements me paraît normal. Mais il faut essayer de le faire en trouvant des économies qui ont des effets multiplicateurs le plus faible, c’est-à-dire des incidences qui freineraient l’économie ». Il ajoute : « Il faut être méticuleux et ne pas taper n’importe quelle dépense, car là, ça fait très mal, notamment les dépenses sociales ».

« On préfère taper sur les chômeurs plutôt que supprimer des niches fiscales inefficaces »

Eric Heyer donne au moins un bon point à Bercy : « Sur les 10 milliards d’économies, il n’y a pas le social, ce n’est que l’Etat. Là, c’est plutôt bien. Tant qu’à faire des économies, le moindre mal c’est de le faire sur l’Etat, plutôt que les dépenses sociales. Cela a une incidence plus faible. Et il faut sacraliser toutes les dépenses d’avenir, tout ce qui concerne l’environnement, l’éducation », qui ont pourtant payé le prix cher dans les 10 milliards d’euros d’économies… « Après, sur l’éducation, il est possible qu’il n’y ait pas que des dépenses d’avenir. Il y a la question de l’administration. Mais si vous allez chercher votre milliard chez les enseignants, c’est la catastrophe ».

Il résume : « Il faut sanctuariser les dépenses sociales et les dépenses d’avenir. Et il faut essayer d’aller gratter dans deux types de dépenses : la dépense de l’Etat, en regardant les grandes administrations, et la dépense fiscale, qui sont bien plus importantes. Il s’agit de toutes les niches fiscales, dont beaucoup sont inefficaces ». Mais Eric Heyer regrette qu’« on préfère taper sur les chômeurs (Bruno Le Maire veut réduire la durée d’indemnisation, ndlr) plutôt que supprimer des niches fiscales inefficaces. Car comme on dit, derrière chaque niche, il y a un chien qui aboie… Or sur les chômeurs, c’est inefficace et inégalitaire et ça ne rapporte pas énormément. Vous êtes très vite à l’os ».

« Le risque est de retomber dans la période 2011-2014, sous François Hollande »

Avec la politique menée, selon le directeur du département analyse et prévision de l’OFCE, « le risque est de retomber dans la période 2011-2014, sous François Hollande. On vote des budgets avec des efforts pour réduire le déficit, là c’était par l’impôt. Mais cette austérité fiscale cassait la croissance, donc peu de recettes et la réduction du déficit était faible. Cela avait commencé sous Nicolas Sarkozy ».

Selon Eric Heyer, « ce qu’il faut faire, c’est le strict minimum. On nous demande de respecter les engagements européens du Pacte. C’est faire un demi-point de PIB d’effort structurel, chaque année. C’est à peu près 14 milliards d’euros d’économies, et pas plus. Et essayons de les trouver sur les dépenses ou sur les recettes, dont les effets sur l’activité sont le plus faible possible ». Car l’économiste insiste : « Vouloir rattraper les retards sur le déficit, c’est le risque de casser la croissance et de ne jamais atteindre cet objectif ».

« Il faut faire 100 milliards d’euros d’économies, ça fait 14-15 milliards par an »

Autre son de cloche, avec Jean-Marc Daniel, professeur émérite d’économie à l’ESCP Business school. Il a sa petite idée sur le niveau d’économies à réaliser. « On doit avoir un déficit structurel égal à zéro. Et il est d’environ 100 milliards d’euros, d’après le gouvernement. Donc il faut faire 100 milliards d’euros d’économies, ça fait 14-15 milliards par an », lâche Jean-Marc Daniel. Un point sur lequel il pourra se rejoindre avec Eric Heyer. Mais pas sur le reste.

Le remède, à savoir les économies souhaitées par le gouvernement, ne risque pas de tuer le malade ? « Non, le discours comme quoi ce n’est pas le bon moment confond le déficit structurel et conjoncturel. Il faut accepter le déficit lié à la conjoncture, c’est-à-dire une baisse de rentrées fiscales ou lié à l’augmentation du nombre de chômeurs, il ne faut pas faire d’économies là-dessus », affirme le professeur d’économie.

Mais il soutient en revanche l’idée d’une réforme structurelle de l’assurance chômage, en touchant à la durée, comme veut le faire le gouvernement. « Il ne faut pas revoir le montant, mais la durée. Cette durée optimale, c’est entre 12 et 14 mois d’indemnisation. L’idée est de ne pas obliger de reprendre un emploi tout de suite, il faut une formation, mais il faut un caractère incitatif. L’idée n’est pas seulement de faire des économies, c’est de créer davantage d’emplois. Et les gens qui travaillent, créent de la richesse ».

« Il faudrait dire aux collectivités, vous diminuez les effectifs et vous mettez les gens au travail »

Plutôt que les 10 milliards d’économies, le professeur de l’ESCP vise une autre réforme structurelle, nécessaire à ses yeux. « Il y a trop de fonctionnaires. Il faut en supprimer. Je suis même partisan d’un comité de la hache. Les fonctionnaires perdraient leur emploi, avec des indemnités », propose-t-il. Un sujet sensible, sur lequel le gouvernement est revenu.

Mais pour lui, il faut aller plus loin encore. « Je pense qu’il faut supprimer le statut de la fonction publique. Il y a un tas de choses assurées par le secteur privé dans d’autre pays. Les dépenses de santé, ce sont les assurances privées qui les feraient, mais en concurrence, pour que ce soit plus efficace », avance le professeur d’économie.

S’il vise la fonction publique d’Etat, il pense aussi à la fonction publique territoriale. « Prenez les collectivités locales. On travaille 1580 heures dans les collectivités, alors que la durée légale du travail, c’est 1660 heures par an. Il faudrait dire aux collectivités, vous diminuez les effectifs et vous mettez les gens au travail », avance Jean-Marc Daniel. Et d’ajouter :

 On a une masse salariale de la fonction publique qui fait 12 à 13% du PIB, alors que la moyenne de l’Union européenne est de 10%. Si vous revenez à la moyenne, vous avez 50 milliards d’euros d’économies. 

Jean-Marc Daniel, professeur émérite d’économie à l'ESCP Business school.

« Il y a eu des dépenses exceptionnelles, avec le covid et le bouclier énergétique, il faudrait pour le financer un impôt exceptionnel »

Et les impôts dans tout ça ? Si Bruno Le Maire continue d’écarter toute hausse – il l’a encore fait ce midi – le débat revient dans la majorité. La présidente de l’Assemblée, Yaël Braun Pivet, s’est dit ce vendredi sur France Bleu Sud-Lorraine « partisane de regarder lorsqu’il y a des superdividendes, des superprofits, des rachats d’actions massifs par les entreprises », se disant ouverte « à une réflexion pour savoir s’il n’y a pas là, de façon exceptionnelle », une possibilité de recettes pour l’Etat.

« Bien sûr, c’est une piste », pour Eric Heyer. « Comme il y a eu des dépenses exceptionnelles, avec le covid et le bouclier énergétique, il faudrait quelque part pour le financer un impôt exceptionnel ». Pour le directeur du département analyse et prévision de l’OFCE, « il faut aussi viser les ménages qui se sont enrichis » pendant cette période. « Il y a eu une surépargne accumulée pendant cette crise par les plus fortunés. Ils ont eu droit à tout, même au bouclier énergétique, alors qu’ils n’en ont pas besoin. Alors pourquoi pas faire un impôt exceptionnel ? » demande Eric Heyer.

Là aussi, Jean-Marc Daniel diverge complètement dans l’analyse. « Je ne sais pas ce que c’est, des superprofits. Je sais ce que c’est qu’une supercherie », lance le professeur d’économie de l’ESCP. Il continue : « Si vous prenez l’argent sous forme d’impôt, vous diminuez la dépense privée et l’investissement. C’est la pire des choses qui puisse arriver d’augmenter les impôts des entreprises. Vu notre niveau d’investissement, on a davantage besoin de dépenses des entreprises que de dépense des administrations ».

« C’est toujours facile de dire, c’est la faute des riches »

Il n’est cependant pas opposé à une hausse des taxes pour les ménages. Mais pas n’importe lesquels… « Les grands bénéficiaires du bouclier tarifaire, ce sont les particuliers. Et on refuse de leur faire payer le prix. Si on doit faire payer, ce n’est pas sur les entreprises, mais les gens qui n’ont pas payé leur essence assez cher », soutient Jean-Marc Daniel. Pour lui, il faut « essentiellement » faire porter l’effort sur les ménages. « Là aussi ça doit être structurel. Il faut augmenter les impôts qui portent sur le réchauffement climatique », dit-il. Autrement dit, augmenter les taxes sur l’essence. On a vu ce que cela produit : des gilets jaunes. « Il y a un moment, être politique, c’est être capable d’expliquer à la population qu’il faut faire des efforts. Il faut pratiquer une politique de vérité », rétorque l’économiste.

Il n’y a donc pas lieu d’imposer davantage les plus hauts revenus ? « Ils s’enrichissent car ce sont des gens qui investissent. Il vaut mieux mettre l’impôt sur l’essence », selon le professeur de l’ESCP. « Après, il y a éventuellement des problèmes de redistribution », reconnaît Jean-Marc Daniel, « mais on ne s’en sortira que si tout le monde fait des efforts, y compris les plus pauvres. C’est toujours facile de dire, c’est la faute des riches ».

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