Réunion de crise à Bercy sur la situation des finances publiques. Deux jours après l’officialisation d’un dérapage important du déficit en 2023, à 5,5 % du PIB, le gouvernement a convié ce jeudi après-midi les représentants des différents groupes parlementaires, ainsi que les rapporteurs généraux des commissions des finances et de celles des affaires sociales. Durant trois heures, députés et sénateurs se sont succédé au micro pour partager leur analyse de la situation, et parfois quelques propositions, face à Bruno Le Maire (Economie et Finances), Thomas Cazenave (Comptes publics) et Frédéric Valletoux (Santé), qui ont ouvert la séance avec des propos relativement succincts.
L’exercice théorique de solutions pour venir à bout de la crise budgétaire s’est un peu fait dans le brouillard, puisque les parlementaires n’ont pas eu d’informations supplémentaires sur la trajectoire envisagée à court terme par l’exécutif. Seul l’objectif d’un retour sous les 3 % de déficit a été réaffirmé hier soir par Gabriel Attal.
« On traverse la plus grosse crise des finances publiques de la Ve République », met en garde Jean-François Husson (LR)
Mardi, Bruno Le Maire a simplement indiqué à la presse qu’il y « aura des économies supplémentaires en 2024 », mais que leur montant restait à préciser. Celles viendront s’ajouter aux 10 milliards d’euros de coupes décrétées en février. La loi de programmation des finances publiques prévoit un déficit public à 4,4 % du PIB pour 2024, qu’en sera-t-il vraiment ?
La réponse à cette question à plusieurs milliards d’euros sera communiquée le mois prochain. « Bruno Le Maire a fini par consentir qu’ils allaient devoir modifier les choses. Ils communiqueront dans le cadre du programme de stabilité (PStab) », relate Jean-François Husson (LR), rapporteur général de la commission des finances du Sénat. « Sauf erreur de ma part, on traverse la plus grosse crise des finances publiques de la Ve République. J’ai dit que la situation était particulièrement grave, mais on n’a pas de réponse sur la hauteur de la marche pour 2024 », enrage le sénateur de Meurthe-et-Moselle, une semaine après sa visite de contrôle surprise au ministère.
Le PStab est un document de programmation pluriannuelle des finances publiques, que chaque État membre doit transmettre chaque année à la Commission européenne, dans le cadre du Pacte de stabilité. Fin avril, un débat se tiendra dans les deux hémicycles sur ce programme.
« On va très vite voir si l’objectif d’un déficit à 4,4 % est maintenu ou pas. Mais cela voudrait dire 30 milliards d’économies, il n’y a aucune chance pour que ça arrive », parie Claude Raynal (PS), le président de la commission des finances du Sénat. « Les ministres ont convenu qu’il fallait être plus clair sur le montant. »
C’est d’ailleurs l’un des paradoxes de la réunion. Le gouvernement a épuisé l’outil du décret d’annulation. Et pour aboutir à de nouvelles économies, il devra nécessairement passer par un projet de loi de finances rectificative (PLFR). Mais les ministres n’ont donné aucun indice à ce sujet. « J’ai posé la question, pas de réponse », relate Jean-François Husson. « Il y a un moment où ça s’impose. Ils vont le retarder au maximum », s’attend Claude Raynal.
Le sénateur Olivier Bitz (Renaissance) épingle l’absence des présidents des groupes LR
« Il y a une situation qui est extrêmement mouvante. Les choses sont en train d’être précisées, affinées. On est au début d’un processus », nous indique à la sortie le sénateur (Renaissance) Olivier Bitz, l’un des autres participants de la réunion. Ce dernier appelle d’ailleurs à ce que le débat sur les finances irrigue toute la société civile organisée.
Ce jeudi, toutes les oppositions n’ont pas répondu à l’invitation. Les députés LIOT (Libertés, indépendants, outre-mer et territoires) – comptant dans leurs rangs l’expérimenté Charles de Courson – ont boycotté le rendez-vous. Ils n’ont pas été les seuls. Les deux groupes communistes, et surtout les deux groupes LR d’Olivier Marleix et Bruno Retailleau, ont décidé d’appliquer la politique de la chaise vide. « J’ai regretté que le groupe qui avait le plus imaginatif en matière de finances publiques – les députés LR avec des dizaines de milliards d’euros de dépenses supplémentaires proposés lors du dernier budget – ne nous ait pas fait profiter de son génie créatif pour essayer de redresser nos finances publiques », pique le sénateur Olivier Bitz.
L’ancien adjoint (PS) au maire de Strasbourg note que peu de propositions de réduction de la dépense ont été formulées. « J’ai surtout entendu des propositions d’augmentation de la fiscalité de la part des groupes de gauche », épingle-t-il.
Patrick Kanner, le président du groupe socialiste au Sénat, témoigne quant à lui d’une « drôle d’ambiance ». « C’était une réunion assez lunaire. On avait l’impression d’être dans une commission des finances élargie, avec un ministre de l’Economie et un ministre du Budget sûrs de leurs faits, faisant quasiment une forme de faveur à nous recevoir. On va écouter mais nos choix sont faits : c’est le sentiment que ça m’a donné », regrette le sénateur du Nord.
« Il y a peut-être une petite ouverture sur la taxation du rachat d’actions », affirme Patrick Kanner (PS)
Après avoir défendu une fois encore d’une mise à contribution plus importante des Français les plus aisés, l’ancien ministre de François Hollande note seulement quelques maigres avancées sur le front des nouvelles recettes. Une confirmation : Bercy est « prêt » à corriger la taxe sur les énergéticiens, afin d’en améliorer le rendement. « Il y a peut-être une petite ouverture sur la taxation du rachat d’actions, ou encore sur la niche fiscale du crédit impôt recherche. Bruno Le Maire s’est dit prêt à regarder ça », relate Patrick Kanner, qui reste beaucoup sur sa faim. « Une grande taxation des superprofits ? Rien. »
Sur le volet de la Sécurité sociale, peu d’annonces. Si ce n’est que le budget de la Sécu a lui aussi fait les frais de la mauvaise conjoncture en fin d’année. Frédéric Valletoux a confirmé que le déficit s’était creusé de deux milliards d’euros supplémentaires. Également présente, la rapporteure générale de la commission des affaires sociales, Elisabeth Doineau (Union centriste), salue la tenue de la réunion. « Ce n’était pas du temps perdu, au contraire. Les ministres ont été à l’écoute de chacun. Ce format est quand même utile », reconnaît la sénatrice de la Mayenne.
Les ministres ont également dû revenir sur les récentes annonces polémiques en matière d’évolution de remboursements de soins de santé. « Ça été très net – ils l’ont répété à plusieurs reprises – que ceux qui avaient la malchance d’avoir une mauvaise santé n’allaient pas être les victimes d’une économie recherchée », raconte Elisabeth Doineau. La sénatrice centriste a suggéré de revoir la façon dont sont pilotées les dépenses de santé, en « réinterrogeant » notamment la logique de l’Ondam l’objectif national de dépenses d’Assurance maladie. « Bruno Le Maire n’a pas semblé hostile à ouvrir cette réflexion. »
« Les discussions, c’est au Parlement, pas dans des dialogues à Bercy. On n’est pas là pour faire du bavardage », tonne Jean-François Husson
D’autres réunions similaires devraient suivre. Il n’est pas certain que tous les participants retentent l’expérience. En sa qualité de président de la commission des finances du Sénat, Claude Raynal pose par exemple ses conditions. « Si la question des recettes n’est pas ouverte, à ce moment-là je n’irai pas, car je considère qu’on ne répondrait qu’à une moitié de la question. »
Patrick Kanner, s’exprimant pour le compte du groupe socialiste, se montre dubitatif sur l’intérêt de la rencontre. « On a eu l’impression d’un exercice forcé. L’opposition est là aussi pour faire des propositions, mais on ne peut pas être la canne blanche d’un gouvernement qui ne voit rien. » Le sénateur du Nord ne se fait guère d’illusion sur le fait que les ministres imposeront leurs décisions. « Il y a des gens qui sont dans les wagons, et d’autres qui sont à la tête. Manifestement, on n’est pas monté dans le poste de pilotage ce soir. »
Jean-François Husson partagera au moins ce point avec le groupe socialiste : la suite doit s’écrire au Parlement. « On a été assez clair. Quand Gabriel Attal était venu à la première conférence des présidents du Sénat, postérieure à sa nomination, Gérard Larcher avait déclaré solennellement : le Parlement vote le budget. » Le rapporteur général esquisse un début de réponse sur ce qu’il pourrait advenir de son carton d’invitation à une future rencontre à Bercy : « Les discussions, c’est au Parlement, pas dans des dialogues à Bercy. On n’est pas là pour faire du bavardage. »