Lille: First meeting of Renaissance with Valerie Hayer for the European elections

Déficit : le débat sur la hausse des impôts fait son retour dans la majorité présidentielle

Alors que le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, se montre inflexible et refuse toute hausse des impôts pour compenser le déficit en hausse, plusieurs voix se font à nouveau entendre pour défendre une taxe sur les superprofits, comme la présidente de l’Assemblée, Yaël Braun Pivet, qui emboîte le pas du Modem de François Bayrou. D’autres veulent taxer les plus riches, comme le député Renaissance Patrick Vignal, prêt à aller jusqu’à « encadrer » le salaire des patrons.
François Vignal

Temps de lecture :

11 min

Publié le

Mis à jour le

Le débat apparaissait jusqu’ici lors des discussions budgétaires, à l’automne. Cette fois, c’est dès le printemps que la question de taxer les superprofits des entreprises pointe son nez. Le débat fait son retour dans la majorité, et ce pour plusieurs raisons : le gouvernement annonce déjà un budget 2025 qui risque de faire mal, avec 20 milliards d’euros d’économies à trouver. Et c’est dès maintenant que l’exécutif planche sur la prochaine loi de finances.

La question des finances publiques et de la dette travaille les esprits de la majorité, alors que l’Insee va dévoiler ce mardi le chiffre du déficit pour 2023, moins bon que prévu. Le sujet était au menu d’un dîner des responsables macronistes et des principaux ministres, mercredi dernier, à l’Elysée. Jusqu’ici, la ligne de l’exécutif est restée inchangée : objectif d’un retour sous les 3 % de déficit et, pour y parvenir, une baisse des dépenses et pas de hausse des taxes. « Emmanuel Macron n’a pas parlé de hausse d’impôts. Il a dit que c’était difficile financièrement, mais qu’on ne va pas changer de méthode, ni de cap. On va être sérieux et faire des économies », rapporte un participant, selon qui « comme toujours, le Président ne se laisse pas impressionner par la situation ».

Quand Emmanuel Macron « recadre » ses ministres sur la désindexation des retraites

Preuve que l’heure ne semble toujours pas à la hausse des prélèvements, d’une manière ou d’une autre, cette anecdote racontée par un ministre : fin février, France Info affirme que le gouvernement réfléchit à désindexer en partie les retraites de l’inflation, ce qui reviendrait à une baisse des retraites… et à plusieurs milliards d’euros d’économies. Emmanuel Macron met aussitôt un gros veto en Conseil des ministres. « Sur les retraités, le Président a recadré. Il a fait un shoot général, en disant “il faut arrêter de sortir des mesures qui n’ont jamais été imaginées. Si vous voulez perdre les élections… Moi, je m’en fous, je suis là jusqu’en 2027” », rapporte un ministre présent. Selon le même, le chef de l’Etat a ajouté : « S’il y a douze points d’écart aux européennes, le seul qui est sûr de rester, c’est moi… » De quoi refroidir l’imagination de la majorité sur les finances publiques.

Malgré ce vent rigoureux venu de l’Elysée et de Bercy, certains aimeraient une inflexion. « La question des recettes va se poser », lâche un ministre sous couvert d’anonymat, « il faut mettre à contribution ceux qui ont le plus de moyens. Les classes moyennes voient aussi les gens qui vivent de la rente ».

Yaël Braun Pivet ne veut « pas de tabou »

C’est à visage découvert, que la présidente Renaissance de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, a jeté un pavé dans la mare budgétaire, deux jours après les agapes élyséennes de mercredi dernier. Elle n’entend pas fermer la porte à l’idée de taxer les grandes entreprises, sous certaines conditions. La députée s’est dit vendredi, sur France Bleu Sud-Lorraine, « partisane de regarder lorsqu’il y a des superdividendes, des superprofits, des rachats d’actions massifs par les entreprises », se disant ouverte « à une réflexion pour savoir s’il n’y a pas là, de façon exceptionnelle », une possibilité de recettes pour l’Etat.

Rebelotte samedi dans Le Figaro, où Yaël Braun Pivet explique n’écarter aucune option « par principe ». La présidente de l’Assemblée nationale persiste et signe, puisqu’elle explique ce lundi matin, sur BFMTV/RMC, qu’il ne « doit pas y avoir de tabou » sur la question de la hausse des impôts, appelant à « regarder aussi du côté des recettes ». François Bayrou, sort de ce corps ! Car celle qui occupe le perchoir rejoint ainsi la ligne défendue, jusqu’ici en vain, par le président du Modem depuis plusieurs budgets. « Une discussion peut être ouverte », répète ce lundi matin, sur RTL, François Bayrou, qui vient d’être réélu président du Modem ce week-end, lors du congrès du parti.

« On cherche de l’argent actuellement. Donc c’est assez logique qu’on repense aux superprofits » souligne le sénateur Modem Jean-Marie Vanlerenberghe

Les députés Modem déposent en effet lors du projet de loi de finances des amendements pour taxer les superprofits et superdividendes. Même chose au Sénat, du côté du groupe Union centriste, qui mêle une majorité d’UDI, mais aussi quelques Modem. « Au groupe Union centriste, on a toujours eu aussi des positions assez tranchées », rappelle le sénateur Modem, Jean-Marie Vanlerenberghe. « On cherche de l’argent actuellement. Donc c’est assez logique qu’on repense à cela. Car quand il y a des superprofits, des superdividendes, on peut s’interroger sur la nécessité de mobiliser plus, devant les dépenses exceptionnelles qu’il y a eu. Alors certes, il ne s’agit pas de pénaliser les entreprises, pour créer de l’emploi, il faut créer de la richesse. Mais il faut trouver un juste milieu sur l’effort nécessaire, qui doit être justement réparti », avance le sénateur Modem du Pas-de-Calais. Après les dépenses exceptionnelles liées au covid et au bouclier énergétique, répondrait un impôt exceptionnel.

Pourquoi le sujet semble avancer dans la majorité aujourd’hui ? « Car nécessité fait loi. Et c’est la loi du bon sens », lance Jean-Marie Vanlerenberghe, qui se dit « pour une économie sociale de marché ». S’il ne nie pas la nécessité de faire des économies, en visant « les doublons entre fonction publique d’Etat et territoriale », ou sur « la fraude », y compris « des professionnels », la stratégie affichée par Bruno Le Maire a ses limites, selon le sénateur Modem. « Les économies par des coups de rabot de 5 ou 10 %, ça n’a pas de sens. C’est impossible à faire dans certains secteurs », dit-il. C’est pourquoi « si on ne trouve pas assez d’économies (réalisables), il faut accepter de mettre à contribution en priorité les plus aisés, ceux qui sont le mieux lotis », notamment en visant « les plus-values du capital ».

« Les impôts n’augmenteront pas. Ce serait incohérent. Ce n’est pas la bonne solution » pour Bruno Le Maire

Mais les défenseurs de la taxe sur les superprofits risquent à nouveau de déchanter. Car pour l’heure, ils vont devoir encore faire face à l’inflexibilité du ministre de l’Economie, Bruno Le Maire. En accord avec Emmanuel Macron, il s’est fait le chantre du refus de la hausse des taxes. « Les impôts n’augmenteront pas. Ce serait incohérent. Ce n’est pas la bonne solution. C’est la solution de facilité », a tranché vendredi, sur BFMTV, le locataire de Bercy, qui n’entend pas bouger : « Si vous commencez à changer de ligne politique tous les quatre matins, vous allez droit dans le mur ».

Quant à l’idée de taxer les superprofits, le ministre s’abrite derrière le fait que le gouvernement a déjà mis en place une taxation qui touche les énergéticiens, comme Total, suite à une décision de la Commission européenne. « Nous l’avons fait » (la taxe sur les superprofits), avec « le prélèvement sur la rente inframarginale, c’est-à-dire la rente des énergéticiens. Et nous n’avons jamais hésité. Nous avons récupéré l’argent de ces rentes. Ça, ce n’est pas augmenter les impôts, c’est rétablir la justice », a rétorqué sur la chaîne info Bruno Le Maire, qui ne veut pas en revanche taxer les superdividendes : « Nous sommes dans l’hypothèse de récupération des rentes qui ont pu être faites par les énergéticiens, pas plus que cela ».

Au sein de la majorité, la ligne Le Maire est défendue notamment par François Patriat, à la tête du groupe macroniste au Sénat. « Je reste sur la doctrine « pas de hausse d’impôts ». Des hausses d’impôts franco-françaises sont de nature à pénaliser l’économie française, qu’on le veuille ou non. Ensuite, on commence à faire payer les plus riches, puis ce sont les plus pauvres qui paient, tout le monde », met en garde le sénateur Renaissance de la Côte-d’Or. Le président du groupe RDPI serait en revanche favorable « à des prélèvements décidés au niveau européen. A ce moment-là, on ne crée pas de distorsion ».

Une taxe « exceptionnelle » sur les milliardaires ?

Reste que d’autres voix se font entendre, au sein de la majorité, pour défendre une autre politique. La députée du groupe Renaissance, Stella Dupont, membre d’En Commun, se prononce elle pour une taxe qui viserait les milliardaires. Se disant « favorable à une imposition ponctuelle, temporaire, exceptionnelle, pour contribuer aux finances publiques », la députée du Maine-et-Loire soulignait le 22 mars sur RMC la volonté des plus riches d’échapper à l’impôt. « L’institut des politiques publiques a fait une étude sur l’impôt payé par tous les Français. Et on se rend compte que les plus riches ont en moyenne un taux d’imposition de 46 %, mais les milliardaires tombent à 26 % », avançait Stella Dupont, figure de l’aile gauche macroniste.

Patrick Vignal, député Renaissance de l’Hérault, connu pour son franc-parler dans la majorité, soutient aussi l’idée d’une taxe sur les superprofits, « sur 3 ans, avec l’idée d’une charte d’engagement, un protocole d’accord », nous explique-t-il. L’élu se dit « d’accord avec Valérie Rabault (député PS, ndlr), ça pourrait rapporter 10 milliards d’euros, dont 6,4 sur les superprofits et 3 ou 4 milliards sur l’énergie ».

« Soit on est une bande de toutous et on attend, soit on fait les choses »

Lui non plus n’entend pas se limiter aux entreprises. Patrick Vignal (sans lien de parenté avec l’auteur de ces lignes, ndlr) vise également les plus hauts revenus, notamment des grands patrons. « Ceux qui ont le plus, doivent aider ceux qui ont le moins. Je prends l’exemple de Carlos Tavares, patron du groupe automobile Stellantis, quelqu’un de brillant. Il touche 36 millions d’euros de salaire et primes par an, 3,6 millions par mois. Quand il y a eu le Covid, ses salariés sont allés au chômage partiel, l’Etat a payé et c’était normal », souligne le député Renaissance, qui pointe ce niveau de rémunération démesuré :

 

 Ce n’est pas pensable que Carlos Tavares gagne 36 millions d’euros par an. Il fait quoi de ce pognon ? Il achète 4 Mercedes, 4 résidences privées et un yacht énorme ? C’est indécent. Il y a un débat à avoir. 

Patrick Vignal, député Renaissance de l'Hérault

Il soutient l’idée « d’un impôt » sur les plus riches, « mais il ne faut pas que ce soit pérenne. Ce serait une contribution. Je suis prêt à faire des statues à Patrick Pouyanné (PDG de TotalEnergies, ndlr) ou Carlos Tavares dans ma ville pour les remercier. Mais ils doivent participer », lance le député de l’Hérault. Faut-il aller jusqu’à encadrer les très hauts salaires des dirigeants d’entreprise ? « Oui, il faut les encadrer », répond Patrick Vignal, selon qui il faudrait pourvoir « en discuter par branche. Les entreprises qui marchent le mieux sont celles qui ont une vraie confiance avec le patron ».

Lors du prochain budget, il sera prêt à soutenir des amendements de la majorité sur les superprofits. Mais les députés de la majorité seront-ils nombreux à suivre cette fois ? Rien n’est certain. « Ça bouge peu au sein du groupe Renaissance, pour l’instant », reconnaît Patrick Vignal, qui entend bousculer ses collègues : « Moi ce qui m’intéresse, c’est que ma majorité gagne. Soit on est une bande de toutous et on attend, soit on fait les choses », lâche le député de l’Hérault, « pour une fois, le en même temps doit fonctionner. On doit être sur les deux jambes ».

Emmanuel Macron sera-t-il prêt à entendre le message ? Un sondage pourrait peut-être faire réfléchir les têtes pensantes de l’exécutif. D’après une étude Viavoice pour Libération, 65 % de la population estime qu’il est prioritaire de « taxer temporairement les superprofits de certaines entreprises ». Mais l’intransigeant Bruno Le Maire cédera-t-il ? « Le Maire est assez souple. Si le Président dit qu’il faut augmenter les impôts, il prendra le virage sur l’aile et continuera de planer », lâche un de ses collègues, au gouvernement… Reste à voir qui pourra (super)profiter de la situation.

Dans la même thématique

Current affairs question session with the government – Politics
7min

Économie

Budget : comment les sénateurs réduisent l’effort demandé aux collectivités de 5 à 2 milliards d’euros

En commission, la majorité sénatoriale a supprimé les 800 millions d’euros d’économies sur le fonds de compensation de la TVA. Ils ont surtout supprimé le fonds de précaution de 3 milliards d’euros, pour le remplacer par un « dispositif de lissage conjoncturel des recettes fiscales des collectivités territoriales », doté de 1 milliard d’euros. L’effort est ainsi mieux réparti : environ 3000 collectivités seront concernées, contre les 450 les plus riches dans la copie gouvernementale. Le gouvernement est « d’accord sur les modalités qu’on propose », soutient le sénateur LR Stéphane Sautarel.

Le

Déficit : le débat sur la hausse des impôts fait son retour dans la majorité présidentielle
3min

Économie

Budget de la Sécu : le Sénat renforce les contrôles et les sanctions contre la fraude sociale

Les sénateurs ont adopté plusieurs amendements dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale, notamment pour lutter contre la fraude aux arrêts de travail. À l’initiative de la gauche, qui dénonce un deux poids deux mesures dans la lutte contre la fraude des assurés et celle des entreprises, les contrôles et les sanctions contre les entreprises fraudeuses sont aussi renforcés.

Le