L’histoire se répète. Comme au printemps, après « l’accident budgétaire » de 2023 et la brutale révision du déficit public en début d’année, la commission des finances du Sénat entame l’autopsie des finances publiques, décidément en très mauvaise posture. Toujours dans l’attente d’un gouvernement, indispensable pour présenter un projet de loi de finances digne de ce nom, les parlementaires ont entre les mains une nouvelle masse de documents du Trésor et de l’administration fiscale pour préparer en partie la prochaine discussion budgétaire. Les membres de la commission des finances en ont pris connaissance formellement ce 4 septembre.
Leur rapporteur général, Jean-François Husson (ex-LR), et leur président, Claude Raynal (PS) ont décrit, dans la foulée, le tableau d’ensemble aux journalistes. Prévu à 4,4 % du PIB quand le budget a été adopté en décembre dernier, l’estimation du déficit 2024 s’est ensuite creusée à 5,1 % quand le programme de stabilité a été bouclé en avril. Selon les derniers documents budgétaires transmis par Bercy, il pourrait se creuser jusqu’à 5,6 % au terme de l’année, en l’absence de mesures correctrices. La dégradation atteint « 34 milliards d’euros en sept mois », soit une fois et demie le budget de la sécurité en France. Du plus mauvais effet alors que la France fait face à une procédure pour déficit excessif dans la zone euro.
« Sans crise, des niveaux de déficits que nous avons connus lors de la crise sanitaire »
En 2025, le déficit pourrait même atteindre 6,2 % du PIB. « Nous nous rapprochons sans aucune raison objective externe, sans crise, à des niveaux de déficits que nous avons connus lors de la crise sanitaire. C’est inacceptable et peut-être insupportable », a fait savoir devant la presse le rapporteur général, qualifiant la situation budgétaire de « catastrophique », « de la responsabilité exclusive de l’exécutif ».
Pire, la France n’est peut-être pas au bout de ses peines. « Ces chiffres sont peut-être encore un peu optimistes », a mis en garde le sénateur de Meurthe-et-Moselle. En cause, des facteurs de risque qui pourraient encore se réaliser d’ici la fin de l’année.
L’absence à ce stade de nouvelles mesures de redressement, et surtout, des recettes moins bonnes que prévu – comme en 2023 – expliquent en grande partie l’aggravation des chiffres. En mars, Bruno Le Maire évoquait un évènement « exceptionnel » pour les recettes de l’an dernier. « Cet évènement n’a rien eu d’exceptionnel, c’est exactement la même chose qui se produit pour 2024 », incrimine le rapporteur général.
Des économies qui « n’étaient pas documentées et ne se réaliseront pas »
Fin avril, au moment d’une séance consacrée au programme de stabilité, il avait profondément mis en doute la crédibilité de la trajectoire présentée par le gouvernement. « Je pense qu’on nous a vendu une situation budgétaire qui n’a jamais été conforme à la réalité. La trajectoire était mensongère », a-t-il dénoncé. Selon la Direction générale du Trésor, l’absence de mise en œuvre des volumes d’économies annoncées dans le programme de stabilité se chiffre à 57 milliards d’euros en 2025. Sur la base des documents transmis par Bercy, le sénateur en conclut que les annonces de redressement des comptes, notamment dans le cadre du programme de stabilité, « n’étaient pas documentées et ne se réaliseront pas ».
Comme son collègue de droite, le socialiste Claude Raynal accable également les choix du sommet de l’État, qui n’ont pas aidé à colmater les multiples brèches dans le budget. Démissionnaire depuis la mi-juillet, le gouvernement peut difficilement prendre des mesures de pilotage de la dépense publique. « La décision de dissolution du président de la République a privé son gouvernement de toute forme d’action possible. Cette dissolution n’est pas pour rien dans cette dégradation », décrit-il.
Autre décision funeste aux yeux des cadres de la commission des finances : l’absence de budget rectificatif après le premier trou d’air observé en février. Seul un décret d’annulation de 10 milliards d’euros avait été signé. « Seul un projet de loi de finances rectificative aurait permis de commencer à redresser les comptes publics. Le gouvernement a fait le choix assumé de ne pas en présenter et donc de laisser se dégrader les comptes publics », regrette le rapporteur général.
La part due aux collectivités dans le creusement du déficit reste à « confirmer », selon les sénateurs
Autre source de mécontentement des sénateurs : l’accent mis par le ministre de l’Economie et des Finances, et son ministre des Comptes publics sur les collectivités dans leur courrier de lundi soir. Le gouvernement fait de « l’augmentation extrêmement rapide des dépenses des collectivités » l’un des risques principaux pour 2024. Bercy estime que ces dernières pourraient creuser, à elles seules, de 16 milliards d’euros la trajectoire des finances publiques. « Ce chiffre demande à être confirmé », réplique Jean-François Husson. « Nous disposons d’une note du Trésor, qui fait état d’une dépense supplémentaire de 5 milliards d’euros et non de 16, par rapport à ce qui était attendu. Nous n’avons pas à ce stade de données plus récentes. »
Après avoir souvent déploré au printemps une « rétention » d’informations de la part du gouvernement, la commission constate d’ailleurs que certains documents manquent à l’appel, en particulier les revues de dépense, et une note sur les aides aux entreprises. « Certains documents n’ont pas été transmis, certains sont en cours de transmission. » Claude Raynal s’offusque surtout d’un important retard dans la transmission d’une note importante du Trésor, datée du 17 juillet, et réclamée dès le 18 juillet. « Il est très regrettable qu’on ne peut pas avoir immédiatement les notes demandées. » « On a perdu presque deux mois, mieux vaut avoir l’information tout de suite, pour travailler », renchérit Jean-François Husson.
Le maintien des ministres démissionnaires au 4 septembre achève de mettre à rude épreuve la patience des parlementaires, qui opposent une fin de non-recevoir à tout gouvernement qui serait tenté de retarder de quelques jours le dépôt du projet de loi de finances. « On est sur une position qui est ferme. Stop à ce type de réflexion », s’agace Claude Raynal. Dans un mois, des choix difficiles attendent le Parlement. « On sent bien qu’on entre dans des temps difficiles. Ce n’est pas le moment de se résigner », appelle Jean-François Husson.