Débats animés en vue au Sénat, sur la proposition de loi pour restaurer la compétitivité de l’agriculture

Les sénateurs vont débattre le 17 mai d’une proposition de loi destinée à provoquer un « choc de compétitivité » pour l’agriculture française. Ce texte tire les enseignements d’une mission d’information menée l’an dernier. La droite insiste sur la nécessité d’assouplir certaines contraintes, les écologistes dénoncent des « reculs » sur le front des pesticides.
Guillaume Jacquot

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Le Sénat veut prendre de vitesse le gouvernement sur la thématique agricole. Alors qu’une concertation nationale est en passe de s’achever pour déboucher sur le dépôt d’un projet de loi d’orientation et d’avenir agricole au début de l’été, la Haute assemblée suit son propre calendrier. Elle met à l’agenda de l’hémicycle ce 17 mai une proposition de loi « pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France », cosignée par les sénateurs Laurent Duplomb (LR), Pierre Louault (Union centriste) et Serge Mérillou (PS). 175 sénateurs ont signé le texte, principalement dans les groupes LR et UC. La trentaine d’articles qui compose le texte forme la déclinaison législative d’un rapport d’information transpartisan, adopté le 28 septembre dernier en commission des affaires économiques, au terme d’une mission d’information de plusieurs mois. Pour son premier auteur, Laurent Duplomb, il est « urgent de détendre la situation du secteur agricole en laissant les agriculteurs respirer et faire leur travail ».

L’initiative sénatoriale vise à mettre un terme au « déclin de la puissance agricole française ». Selon les auteurs, le recul de l’agriculture française à l’export tout comme sur le marché intérieur est la conséquence d’un « trop plein de normes, de charges excessives et d’un besoin croissant d’investissements et d’innovation ». Selon la rapporteure Sophie Primas (LR), les organisations professionnelles ont fait part de leur « enthousiasme à l’égard de l’orientation générale souhaitée par les sénateurs ». Lors des débats en commission, socialistes et écologistes ont acté pour leur part de profonds désaccords avec la majorité sénatoriale.

Installation d’un haut-commissaire et création d’un « livret Agri »

Le texte propose quelques outils pour mettre en œuvre la reconquête des parts de marché perdues, comme la création d’un poste de haut-commissaire, un « guichet unique » pour les filières, chargé de piloter cette politique, ainsi que la mise en place d’un plan de compétitivité d’une durée de cinq ans.

Plusieurs dispositifs sont prévus dans la proposition de loi pour doper l’investissement. Il est par exemple question d’un fonds spécial pour soutenir l’investissement et la recherche. Ce dernier doit être alimenté par une fraction de la taxe sur les surfaces commerciales.

Parmi les autres leviers financiers, la proposition de loi met en place un crédit d’impôt pour les investissements en mécanisation destinés à améliorer la compétitivité agricole ou adapter les exploitations au réchauffement climatique. Les sénateurs veulent en parallèle faire le lien avec la population, en instituant un « livret Agri ». Ce livret d’épargne réglementée, inspiré du livret de développement durable et solidaire. En termes de fiscalité, les sénateurs, lors des travaux de commission, ont indexé sur l’inflation plusieurs seuils de crédits d’impôts, d’abattements et d’exonérations, en pleine période de hausse des coûts de production.

Une série de propositions est également inscrite dans le texte afin de « maîtriser les charges sociales » des exploitants agricoles. La proposition veut exclure les entreprises agricoles et agroalimentaires, concernées par des récoltes saisonnières, de l’application du bonus-malus qui s’applique sur les contrats courts. Elle pérennise un dispositif d’exonérations pour l’emploi de travailleurs occasionnels et de demandeurs d’emploi (TO-DE), une demande que le Sénat tente de sécuriser chaque année au moment de la discussion budgétaire.

Ecologistes et socialistes dénoncent des reculs en matière environnementale

L’article 13 devrait déboucher sur des débats nourris avec la gauche en séance. Réécrit le 10 mai après l’adoption d’un amendement de sa présidente, Sophie Primas (LR), il permet désormais au ministre de l’agriculture de suspendre une décision de l’Anses de retrait de mise sur le marché de produits phytosanitaires « dans le cas où il n’existerait pas de solutions alternatives efficientes » ou en cas de distorsion de concurrence au sein de l’Union européenne.

Lors des débats en commission, le sénateur Joël Labbé (écologiste) a fait savoir que son groupe s’opposerait « unanimement » à la proposition de loi. « La compétitivité économique est importante, mais l’on ne peut s’en contenter ! Il faut prendre en compte l’environnement, la santé et le climat. Pour nous, les dispositions relatives aux pesticides marquent un retour en arrière à ce que nous estimons être un acquis », a-t-il contesté.

Les socialistes s’opposeront également au texte. Au cours de cette même réunion de travail, le sénateur Jean-Claude Tissot a dénoncé de « terribles reculs en matière environnementale » après avoir fait part de son étonnement sur les dispositions relatives au droit du travail. Il a par exemple cité l’article instaurant une expérimentation dans les départements volontaires permettant un cumul d’une activité rémunérée avec le bénéfice du RSA, dans une optique de réinsertion progressive. Cette expérimentation se baserait sur les secteurs prioritaires en tension, ensemble dans lequel la proposition de loi entend inclure le secteur agricole.

Le Sénat interpelle le gouvernement sur les « clauses-miroirs »

En pleine controverse sur les méga-bassines, d’autres articles pourraient également donner lieu à de vifs échanges. La proposition de loi veut déclarer d’intérêt général majeur, les ouvrages qui ont vocation à prélever et stoker de l’eau à des fins agricoles. La rapporteure Sophie Primas a toutefois précisé dans le texte que ces ouvrages devaient s’inscrire dans le respect d’un usage partagé de l’eau, comme le prévoit le Code de l’environnement. Un article pourrait réduire la durée des contentieux relatifs à des projets de prélèvements et de stockage d’eau.

En matière de normes, le texte s’attaque aux surtranspositions des normes européennes, c’est-à-dire quand un texte chargé de décliner une directive européenne se veut encore plus contraignant. La proposition sénatoriale charge le Conseil d’Etat d’identifier à l’avenir ces cas de surtransposition et le gouvernement devrait, quant à lui, estimer le surcoût de ces dispositions plus contraignantes.

Le Sénat demande également au gouvernement un rapport sur l’application des clauses-miroirs, à savoir l’interdiction d’importer des produits qui ne respecteraient pas les standards sanitaires ou environnementaux européens. Il s’agit d’un principe inscrit dans la loi Egalim de 2018.

Une autre mesure phase de cette loi des Etats généraux de l’agriculture et de l’alimentation est abordée dans la proposition de loi sénatoriale. Il s’agit de l’objectif de 20 % d’approvisionnement issus de l’agriculture biologique et de 50 % d’approvisionnements en produits durables et de qualité dans la restauration collective publique. Il aurait dû être atteint au 1er janvier 2022, le texte donne à nouveau trois ans à la puissance publique pour s’y conformer. Selon la rapporteure Sophie Primas, une « nouvelle méthode » doit être imaginée. La proposition de loi élargit la liste des produits éligibles pour attendre le seuil de 50 %.

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