Enfin promulgués, au terme d’un parcours parlementaire très mouvementé, les deux textes budgétaires s’appliquent depuis quelques jours. La loi de finances, pour les dépenses de l’Etat, et la loi de financement de la Sécurité sociale, doivent théoriquement ramener en 2025 le déficit public à 5,4 % du PIB, après un plongeon particulièrement inquiétant à 6 % l’an dernier.
L’objectif pour le gouvernement est de tenir la nouvelle cible, et d’empêcher une troisième année consécutive de mauvaises surprises sur le front de l’application du budget. Rappelons qu’en 2023 et en 2024, la France a connu une dégradation importante de son déficit public, sous l’effet notamment de recettes fiscales moins bonnes qu’attendu. Cette série de dérapages a donné lieu à une double mission d’information au Sénat, mais également à une enquête de la commission des finances de l’Assemblée nationale, qui se poursuit actuellement.
Face à la progression continue de la dette et dans un contexte politique instable, la France est plus que jamais sous surveillance, au niveau européen avec une procédure pour déficit excessif. Elle est aussi dans le collimateur des agences de notation. Ce 28 février, l’agence américaine de notation Standard & Poor’s, chargée d’évaluer la solidité financière des Etats, a placé la note de l’Hexagone sous perspective négative, ce qui ouvre potentiellement la porte à une nouvelle dégradation. S&P a épinglé « le soutien politique inégal à la consolidation budgétaire ».
Un comité d’alerte qui associera étroitement le Parlement pour suivre l’évolution de la dépense publique
C’est dans ce contexte que le gouvernement a dévoilé à Bercy ce 3 mars son plan d’action visant à améliorer le pilotage des finances publiques. Pour le ministre de l’Economie et des Finances, Eric Lombard, il s’agit d’un « vrai tournant dans le pilotage de nos finances publiques ». Le gouvernement a annoncé la création d’un comité d’alerte, sur toutes les composantes de la dépense publique (Etat, Sécurité sociale et collectivités locales), associant les parlementaires. Cette nouvelle instance, qui se réunira pour la première fois au mois d’avril, se retrouvera au minimum trois fois par an pour faire le point sur la mise en œuvre du budget, et ouvrir la voie le cas échéant à des « corrections adaptées », selon la ministre des Comptes publics, Amélie de Montchalin. « Historiquement, le moment où l’on regarde, c’est plutôt en juin ou en juillet. Cela pose un problème d’efficacité si vous devez prendre des mesures correctrices. Vous les prenez trop tard », a expliqué la ministre.
Ce comité doit réunir plusieurs ministres, ainsi que les rapporteurs et les présidents des commissions des finances et des affaires sociales, les parlementaires de ces commissions, les deux délégations parlementaires aux collectivités locales ainsi que les associations d’élus, les représentants des caisses de la Sécurité sociale et le Premier président de la Cour des comptes. Ce format permettra de « partager en cours d’année les données d’exécution budgétaire avec les parlementaires ». « Tous les éléments importants à notre connaissance seront partagés », a promis le ministre de l’Economie et des Finances, Eric Lombard. « Ce qu’on cherche à faire, c’est de changer un peu la culture. Ne pas être juste dans un envoi de documents qui n’éclaire pas franchement la décision collective », a complété Amélie de Montchalin. En 2023-2024, les parlementaires, en particulier au Sénat, étaient remontés contre le manque de transmission d’éléments sur la réalité budgétaire.
Données budgétaires en format ouvert et un « événement national » sur les finances publiques
En parallèle de ce suivi plus régulier et collégial, Bercy annonce également faire œuvre de transparence sur les chiffres de la situation. Les ministres se sont engagés à publier en accès libre des bases de données sur l’exécution budgétaire. « Nous cherchons et nous voulons ouvrir la boîte noire de Bercy, pour conforter les conditions du compromis politique, et parce qu’au fond, nous n’avons rien à cacher », a défendu Amélie de Montchalin, refusant que ce domaine soit réservé aux « experts et aux sachants ».
Le gouvernement annonce le lancement d’un « évènement national » intitulé « Notre Nation, nos finances », une sorte de « congrès » au sein duquel seront partagées des « données indiscutables qui permettent d’engager cette conversation nationale sur le sujet du budget », a développé la ministre des Comptes publics.
Création d’un « cercle des prévisionnistes »
Après plusieurs mois d’écarts importants dans les rentrées fiscales par rapport aux prévisions, le ministère de l’Economie et des Finances va par ailleurs donner naissance à un « cercle des prévisionnistes » pour s’adapter plus facilement aux évolutions du contexte macroéconomique. Ces derniers mois, le gouvernement a souvent été critiqué au Parlement pour s’être basé sur une prévision de croissance plus optimiste que ne l’avait fait le consensus des économistes. Ce cercle regroupera des « experts académiques et institutionnels ».
Les précédents ministres de Bercy avaient mis sur pied un « comité scientifique ». Dans les prochains mois, le « comité d’alerte » devra « s’insérer dans les actions que nous allons conduire », a indiqué Eric Lombard.
Dans ce souci de partage avec des personnalités indépendantes, le gouvernement veut par ailleurs systématiser la transmission au Haut Conseil des finances publiques (HCFP) de « tout cadre » sur les finances publiques, qu’il s’agisse de loi de finances, ou d’engagements pris au niveau européen. Animé par le premier président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, le HCFP sera par exemple saisi au mois d’avril sur un rapport d’avancement qui doit être communiqué à la Commission européenne.
Une réflexion sur l’évolution tendancielle de la dépense publique et trajectoire à l’horizon 2050
Une notion, qui a beaucoup fait parler d’elle cet automne au moment de la présentation des textes financiers, fera prochainement l’objet d’une revue : le « tendanciel » des dépenses. Cet élément représente l’évolution naturelle des dépenses publiques, en l’absence de modifications. La façon dont il est calculé revêt une importance politique, puisque de là dépend la présentation et la définition du volume d’économies. « Il est utile que dès le budget 2026, dans les prochaines semaines, le Haut Conseil des finances publiques, les services publics de Bercy, puissent rentrer dans un travail méthodologique un peu technique, qui cherche à expliciter quelle est la tendance », a insisté la ministre des Comptes publics.
Un autre chantier va s’engager : celui d’une réflexion sur l’évolution des finances publiques « à l’horizon d’une génération ». Cela impliquera de se projeter à l’horizon 2050, et d’étudier par exemple ce qui doit être pris en compte pour la transition écologique, les investissements liés à la défense ou encore les conséquences du vieillissement de la population. « Si on n’a pas cette trajectoire de moyen terme, il est beaucoup plus difficile de travailler », estime Amélie de Montchalin.