Des agriculteurs bloquent le peage de l’autoroute A43 a Saint-Quentin Fallavier en direction de Lyon et Grenoble – Farmers block the toll of the A43 motorway in Saint-Quentin Fallavier towards Lyon and Grenoble

Colère des agriculteurs : peut-on parler d’une “concurrence déloyale” de l’Union européenne ?

La France a pris les devants concernant l'interdiction de certains produits phytosanitaires, mais c'est loin d'être le seul facteur qui joue sur sa compétitivité, rappellent plusieurs économistes.
gabrielle trottmann

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« Je suis lucide face à l’empilement de normes », a déclaré le premier ministre Gabriel Attal ce mardi 30 janvier lors de son discours de politique générale à l’Assemblée nationale. Le nouveau chef du gouvernement a aussi martelé vouloir « faire face à la concurrence déloyale » et éviter « tout risque de surtransposition » des réglementations européennes, avant d’annoncer « des annonces à venir » concernant la souveraineté alimentaire.

Deux jours plus tôt, il avait déjà affirmé : « Ce n’est pas normal que vous soyez empêchés d’utiliser certains produits », alors que « des pays voisins » peuvent y avoir recours, lors de son déplacement sur une ferme d’Indre-et-Loire. Mais de quoi parlait-il exactement ?

« Tous les États membres sont soumis aux normes sanitaires de l’Union européenne », explique Jean-Christophe Bureau, professeur d’économie à AgroParisTech. Mais « rien n’empêche les États de prendre les devants, et d’interdire certaines molécules qui sont autorisées ailleurs en Europe », poursuit l’économiste. La France, qui a adopté un « plan Ecophyto » pour réduire l’usage des pesticides dès 2009, est régulièrement accusée d’aller trop vite sans attendre les alternatives.

Maïs, tournesol, betteraves

La Confédération générale des planteurs de betteraves (CGB) dénonce ainsi l’interdiction en France de l’acétamipride, un néonicotinoïde utilisé pour lutter contre les pucerons dans le reste de l’UE en traitement foliaire.

En avril 2023, l’Anses a aussi provoqué la colère de certains agriculteurs en décidant d’interdire les principaux usages du S-Métalochlore, l’un des herbicides les plus utilisés en France, notamment dans les cultures de tournesol et de maïs. Considéré comme une « substance cancérigène suspectée », il présente plusieurs « domaines de préoccupation critiques » identifiés par l’agence européenne de sécurité des aliments (Efsa).

Dans le reste de l’Europe, l’interdiction sera à peine plus tardive : les États ont jusqu’au 23 avril 2024 pour retirer les autorisations et un délai de grâce pourra être accordé jusqu’au 23 juillet, selon le règlement d’exécution paru au journal officiel de l’Union européenne.

Et certains pays européens affichent « des normes plus strictes sur d’autres sujets, notamment en ce qui concerne le bien-être animal », explique Jean-Christophe Bureau. Le Luxembourg, l’Autriche et l’Allemagne ont ainsi banni l’élevage des poules pondeuses en batterie à compter de 2020 et 2025, contrairement à la France, tandis que la Suède et le Royaume-Uni ont mis fin aux cages de gestation pour les truies.

La crainte du « poulet ukrainien »

En revanche, il existe un vrai sujet « en ce qui concerne les différences de salaires : celles-ci sont particulièrement flagrantes dans les filières qui nécessitent beaucoup de main-d’œuvre non-qualifiée, comme les fruits et légumes, ou pour les opérations d’abattage et de découpe d’animaux. Les salaires minimums sont plus bas en Pologne, en Espagne, ou même en Allemagne », poursuit l’économiste.

Les salaires et les normes environnementales ne sont « qu’un facteur parmi d’autres pour évaluer la compétitivité économique, tempère toutefois Carl Gaigné, directeur de recherches à l’Inrae : « En Allemagne, l’élevage bovin rapporte davantage, mais c’est surtout grâce à un meilleur outillage industriel, qui rend les travailleurs plus productifs », fait-il valoir.

Ces différences « prennent aussi racine dans des déséquilibres économiques historiques, notamment entre les pays de l’Ouest et de l’Est de l’Union européenne », abonde Thierry Pouch, économiste aux Chambres d’agriculture. 

Alors que les négociations concernant l’adhésion de l’Ukraine à l’UE ont été engagées en décembre 2023, certains éleveurs s’inquiètent déjà face au spectre de la concurrence du blé, comme de certains produits de l’élevage : en 2023, 230 000 tonnes de poulets ont été importées de ce pays, soit une augmentation de 40 % en 2022 selon certains syndicats. 

Une hausse notamment liée à la suspension des quotas en vigueur jusque-là pour soutenir l’économie de ce pays en guerre contre la Russie. Pour Thierry Pouch, « si l’Ukraine veut rejoindre l’UE, une harmonisation des salaires serait nécessaire. Les élections européennes en juin 2024 seraient une belle opportunité de mettre le sujet sur la table. »

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