Coup d’arrêt dans la navette parlementaire du Ceta. Le projet de loi de ratification, rejeté au Sénat le 21 mars, ne retournera pas dans l’immédiat à l’Assemblée nationale. Les députés communistes voulaient user de la même ruse parlementaire que leurs homologues du Sénat, en inscrivant le texte à l’ordre du jour de leur journée réservée, le 30 mai, dans l’espoir de mettre en échec une nouvelle fois le traité économique et commercial entre l’Union européenne et le Canada, en application provisoire depuis 2017.
« L’Assemblée nationale aura de nouveau à se prononcer sur la ratification de l’accord. Le projet de loi sera transmis le moment venu, mais pas avant les élections européennes, car ce sujet nécessite un temps de débat apaisé », a déclaré au Figaro Franck Riester. Le ministre délégué au Commerce extérieur refuse que « certains groupes d’opposition instrumentalisent ce débat légitime à des fins électoralistes ».
Le gouvernement demeure maître de ses projets de loi
Même s’il a été examiné dans un espace réservé aux parlementaires dans l’agenda, le projet de loi de ratification reste en effet une initiative du gouvernement. Et à ce titre, c’est au gouvernement que revient la faculté de déposer le texte sur le bureau de l’Assemblée nationale. « Le gouvernement demeurant maître de ses projets d’un bout à l’autre de la procédure législative, c’est à lui qu’il appartient de les transmettre (avec, le cas échéant, la faculté de ne pas les transmettre, ce qui revient, en pratique, à enterrer le texte) », expliquaient les services du Sénat dans un recueil de fiches pédagogiques en 2008.
Temporisant encore pour éviter un nouveau vote à haut risque, l’exécutif souhaite mettre à profit les prochains mois pour continuer de convaincre du bien-fondé du Ceta dans les échanges commerciaux franco-canadiens. Franc Riester attend rappelle notamment que la Commission européenne va livrer, « d’ici 2025 », une évaluation de l’impact économique, social et environnemental du Ceta. Matignon souhaite par ailleurs lancer dans les prochains jours une mission parlementaire sur le sujet de la réciprocité des normes de production, les fameuses clauses miroirs. « Cela va permettre à toutes les instances qui approfondissent le sujet, de redonner tous les tenants et aboutissants, les chiffres, les impacts concrets », explique un conseiller ministériel.
« Une mission parlementaire, à part gagner du temps, ne sert pas à grand-chose »
Ce nouveau rebondissement fait grincer dans les rangs des sénateurs opposés à la ratification. « Malheureusement, c’est sans surprise de la part d’un gouvernement qui, depuis le début, n’a pas joué la carte du débat démocratique », commente Cécile Cukierman, la présidente du groupe communiste au Sénat. Après quatre ans et demi d’attentes, son groupe a finalement forcé la main du gouvernement en inscrivant en février le projet de loi à l’ordre du jour de sa niche parlementaire. « On est dans une situation assumée pleinement par la majorité présidentielle de s’assoir sur la consultation parlementaire, représentant des citoyens et des territoires ».
« Le ministre persiste et signe », s’agace également Laurent Duplomb (LR), l’un des autres fers de lance des opposants au Ceta. « Il persiste sur la même logique de passer par-dessus le Parlement, comme il l’a fait depuis 5 ans. Et il signe, car une mission parlementaire pour le suivi des mesures miroirs, à part à avoir l’objectif de repousser encore le délai et gagner du temps, ne sert pas à grand-chose, sauf à confirmer ce que disait la Commission européenne », estime le sénateur, éleveur de profession. Dans son rapport, le sénateur de la Haute-Loire invoquait deux audits de la direction générale de la santé et de la sécurité alimentaire de la Commission européenne, qui mettaient en évidence des « lacunes » dans le contrôle des normes applicables à la viande produite au Canada.
« Le gouvernement ne voulait pas en faire un sujet pour les européennes, il est en train de faire l’inverse »
Chef de file des socialistes sur le projet de loi de ratification, Didier Marie se scandalise du choix du gouvernement de ne pas avoir transmis rapidement le texte. « Là, on est dans le déni total du Parlement et de la démocratie. C’est proprement intolérable. J’espère que le gouvernement va se ressaisir et permettre au texte de poursuivre sa route, car dénuer au Parlement la possibilité de ratifier un accord, alors qu’elle est prévue depuis l’origine, c’est scandaleux », dénonce le sénateur de Seine-Maritime. Le socialiste voit également d’un mauvais œil l’annonce d’une mission parlementaire par le Premier ministre. « C’est une mission d’enfumage pour essayer d’étouffer l’affaire », estime-t-il.
À l’Assemblée nationale, le groupe des députés communistes a été contraint de revoir ses plans. Dénonçant une « entrave » à la navette parlementaire, ils entendent néanmoins faire pression sur le gouvernement le 30 mai, en mettant aux voix une « proposition pour contraindre le gouvernement à poursuivre le processus démocratique ».
À dix jours des européennes, le sujet sera donc bien débattu, même sous une forme différente, dans l’hémicycle. « Le gouvernement ne voulait pas en faire un sujet pour les européennes, il est en train de faire l’inverse », sourit le socialiste Didier Marie.