Fraîchement adopté au Parlement, le budget 2025 n’en a pourtant pas fini de donner du fil à retordre au gouvernement. Face à la fronde des auto-entrepreneurs, le ministre de l’Économie et des Finances a décidé de suspendre l’une des mesures du projet de loi de finances, lourde de conséquences pour l’activité de dizaines de milliers de Français. Éric Lombard en a fait l’annonce ce jeudi soir, au 20 heures de France 2 : une concertation se lance « afin d’ajuster cette mesure si c’est nécessaire », a-t-il précisé, évoquant des interrogations « légitime ».
Cette disposition inscrite à l’article 10 du projet de loi prévoit, et introduite au Sénat en décembre à l’initiative du précédent gouvernement, prévoit d’abaisser le chiffre d’affaires annuel en dessous duquel les microentreprises sont exemptées de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Il diminue le seuil à hauteur de 25 000 euros de chiffre d’affaires, au lieu de 37 500 euros actuellement pour les prestations de services et 85 000 euros pour les activités de commerce. Si la TVA est déductible, cette réduction soudaine aurait forcé plusieurs micro-entrepreneurs à augmenter leurs prix, ou à rogner leurs marges. « Pendant le temps de cette concertation, cette mesure sera suspendue, c’est-à-dire que les autoentrepreneurs ne devront pas s’inscrire pour payer la TVA. Donc on aura le temps du dialogue », a insisté le ministre de l’Économie.
Une concertation sur les plafonds de TVA ouverte jusqu’à la fin février
Les concertations ont démarré dès ce vendredi, sous l’égide de la ministre du Commerce et des PME, Véronique Louwagie. Plusieurs organisations professionnelles ont été reçues à Bercy, dont le Medef, la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), l’U2P, l’organisation patronale qui représente les entreprises de proximité et les professions libérales, ainsi que deux fédérations d’autoentrepreneurs. Le ministère se donne jusqu’à la fin du mois pour aboutir à une solution, la mesure étant censée s’appliquer à compter du 1er mars, selon le projet de loi de finances. Le texte n’est d’ailleurs pas encore promulgué, étant donné que le Conseil constitutionnel doit encore se prononcer sur la conformité des dispositions budgétaires vis-à-vis de la Constitution. En tout état de cause, un nouveau projet de loi sera nécessaire si le gouvernement souhaite modifier ce nouveau régime fiscal.
Ce matin, le Premier ministre François Bayrou a estimé que ses ministres et lui n’étaient les « responsables directes » de cette disposition, avant de mettre en cause le contexte particulier dans lequel le budget a été élaboré. « J’ai été nommé à la fin du mois de décembre. Il y avait un budget déjà en grande partie voté, nous avons choisi de partir de ce budget-là. L’analyse n’avait pas été suffisante. Il y avait des mesures qu’on n’avait pas vues dans le budget », s’est justifié le chef du gouvernement sur RMC ce vendredi. Et d’ajouter : « À chaque fois qu’on se trompe, il faut le dire. »
Il y a deux mois, le rapporteur général au Sénat mettait en garde le gouvernement
Le virage à 180 degrés du gouvernement est bien accueilli au Sénat, qui ne souhaitait pas entendre parler de l’abaissement du plafond. Lors des débats sur la première partie, l’amendement du gouvernement avait été purement et simplement rejeté, le 28 novembre dernier. Le ministre des Comptes publics de l’époque, Laurent Saint-Martin, avait défendu une mesure allant dans le sens d’une simplification, grâce à une harmonisation des seuils. Il avait également justifié cette réforme par la nécessité de mettre fin à des distorsions de concurrence, entre des entreprises issues de pays différents de l’Union européenne, ou au sein d’entreprises françaises de statuts différents. La demande était notamment portée par les artisans.
Retoquée dans un premier au temps au Sénat, la disposition a cependant été réintroduite, au cours d’une deuxième délibération demandée par le gouvernement, en fin d’examen de la partie recettes du projet de loi, le 1er décembre. Une trentaine de modifications ou d’ajouts ont refait l’objet d’un nouveau vote. « C’était un package. C’était tout ou rien », précise ce vendredi Jean-François Husson.
Deux mois tard, le rapporteur général ne peut que constater les dégâts. « Une fois de plus, j’avais raison », grince ce vendredi Jean-François Husson, qui a souvent anticipé certaines difficultés dans le passé. « J’ai à nouveau évoqué le sujet hier matin avec le ministre de l’Économie pendant que j’étais au banc, en lui disant qu’il y avait un sujet. Ce n’est pas faute d’avoir averti le gouvernement », relate-t-il. Et d’ajouter, au sujet de la suspension de la mesure : « Cela montre la capacité d’écoute mais cela montre aussi que le sujet n’était pas pleinement abouti. »
« Remettre le sujet à plat me paraît être une évidence », réagit le président de la commission des finances du Sénat
« Cette mesure a été très mal préparée. La suspendre, pour en discuter avec ceux qui sont concernés est une bonne solution. Remettre le sujet à plat me paraît être une évidence », salue également ce vendredi, le président de la commission des finances du Sénat. Claude Raynal (PS) ne voit d’ailleurs aucune difficulté pratique à ce que la mesure soit suspendue, y compris au-delà de sa date officielle d’application du 1er mars. « Le gouvernement a la possibilité de ne pas la mettre en œuvre. Et ce ne serait pas la première fois. »
La commission mixte paritaire des 30 et 31 janvier, chargée d’élaborer le texte final du budget 2025, est totalement passée à côté des seuils de TVA applicables aux micro-entrepreneurs. Il faut dire que le sujet se nichait dans un article présenté comme une mise en conformité des taux de TVA dans le chauffage avec le droit européen, le tout au beau milieu d’un projet de loi long de 250 articles. « Dans la masse des articles examinés, c’est passé entre les mailles du filet. On ne l’a pas vu », témoigne le sénateur Stéphane Sautarel (apparenté LR), qui a siégé à la commission mixte paritaire.
Cette CMP a dû passer en revue, en l’espace de 14 heures, l’ensemble du projet de loi de finances. Le parlementaire en veut au gouvernement. La mesure n’est pas d’origine parlementaire et a été entérinée en bout de course par voie de 49.3. « C’est pour le moins de l’amateurisme », réagit le sénateur, très sollicité par des microentreprises sur ce sujet ces derniers jours.
« Cela va poser un problème de crédibilité », craint le sénateur Stéphane Sautarel (apparenté LR)
Lorsque les organisations professionnelles sont montées au créneau, après que le texte de la CMP a été rendu public lundi, de nombreuses oppositions se sont engouffrées dans la brèche. La France insoumise a fait savoir qu’elle déposerait une proposition de loi pour annuler cet amendement. Le Rassemblement national a lancé de son côté une pétition, de façon opportuniste puisque le groupe de Marine Le Pen avait défendu lui-même dans un amendement abaissant le plafond de TVA, dans une version d’ailleurs plus dure en comparaison de celle du gouvernement.
« La réouverture du débat, je m’en réjouis mais tout cela aurait dû être anticipé », note Stéphane Sautarel. Le sénateur n’est cependant pas rassuré par la tournure que prend le budget, un jour seulement après son adoption définitive. « Sur la forme, c’est assez inquiétant. Ce n’est même pas encore promulgué qu’il faut déjà revoir une mesure. Cela va poser un problème de crédibilité, à la fois des mesures mises en œuvre par le gouvernement, et de crédibilité sur le solde budgétaire », poursuit-il. Invitée de notre matinale, Christine Lavarde (LR) redoute, elle aussi, un effet de contagion sur d’autres dispositions, et d’autres renoncements potentiels.
Dans l’entourage de la ministre chargée du Commerce, de l’Artisanat, des Petites et Moyennes entreprises, on souligne que cet abaissement des plafonds d’exonération de la TVA devait rapporter environ 400 millions d’euros.
Difficile à estimer précisément, ce rendement reste purement théorique. « Ce n’est pas automatique. Un nouveau plafond va forcément modifier les pratiques. On n’est absolument pas certain du rendement », tempère le sénateur Stéphane Sautarel.