Les prix des carburants renouent avec les sommets de l’année 2023. Depuis le début de l’été, les automobilistes et les professionnels le constatent chaque jour à la pompe : l’addition devient sévèrement salée. En l’espace de deux mois, le coût du litre de gazole a grimpé de 25 centimes pour atteindre 1,95 euro en moyenne. Quant au sans plomb 98, il se maintient à des niveaux élevés, à plus de deux euros le litre.
Face aux conséquences sociales de la progression des cours du pétrole, l’exécutif cherche la parade. Cette fois, contrairement à 2022, pas de remise de l’État sur le prix des carburants. Ni d’indemnité carburant comme au début de cette année. À quelques jours de la présentation du prochain budget, les marges de manœuvre budgétaires sont désormais contraintes. Comptant sur la bonne volonté des distributeurs, comme les ventes à prix coûtants des distributeurs ou encore le plafonnement du litre de de carburant à 1,99 euro par TotalEnergies, le gouvernement encourage désormais d’aller plus loin en faisant sauter un verrou, à travers une autorisation temporaire de la revente à perte. Selon la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), il s’agit de « la revente d’un produit en l’état au-dessous de son prix d’achat effectif ». Cette pratique est actuellement illégale.
La Première ministre l’a fait savoir le 16 septembre, à l’occasion d’une interview au Parisien. « Je vous annonce qu’à titre exceptionnel sur le carburant et sur une période limitée de quelques mois, nous allons lever cette interdiction, ce qui permettra aux distributeurs de baisser davantage les prix », a détaillé la Première ministre, qui promet des « résultats tangibles ».
Un projet de loi sera nécessaire puisque l’interdiction est gravée dans la loi depuis 1963. La loi du 2 juillet 1963, une loi de finances rectificative, a interdit la revente à perte à une époque où les grandes surfaces étaient en plein développement. L’idée du législateur était alors de protéger les petits commerces de détail face à la montée en puissance de grands groupes, et d’éviter toute concurrence déloyale. En clair, l’objectif est d’empêcher une guerre des prix que les petits commerçants n’auraient pas les moyens de supporter. Une loi est venue renforcer ultérieurement les sanctions, en 1986.
Craintes sur les stations indépendantes
Comme l’a précisé le ministre de l’Économie et des Finances, la proposition sera débattue dans le cadre du projet de loi sur les négociations commerciales entre les producteurs et les distributeurs, au Parlement à partir d’octobre. Le texte sera présenté en Conseil des ministres ce 27 septembre. Bruno Le Maire vise une entrée en application dès le mois de décembre, et ce, pour une durée de six mois.
Rien que sur le principe, cette perspective affole déjà les stations-services indépendantes, dont la rentabilité est plus faible. Mobilians, le syndicat des métiers de la distribution et des services de l’automobile, a fait part de son vif mécontentement. « En faisant sauter le verrou de la revente à perte – qui ressemble fort à une privatisation des déficits publics – le gouvernement aura un autre choix politique et financier à assumer : soit d’enterrer à très court terme 2.200 stations-services indépendantes dans l’incapacité économique de s’aligner, soit de donner les moyens au secteur de prendre le tournant de la transition écologique », dénonce leur directeur général, Xavier Horent.
En France, environ un tiers des 10.000 à 11.000 stations sont gérées par TotalEnergies (3.400 stations), et une moitié ont une enseigne de la grande distribution. Les autres sont indépendantes.
« Un miroir aux alouettes »
Au Sénat, l’idée rencontre déjà de vives résistances. Stéphane Le Rudulier (LR) décrit une « idée catastrophique » d’Élisabeth Borne, qui n’a eu le courage, selon lui, d’abaisser la fiscalité sur le carburant. « Ça ne servira que les stations des grandes surfaces tuant tous les petits acteurs », dénonce-t-il. Membre de la commission des finances, Hervé Maurey (Union centriste) fustige également l’idée du gouvernement. « Il y a un déséquilibre total entre ce que peut une petite station indépendante et l’hypermarché qui peut répercuter le manque à gagner sur un grand nombre de produits. C’est un attrape-nigaud, un miroir aux alouettes. Je fais même le pari que les hypermarchés feront des opérations coup de poing sur un week-end », nous déclare le sénateur de l’Eure. Le parlementaire, ancien président de la commission de l’aménagement du territoire, a récemment interpellé le gouvernement par écrit, sur l’inéquité de traitement entre les utilisateurs des stations Total et les habitants des territoires ruraux.
Même sentiment d’incompréhension, dans le groupe PS. Sur X (Twitter), Le sénateur Rémi Cardon s’alarme d’une « dérégulation dangereuse qui contourne la loi de 1963 sur la revente à perte et ne bénéficiera qu’aux grands groupes ». D’autres formations présentes uniquement à l’Assemblée nationale, comme le Rassemblement national, affichent aussi leur opposition à la piste de Matignon. Invité ce matin sur notre antenne, Sébastien Chenu, l’un des vice-présidents du parti, a fait savoir que son groupe n’était pas favorable à cette option.
On le voit, à peine annoncée cette disposition ne s’engage pas sous les meilleurs auspices. Faut-il rappeler qu’à l’été 2022, au moment de l’examen du paquet sur le pouvoir d’achat, et du budget rectificatif, le Parlement avait fléché 15 millions d’euros pour soutenir les petites et moyennes stations-services indépendantes, « essentiellement situées dans les zones rurales et péri-rurales ». L’idée était de leur permettre de diversifier leur activité ou de pratiquer elles aussi des remises, dans un contexte de flambée des prix des carburants. Selon le Sénat, « 27% des 4 150 stations-service indépendantes françaises pourraient disparaître d’ici 2035 ».