Paris: Declaration politique generale Michel Barnier

Budget : les participations de l’Etat dans les grandes entreprises dans le viseur des macronistes, de quoi s’agit-il ?

Des députés macronistes assurent pouvoir dégager 18 milliards d’euros supplémentaires dans le budget 2025 grâce à la vente de titres de participation de l’Etat au capital de grandes entreprises. Cette somme permettrait, assurent-t-il, de préserver les allégements de cotisations patronales et d’éviter certaines mesures fiscales. D’autant que ces dernières années, plusieurs rapports ont pointé les flottements de la stratégie actionnariale de l’Etat.
Romain David

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Vent debout contre les hausses d’impôts prévues dans le prochain budget, les députés du groupe Ensemble pour la République proposent à l’Etat de vendre une partie des parts détenues dans des entreprises cotées en Bourse pour augmenter ses recettes. Alors que s’ouvrent à l’Assemblée nationale, ce lundi 21 octobre, les débats sur le projet de loi de finances 2025, après un examen houleux en commission des finances, une vingtaine de parlementaires macronistes, soutiens théoriques du gouvernement de Michel Barnier, ont publié dans La Tribune du dimanche un long texte où ils alertent sur les conséquences que pourraient avoir la refonte des allègements de cotisations et la hausse de la fiscalité sur la compétitivité française.

Leur alternative : « Vendre seulement 10 % des participations d’Etat [à des entreprises cotées] rapporterait autant, voire plus, que la hausse contre-productive de l’impôt sur les sociétés ou l’augmentation des charges du travail prévues par le gouvernement ». L’ancien ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, qui avait déjà évoqué cette hypothèse début octobre dans Les Echos, fait partie des signataires de la tribune, ainsi qu’Olivia Grégoire, ex-ministre déléguée chargée des Entreprises, du Tourisme et de la Consommation ou encore Mathieu Lefèvre, membre de la commission des finances.

Ils annoncent vouloir déposer un amendement en ce sens. « Cédons des participations dans lesquelles l’État lui-même ne comprend d’ailleurs plus vraiment ni son rôle ni sa mission », écrivent-ils, ciblant notamment Orange, Stellantis, et la Française des jeux (FDJ).

« C’est un one shot »

Sur France inter, Laurent Saint-Martin, le ministre des Comptes publics, a fait savoir qu’il n’était « pas opposé » à cette idée. « Il faut toujours soupeser entre la cession de parts qui permet le remboursement de la dette […] et le manque à gagner par les dividendes que cela crée si vous cédez vos parts », a toutefois averti ce responsable gouvernemental. « Je refuse que l’on privatise l’Etat », a dénoncé Éric Coquerel, le président LFI de la Commission des finances sur RTL. « C’est une logique idéologique que de transférer au privé des choses que, normalement, l’Etat assure », a-t-il épinglé.

« Le jour même où Antoine Armand, le ministre de l’Economie, annonce une participation de l’Etat dans le Doliprane, sa famille politique souhaite vendre les bijoux de famille », ironise le sénateur communiste de Seine-Saint-Denis Fabien Gay, vice-président de la commission des Affaires économiques. « Le problème de brader des actifs, c’est que c’est un one shot », avertit l’élu. « Vous avez une importante rentrée d’argent la première année et ensuite, plus rien, là où les dividendes vous permettez d’engranger chaque année ».

2,3 milliards d’euros de dividendes en 2023

En 2023, le portefeuille de participation de l’Etat représentait 85 entreprises pour une valeur globale de 179,5 milliards d’euros au 30 juin 2024, selon les chiffres publiés par Bercy. 28 % de la valeur totale du portefeuille, soit 50 milliards d’euros, correspond à des participations dans des sociétés cotées en Bourse. Mais de manière indirecte, les activités d’actionnaire de l’Etat sont en réalité plus larges, via la Banque publique d’investissement (BPI), dont il détient 49,2 %, et la Caisse des dépôts et consignations, à hauteur de 98,4 %.

Les dividendes de l’État actionnaire ont représenté 2,3 milliards d’euros en 2023. Elles sont intégrées aux recettes budgétaires de l’Etat. L’utilisation du produit des cessions de participation est encadrée par la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001. Elles peuvent être mobilisées pour financer d’autres participations ou pour rembourser la dette de l’Etat. Raison pour laquelle les 18 milliards de recettes proposées par les députés Renaissance ne pourront pas venir gonfler le budget de fonctionnement de l’Etat ou être utilisés pour financer des politiques publiques. Ce qui fait encore dire au sénateur Fabien Gay, que « les macronistes veulent vendre par amendements les bijoux de famille pour éponger une goutte d’eau dans un déficit de 3 000 milliards… »

« Je pense qu’il y a une forme de méconnaissance de la loi de la part de ceux qui proposent cela », sourit le socialiste Claude Raynal, président de la commission des finances du Sénat. « Il est vrai qu’il peut y avoir, dans le portefeuille de l’Etat, des participations qui, au fil des années ont perdu leur raison d’être. Mais l’on ne réduira pas nos déficits par une vente d’une année, destinée à colmater une brèche budgétaire. Nous avons besoin d’une vision stratégique », soutient-il. « Pour réorienter le fléchage des sommes récupérées par les cessions, il faudrait effectivement changer la loi », abonde la sénatrice LR de Savoie Martine Berthet, auteure d’un rapport pour avis sur le budget alloué aux participations financières de l’État. « Sans doute y a-t-il des marges de manœuvre à trouver dans ce portefeuille, mais je doute que l’on arrive aux 10 % réclamés par les députés Renaissance ».

« Il y a quelques milliards à investir dans cette affaire. Vendre certains actifs nous permettrait de retrouver du capital pour miser sur des secteurs plus déterminants », nuance le sénateur LR de Haute-Garonne Alain Chatillon, qui a longtemps travaillé sur ce sujet. « Aujourd’hui, vu l’état des marchés, si vous voulez emprunter à des taux plus bas, vous devez avoir un bon capital de départ ».

Elargissement du portefeuille

Actuellement, les entités concernées par des participations directes de l’Etat peuvent se diviser en quatre grandes catégories : le secteur de l’énergie, celui des transports, les sociétés de services et de financement, et les grandes industries.

Le secteur des transports est le plus représenté avec une vingtaine d’entreprises, notamment celles qui assurent le pilotage et le développement des grandes structures aéroportuaires : l’Etat est partie prenante dans neuf aéroports et dix grands ports. Par ailleurs, depuis la reprise de contrôle d’EDF à 100 % du capital en juin 2023, Airbus est devenu l’entreprise au sein de laquelle la participation de l’Etat est la plus forte : 22,7 % des parts, à hauteur de 11,3 milliards d’euros.

Globalement, les capitalisations se portent vers des domaines directement liés à la souveraineté nationale, avec un fort potentiel stratégique, comme la défense (Naval group, DCI) et le nucléaire (TechnicAtome) ou des entreprises qui assument une mission de service public (EDF, France Télévisions, La Société pour le logement intermédiaire…). Ces notions de « souveraineté nationale » et de « service public » n’ont été intégrées qu’en 2017 dans le rapport d’activité de l’APE, l’agence qui pilote les intérêts de l’Etat actionnaire, directement placée sous la tutelle du ministre de l’Economie.

Après la crise sanitaire, l’accent a également été mis sur le soutien aux entreprises menacées de faillite, sur les innovations numériques et technologiques, mais aussi sur l’économie verte. Depuis 2022, un travail de réflexion a été entamé autour des notions de performance, de résilience et de responsabilité.

Un flou stratégique « inacceptable »

Pour autant, le rapport publié en novembre dernier par Martine Berthet, au nom de la commission des affaires économiques du Sénat, pointe l’absence de doctrine véritablement formalisée et va même jusqu’à dénoncer « un flou inacceptable » sur la stratégie actionnariale de l’Etat. « Nous avons un portefeuille qui est aujourd’hui assez large et diversifié. Peut-être faudrait-il le recentrer sur les entreprises stratégiques de la défense, de l’espace et des télécoms », nous indique la sénatrice LR. Même inquiétude du côté de la Cour des comptes, dans un document d’avril 2024 : « Au total, cette dilution des priorités donne un caractère assez flou à la doctrine ».

« Il n’y a plus vraiment de ligne stratégique. L’Etat se sert surtout de l’APE de manière ponctuelle, lorsqu’il éprouve le besoin de peser dans les choix stratégiques de certaines entreprises, souvent pour conserver l’emploi sur le territoire. C’est exactement ce qui se passe aujourd’hui avec le Doliprane et la BPI », pointe Claude Raynal.

Autre illustration de ce flottement stratégique : l’APE n’a plus procédé à aucune cession d’envergure depuis 2019 et la loi Pacte, qui a permis la vente de 52 % de La Française des jeux (FDJ) et son introduction en Bourse, ainsi que la réduction des parts de l’Etat au capital d’Engie. Le texte prévoyait également la privatisation du Groupe ADP (ex-Aéroports de Paris), finalement abandonnée. « Dans un contexte post-covid, certaines cessions auraient été incompréhensibles. Les entreprises avaient besoin d’être soutenues. Si ces dernières années la rentabilité du portefeuille de participations a été inférieure à la moyenne du CAC40, nous avons observé un léger mieux en 2023 », explique Martine Berthet.

« Il est important de comprendre que certaines entreprises, qui ne paraissent pas stratégiques de prime abords, peuvent être intéressantes pour l’Etat. Je pense, par exemple, à la FDJ et au loto du patrimoine », ajoute l’élue. « Nous avons déjà considérablement réduit notre participation à la FDJ. Personnellement je considère que c’est une grave erreur, car la question des jeux d’argent et de l’addiction qu’ils suscitent devrait être aux mains de la puissance publique », martèle le communiste Fabien Gay. « Orange, anciennement France Télécom, est encore le maître du réseau. Nous avons des problèmes de zones blanches. Que ferons-nous quand nous n’aurons plus les moyens de peser sur la politique de l’entreprise ? Quant à Stellantis, je rappelle que l’industrie automobile est confrontée à une crise majeure avec 80 000 emplois menacés ». Une manière d’appeler l’Etat à l’exemplarité et à ne pas se comporter comme un simple actionnaire privé.

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