Budget 2025 : un report du texte possible juridiquement, mais risqué politiquement

Budget 2025 : un report du texte possible juridiquement, mais risqué politiquement

Alors que les consultations élyséennes se prolongent, Matignon s’est penché sur la possibilité de déroger à la loi organique pour reporter le dépôt du projet de loi de finances au Parlement. Cette option, laissée à l’appréciation du futur gouvernement, est plausible selon l’avis de constitutionnalistes. Le président de la commission des finances du Sénat désapprouve totalement l’idée.
Guillaume Jacquot

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Zone de turbulences. Chaque jour qui s’écoule complique un peu plus la tâche du futur gouvernement, et singulièrement celle des parlementaires, s’agissant du budget 2025. Démissionnaire depuis le 16 juillet, le gouvernement Attal n’a pas le pouvoir de présenter des actes à dimension politique, et doit se contenter d’expédier les affaires courantes. Autrement dit, assurer un fonctionnement minimal pour assurer la continuité de l’État.

La préparation du futur projet de loi de finances a naturellement pâti de cette situation et l’exercice a viré au numéro d’équilibriste pour le ministère des Finances cet été. Contrairement aux autres grands textes mis sur pause, la France ne peut pas se passer d’un budget au 1er janvier. Et tout doit être prêt pour que la séquence parlementaire puisse s’ouvrir en octobre, lequel dispose de 70 jours d’examen. Le 20 août, le Premier ministre sortant Gabriel Attal a proposé de reconduire à l’identique les montants des crédits de l’État pour 2025, dans les lettres-plafonds transmises aux différents ministères. Cette ébauche de budget, qualifié de « budget réversible » par Matignon, a l’avantage pour la future équipe de pas partir d’une page blanche.

Il restera surtout à la nouvelle équipe – à condition d’être nommée au plus vite – de parachever la base de travail : y mettre sa patte, procéder aux vrais arbitrages qui ont manqué, bref, donner une vraie ossature politique au texte. Une gageure, au vu des délais et de la préparation d’un gouvernement. Le projet de loi devrait déjà être théoriquement envoyé pour avis au Conseil d’État, avant d’être transmis au Haut conseil des finances publiques mi-septembre, puis d’être présenté en Conseil des ministres fin septembre. La loi organique relative aux lois de finances (LOLF) impose que le texte doit se retrouver sur le bureau de l’Assemblée nationale au plus tard le 1er octobre.

Possibilité de reporter le dépôt jusqu’à une ou deux semaines, selon le Secrétariat général du gouvernement

Selon Le Monde, le gouvernement démissionnaire a mis à l’étude la possibilité de décaler la transmission du projet de loi, au-delà de cette date, ce qui serait sans précédent. Selon une analyse menée par le Secrétariat général du gouvernement (SGG), sa vigie juridique, il serait possible de déroger à la date prévue par la loi organique, d’une semaine ou deux. Mais pas plus. Le plus important est d’assurer au Parlement le délai de 70 jours pour examiner le texte, prévu par la Constitution, ainsi qu’une petite semaine au Conseil constitutionnel pour se prononcer sur les recours.

En fin de semaine dernière, une rumeur bruissait également dans les couloirs du Sénat. Un sénateur nous confiait que le SGG était en train de se pencher sur le sujet. « Ils réfléchissent à des solutions pour reporter le budget pour des situations exceptionnelles », expliquait ce parlementaire bien informé.

Ce lundi, Matignon a indiqué à l’AFP ne pas envisager pas d’autre date que le 1er octobre. « Ce n’est en rien une décision du gouvernement actuel », ont tenu à préciser les services du Premier ministre, en précisant que le futur gouvernement pourra déposer le budget au plus tard à la mi-octobre, « s’il le souhaite ».

« Inacceptable sur le principe » s’étrangle le président de la commission des finances du Sénat

La balle est renvoyée aux successeurs. Une chose est sûre, cette option ne pourrait que dégrader un peu plus les relations avec les parlementaires. Une première entorse de la loi organique s’est déjà produite au début de l’été. En raison des législatives et de la démission du gouvernement, Bercy n’a pas transmis le « tiré à part », les grandes lignes du budget, que tout ministre des Finances doit normalement transmettre aux députés et sénateurs le 15 juillet au plus tard. Sous pression des commissions des finances ces derniers jours, le ministre des Comptes publics Thomas Cazenave a fini par s’engager à transmettre des éléments ce lundi 2 septembre.

Sondé sur l’éventualité d’un report de la présentation du budget de deux semaines, le président de la commission des finances du Sénat, Claude Raynal (PS) se montre passablement agacé. « Je comprenais l’histoire du 15 juillet. On était en pleine suite des élections, très bien. Maintenant, ce n’est plus le sujet. À force de procrastination, le président de la République fait n’importe quoi. C’est inacceptable sur le principe », s’impatiente le sénateur de Haute-Garonne. « Les lois organiques, c’est à lui de les défendre, certainement pas de s’assoir dessus. »

Le report, même minime, rendrait difficile la tâche de la commission des finances de l’Assemblée nationale, qui travaille déjà en temps en flux tendu avec les délais habituels. « Le gouvernement pourrait mettre le Parlement dans une grande difficulté à travailler sereinement. Si en plus on contraint les délais, donner des éléments avec tellement de retard qu’il serait compliqué de les analyser. Tout cela c’est encore une fois extrêmement méprisant pour le Parlement », conclut Claude Raynal.

« Une hypothèse crédible » selon le constitutionnaliste Jean-Pierre Camby

Risquée politiquement, l’hypothèse d’un report du dépôt ne fait pas sourciller les spécialistes. « C’est faisable et c’est même une hypothèse crédible », observe Jean-Pierre Camby, professeur associé à l’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines. « Comment un gouvernement, qui sera nommé au mieux en début de semaine prochaine, c’est-à-dire deuxième semaine de septembre, pourrait prévoir un Conseil des ministres au plus tard la semaine suivante, pour un dépôt de la dernière annexe au plus tard le 1er octobre ? »

Pour cet ancien chef du service juridique du Conseil constitutionnel, retarder le projet de loi de finances aurait l’avantage de « laisser au Conseil d’État le temps de se prononcer et de faire en sorte que le Parlement se prononce sur quelque chose de raisonnable ».

« Il n’y a pas en tant que telle de conséquence intrinsèque à un retard du dépôt du budget. Il ne sera pas déclaré contraire à la Constitution par le Conseil constitutionnel. L’important, c’est que les délais d’examen prévus par la Constitution soient respectés [70 jours au total au Parlement, ndlr] », analyse également Mathieu Carpentier, professeur de droit public à l’université Toulouse Capitole.

Rappelons que la Constitution a également prévu, à l’article 47, le cas où un budget ne pourrait pas être promulgué avant le 1er janvier. C’est ce qui se produirait si le projet de loi de finances était déposé au-delà de la mi-octobre sur le bureau de l’Assemblée nationale. En fonction des circonstances, le gouvernement pourrait, au choix, demander au Parlement de se prononcer avant la fin de l’année sur la partie relative aux recettes, ou présenter un projet de loi spéciale qui autorise l’État à continuer de percevoir les impôts existants.

En parallèle, le gouvernement ouvrirait par décret « les crédits applicables aux seuls services votés », c’est-à-dire le minimum nécessaire, sans aucune nouvelle initiative là non-plus. Le temps que le Parlement se prononce sur la partie du projet de loi de finances relative aux dépenses. L’Assemblée nationale et le Sénat ont déjà expérimenté cette procédure inhabituelle pendant l’hiver 1962-1963, à la faveur d’une dissolution (relire notre article).

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