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Budget 2025 : un effort parmi les plus sévères de la Ve République

Le cadrage budgétaire proposé par le gouvernement devrait représenter deux points de PIB, un niveau rarement observé au cours de l’histoire récente. Certains observateurs parlent d’un ajustement « inédit ».
Guillaume Jacquot

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Un chiffre est à retenir : 60 milliards d’euros. C’est l’effort budgétaire – en mêlant dépenses et recettes – que le gouvernement a choisi pour le cadrage budgétaire du projet de loi de finances pour 2025, dont le détail sera connu dans une semaine. Matignon prévoit 40 milliards d’euros de baisse des dépenses publiques. La moitié de cet effort sera assumé par l’État, 15 milliards portera sur le champ de la Sécurité sociale, et 5 milliards à travers le « lissage » des dépenses collectivités locales.

L’objectif est de permettre un retour du déficit à 5 % en 2025. Le point de départ a déjà posé une première difficulté. Sans nouvelles mesures de freinage, le déficit 2024 pourrait atteindre 6,1 %, très loin des 4,4 % prévus par le budget voté fin 2023. Quant à la tendance des dépenses, sans mesure de redressement, le déficit pourrait se creuser au moins à 6,5 % l’an prochain, selon les dernières données communiquées par le gouvernement au Parlement.

« Il va falloir se retrousser les manches », a fait savoir le rapporteur général Jean-François Husson (LR), lors d’une communication sur la situation budgétaire du pays à de la commission des finances du Sénat. 60 milliards d’euros représentent l’écart avec la trajectoire présentée dans le programme de stabilité, envoyé à la Commission européenne en avril. Pour rectifier le tir, le nouveau gouvernement propose donc un effort équivalent à deux points de PIB.

Un effort « inédit en ampleur »

« C’est inédit en ampleur. J’ai le sentiment que l’on va vivre un ajustement conséquent, sévère, mais nécessaire, car on est sous la surveillance de Bruxelles et des marchés financiers », déclare à Public Sénat Christian de Boissieu, professeur émérite à l’Université Paris 1, et vice-président du Cercle des économistes. « C’est la réduction de la dépense publique, en point de PIB, la plus forte, hors épisodes post-crises », estime également Christine Lavarde, sénatrice LR membre de la commission des finances.

Pour bien comprendre ce que l’effort proposé pour 2025 représente, il suffit de regarder dans le rétroviseur. À court terme, d’abord. Le précédent budget, tel qu’il a été présenté en septembre 2023, ne prévoyait que 16 milliards d’euros d’économies, reposant pour l’essentiel sur la sortie de boucliers énergétiques. Au global, en tenant compte des prévisions de recettes, Bercy tablait sur une diminution du déficit public de 20 milliards d’euros, soit 0,5 point de PIB. Les rentrées fiscales ont cependant été largement inférieures aux prévisions, et le gouvernement a dû annuler 10 milliards d’euros de crédits en cours d’exercice, dès le mois février.

Des plans d’économies importants sur les budgets 2012 et 2013

Le budget 2025 est assurément dans la catégorie des lois de finances les plus douloureuses de l’histoire récente. Le budget 2013, premier du quinquennat de François Hollande, qualifié à l’époque de redressement « le plus important depuis trente ans » par le président socialiste, représentait le dernier choc budgétaire. Ce plan de rigueur représentait 40 milliards d’effort, dont 24 milliards d’euros de hausses d’impôts. L’objectif était de ramener le déficit public de 4,5 % à 3 %, soit une baisse de 1,5 point.

Le budget précédent, pour l’année 2012, voté à la fin du quinquennat de Nicolas Sarkozy, a lui aussi été douloureux, après des années marquées par les conséquences de la crise des subprimes (2008-2009) et la crise des dettes souveraines européennes (2010-2012). Là aussi, le gouvernement Fillon a bouclé un projet de loi finances taillé pour ramener le déficit de 5,7 % à 4,5 % du PIB, soit 1,2 point. Gel de dépenses, suppression de 30 000 postes de fonctionnaires, rabot sur 22 niches fiscales, ou encore taxe exceptionnelle sur les hauts revenus : le plan comportait près de 19 milliards d’euros d’économies et environ 10 milliards d’euros de recettes nouvelles. Des efforts comparables à cette période 2011-2013 ont aussi été observés en France juste avant de rejoindre la zone euro, comme au moment du vote du budget 1996.

Des conséquences sur la croissance ?

L’une des interrogations face au serrage de vis qui s’annonce concerne la croissance. L’effort de 60 milliards d’euros pourrait-il amoindrir la croissance (attendue à 1,1 % l’an prochain) ? C’est la crainte de l’économiste Mathieu Plane, qui a publié ce jeudi une tribune dans Le Monde. Ce directeur adjoint du département analyse et prévision de l’OFCE, institut plutôt classé à gauche, redoute « un choc budgétaire surdimensionné », qui « anéantirait la croissance et tuerait dans l’œuf les objectifs de déficit, tout en augmentant les dégâts économiques et sociaux ».

Pour le professeur Christian de Boissieu, présenté comme libéral modéré, l’impact sur la croissance de l’effort budgétaire, et des autres à venir, sera « atténué » grâce à la nouvelle trajectoire envisagée par Michel Barnier. « Je pense que le fait de tendre vers les 3 % de déficit en 2029, au lieu de 2027, cela permet d’étaler dans le temps les ajustements requis, cela limite l’effet récessif ». Ce spécialiste des questions monétaires ajoute qu’il y a un autre élément à prendre en compte : les futures décisions de la Banque centrale européenne sur les taux directeurs auront un impact sur l’activité et les conditions d’emprunt de la France sur les marchés. « Le programme d’ajustement budgétaire n’est pas, en soi, une bonne nouvelle pour la croissance, mais il ne faut pas perdre de vue que la politique monétaire devrait être plus expansive, moins restrictive. Il y a une sorte d’effet ciseaux de compensation. »

Au Sénat, Christine Lavarde rappelle que dans l’Union européenne, des pays ont été « soumis à des efforts beaucoup plus drastiques » et « ont réussi à s’en sortir », citant par exemple les cas de l’Espagne et du Portugal, ou encore de l’Irlande. Pour l’année 2012, la Cour des comptes rappelait que les efforts programmés en Italie ou en Espagne étaient « de l’ordre de 3 points de PIB ».

Des décisions budgétaires qui pèseront sur une partie importante de la population

Une chose est sûre, l’impact se fera ressentir sur une partie importante de la population. Si Michel Barnier a davantage insisté dans son discours sur la contribution exceptionnelle des foyers aisés (environ 0,3 % des foyers fiscaux selon son ministre de l’Économie), les arbitrages budgétaires concerneront des millions de Français, d’une façon ou d’une autre. La revalorisation des pensions de retraite sur l’inflation, avec six mois de retard, en est une. Cette mesure pourrait permettre de dégager 4 milliards d’euros pour les finances publiques.

Des maîtrises dans les dépenses de santé sont également à prévoir. Côté fiscalité verte, le gouvernement souhaite alourdir le malus sur les véhicules neufs les plus polluants ou encore augmenter les taxes sur les billets d’avion. « Il faut que chacun participe à l’effort », estime la sénatrice Christine Lavarde.

Sur le front de la dépense, la plupart des ministères devraient être concernés. En plus du gel des dépenses pour un montant de 15 milliards d’euros d’économies, 5 milliards supplémentaires vont être ajoutés, avec des baisses d’effectifs.

60 milliards d’euros, un montant plancher ?

Les opérateurs de l’État devront également freiner leurs dépenses, à hauteur d’un milliard d’euros. « Tout cela est possible, mais avant que ça ne porte des effets budgétaires, il faut déjà avoir entrepris la rationalisation et la simplification », prévient Christine Lavarde.

Reste aussi à savoir aussi si le budget 2025 qui sortira du Parlement se limitera à 60 milliards d’économies. Face à ses collègues de la commission des finances, Jean-François Husson a par exemple estimé, à titre personnel, « qu’il ne faudra pas hésiter à proposer des économies en dépenses au-delà de ce qui nous sera présenté ». Quant aux recettes, le sénateur estime qu’il faut « rapidement redresser la barre et si besoin passer par là pour reprendre la main sur nos finances publiques ».

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