« Un cadre sous tension » : le ministre de l’Économie n’exclut pas des ajustements budgétaires en cas de croissance plus faible

Auditionnés au Sénat sur la trajectoire des finances publiques, le ministre de l’Économie, Éric Lombard, et la ministre des Comptes publics, Amélie de Montchalin, ont insisté sur la nécessité de tenir l’objectif de déficit public. Face aux sénateurs, ils ont promis une « méthode prudentielle », afin de « gérer les aléas ».
Guillaume Jacquot

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C’était il y a seulement un mois. Le budget 2025 était enfin promulgué, au terme d’une préparation et d’un examen au Parlement totalement chamboulés. L’histoire de cette loi de finances, née dans la douleur, n’est cependant pas terminée.

Le gouvernement, comme les parlementaires, a depuis quelques semaines les yeux rivés sur son exécution au fil des prochains mois, et notamment sur le respect en ligne d’arrivée de l’objectif d’un déficit à 5,4 % du PIB, après plusieurs mois de violents dérapages. « Atteindre ces 5,4 % serait déjà en soi une réussite, quand on sait les dérapages majeurs, entre 2023 et 2024 », a estimé le président de la commission des finances du Sénat, Claude Raynal (PS), en ouvrant l’audition des deux principaux ministres de Bercy ce 19 mars.

Un déficit 2024 « potentiellement un tout petit peu inférieur » aux 6 % prévus

Amélie de Montchalin, la ministre chargée des Comptes publics, a commencé l’échange avec une relative bonne nouvelle. Le niveau du déficit 2024 devrait finalement s’atténuer par rapport aux prévisions de l’hiver. « La loi de fin de gestion et les derniers éléments nous laissent à penser que le déficit pourrait être un peu meilleur que prévu », a-t-elle précisé. Il devrait être, selon elle, « potentiellement un tout petit peu inférieur » aux 6 % du PIB inscrits dans le dernier texte budgétaire. Cela reste très éloigné du déficit de 4,4 %, qui figurait dans la loi de finances de 2024, mais il s’agit, pour une fois, d’une surprise dans le bon sens.

Deux explications principales sont avancées. D’une part, le déficit de la Sécurité sociale serait finalement limité à 15,3 milliards d’euros (au lieu des 18,2 milliards inscrits dans la dernière loi de financement), conséquence « d’un meilleur recouvrement des créances liées à la crise Covid ». D’autre part, le gouvernement a constaté un « un ralentissement d’un certain nombre de dépenses de fonctionnement des collectivités », en fin d’année. Les données du déficit public seront connues le 27 mars, au moment de la publication des comptes nationaux par l’Insee.

« Le cadre économique est sous tension », constate Éric Lombard

Au chapitre de la conjoncture, le ministre de l’Économie Éric Lombard a lui aussi d’abord mis en exergue les signaux positifs : le climat des affaires s’est redressé, la confiance des ménages s’est améliorée, et l’inflation élevée fait partie des mauvais souvenirs.

« Le cadre économique est néanmoins sous tension », a prévenu le ministre. Les perspectives de tensions commerciales avec les États-Unis pourraient avoir « un impact défavorable sur la croissance ». Le contexte géopolitique, incertain en Ukraine, va conduire les Européens à engager des investissements dans la défense, ce qui pèsera sur les dépenses publiques. À ce titre, le ministre a « confirmé » que le gouvernement visait toujours un retour du déficit sous les 3 % en 2029, « malgré l’effort accru en matière de défense ».

Une autre « mauvaise nouvelle », selon Éric Lombard, est dans ce contexte l’augmentation « brutale » des taux d’intérêt en Europe, qui renchérit le coût de la dette. Cette réaction sur le marché des emprunts d’État est notamment la conséquence du « bazooka » budgétaire de plusieurs centaines de milliards d’euros voté en Allemagne. Le ministre a néanmoins la « conviction profonde » que ce stimulus serait bénéfique à toute l’économie européenne.

D’autres éléments vont toutefois peser sur la bonne réalisation du budget, comme l’a rappelé le président Claude Raynal. L’Insee a révisé à la baisse ses prévisions de croissance pour le premier semestre. Fin juin, l’acquis de croissance ne sera que de 0,4 %, rendant difficile l’atteinte de l’objectif de 0,9 % prévu par le gouvernement. Autre signal inquiétant : le chômage remonte. « Ces aléas ne sont pas des excuses. Ces incertitudes ne peuvent pas devenir un prétexte à ne pas tenir notre engagement de cible de déficit », a insisté Amélie de Montchalin.

 Si la croissance est plus faible que prévu, ce qui est possible, effectivement nous devrons faire les ajustements. 

Éric Lombard, ministre de l'Économie, des Finances, le 19 mars 2025, devant la commission des finances du Sénat

« Tout cela doit nous inciter à être extrêmement prudent dans l’exécution budgétaire », a fait savoir Éric Lombard. « Si la croissance est plus faible que prévu, ce qui est possible, effectivement nous devrons faire les ajustements. » Pour anticiper toute difficulté, Bercy va s’appuyer sur son plan d’amélioration du pilotage des finances publiques, présenté le 3 mars. « C’est une méthode prudentielle, qui nous permet de gérer les aléas » mais aussi « très partenariale », a insisté Amélie de Montchalin. Amélioration des outils de prévisions, mesures correctrices prises au plus tôt, travail dans des intervalles de confiance, et surtout, meilleure association des parlementaires : l’ancienne députée Renaissance revendique avoir tenu compte de plusieurs des recommandations formulées par la mission flash du Sénat, sur la dégradation des finances publiques.

Après deux années de tensions entre la commission des finances et le ministère de l’Économie et des Finances incarné par Bruno Le Maire, le rapporteur général Jean-François Husson (LR) « note un changement de climat ».

« Nous n’avons pas droit à l’erreur », souligne le rapporteur général Jean-François Husson

Le gouvernement aura l’occasion de partager ses dernières données avec les commissions parlementaires concernées, et de dévoiler le cas échéant ses mesures de gestion, dans le cadre du « comité d’alerte », qui se réunira pour la première fois le 10 avril. Pour rappel, une note du Trésor du 26 février, évalue à 5 milliards d’euros les mesures à prendre au cours de l’année pour tenir les 5,4 % de déficit. Le gouvernement a annoncé que 8 milliards d’euros ont déjà été mis en réserve, dans tout le périmètre ministériel.

« Il va falloir être rigoureux dans l’accomplissement des objectifs de chacun, et faire en sorte de jouer avec une croissance qui s’annonce déjà un peu plus faible pour 2025 […] Je pense que nous n’avons pas droit à l’erreur », a mis en garde Jean-François Husson.

Un projet de loi de finances rectificative pour 2025 exclu à ce stade

Face à la perspective d’une hausse des investissements militaires, poussée par les Européens, plusieurs sénateurs se sont demandé si un budget rectificatif serait présenté en cours d’année, notamment Pascal Savoldelli (communiste) et Thomas Dossus (écologiste). Cette option n’est pas sur la table. « Nous pensons que ça n’est pas utile, puisque la façon dont nous avons calé – malgré d’ailleurs les risques sur la conjoncture – le budget, et la façon dont nous le pilotons, nous permet, pensons-nous, d’aborder cette année sans repasser devant le Parlement », a répondu Éric Lombard. La redéfinition de la planification prendra du temps, et les hausses devraient intervenir dans le budget 2026.

Le gouvernement veut d’ailleurs entamer très tôt la « coconstruction » de ce futur budget. « La méthode, cela va être le dialogue, jusqu’au mois de juin », s’engage Éric Lombard. Bercy veut notamment poser les enjeux des finances publiques devant les Français, mais aussi partager des constats « sur ce que fait l’État, ce qu’il doit faire, ce qu’il ne fait pas toujours bien », a énuméré Amélie de Montchalin. Interrogée à plusieurs reprises sur des esquisses de propositions concrètes, la ministre a reconnu que son ministère avait néanmoins quelques idées. « Il y a quand même des gisements d’économies et d’efficacité. On reviendra vers vous. »

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