Budget 2025 : les premières réponses qui se dessinent au Sénat pour redresser les comptes publics

Budget 2025 : les premières réponses qui se dessinent au Sénat pour redresser les comptes publics

La majorité sénatoriale entend remettre dans le débat ses marqueurs portés durant le débat budgétaire de l’an dernier. Les centristes espèrent bousculer les clivages pour générer de nouvelles recettes fiscales. Sur le front de la protection sociale, les sénateurs estiment que le Sénat peut influer fortement le texte.
Guillaume Jacquot

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Des heures difficiles attendent le Parlement cet automne. Le premier président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, estimait que week-end que le prochain budget serait « sans doute le plus délicat de la Ve République ». Cette épreuve parlementaire, que l’on qualifie généralement de marathon, relèvera cette année de la course d’obstacles. Après un accident majeur en 2023, entraîné par des recettes fiscales moins élevées que prévu, l’exécution du budget 2024 s’annonce elle aussi désastreuse avec un déficit public qui pourrait se creuser un peu plus, à 5,6 % du PIB, contre 5,5 % l’an dernier. Pour respecter une trajectoire acceptable pour nos partenaires européens, il faudra trouver une trentaine de milliards d’euros pour 2025, selon la direction générale du Trésor.

La marche à franchir est considérable, et le changement de gouvernement ne facilite pas les arbitrages en amont de la discussion parlementaire. C’est en ce moment que la copie, à déposer au Parlement normalement au 1er octobre, devrait être bouclée à Bercy. L’absence de majorité à l’Assemblée nationale reste le principal écueil et le sort des débats s’avère hautement incertain, avec la motion de censure comme épée de Damoclès. Dans cette configuration inédite, le Sénat estime avoir une carte à jouer. Sa commission des finances est d’ailleurs montée en créneau il y a quelques jours pour alerter sur la dégradation « catastrophique » de la situation financière du pays.

« On n’est pas du tout à couteaux tirés », souligne le rapporteur général du Sénat

Ses membres ont été réunis en urgence le 4 septembre, pour prendre connaissance des dernières données de l’administration. « On n’est pas du tout à couteaux tirés. J’ai bien senti que chacun comprend que nous sommes dans un temps particulier, singulier, que la Ve République n’a jamais connu », relayait leur rapporteur général, Jean-François Husson (ex-LR), évoquant une « mobilisation » de ses collègues.

Au sein de la commission, beaucoup vont être tentés de redéposer des amendements qui n’avaient pas convaincu le gouvernement de l’époque. « Ces travaux, nous allons les reprendre et les intégrer. On va tenter dans les travaux de la commission, toutes sensibilités confondues, d’en améliorer encore la pertinence et l’efficacité, avec des propositions de recettes nouvelles pour certains – on verra comment on arbitre – et d’économies sur la dépense publique pour d’autres », indiquait le sénateur de Meurthe-et-Moselle. Il y a an, le Sénat avait dégagé sept milliards d’euros de marge budgétaire, qui n’ont pas été retenus dans la suite de la navette parlementaire.

Aides à l’embauche d’apprentis, budget des opérateurs de l’État : la droite devrait ressusciter plusieurs de ses idées

La majorité sénatoriale de droite et du centre ne part pas d’une copie blanche. « Cela fait deux ans que nous proposons des économies assez substantielles, et qui ne sont pas suivies par le gouvernement. Nous allons continuer à les défendre », nous confie Stéphane Sautarel, vice-président (apparenté LR) de la commission des finances.

L’un des gros gisements d’économies identifiés par le Sénat se trouve dans les aides à l’apprentissage. Une récente revue de dépenses conduite par l’Inspection générale des finances, et celle des affaires sociales, a conclu à l’existence d’effets d’aubaines dans la subvention d’embauche d’apprentis de niveau licence ou master, ou par des grandes entreprises. Il y a un an, le Sénat avait décidé de réduire largement la voilure, en réservant les aides aux PME et aux apprentis de niveau inférieur à Bac + 3, pour une économie annuelle de 725 millions d’euros.

La droite sénatoriale et ses alliés centristes pourraient également être tentés d’introduire trois jours de délai de carence dans la fonction publique d’État, remodeler l’aide médicale d’État (AME) ou encore agir sur le budget des opérateurs de l’État, ce dernier étant un cheval de bataille très important de la droite. Ces trois propositions, cumulées, pourraient par exemple dégager un milliard d’euros d’économies supplémentaires, selon le Sénat. « Il faut d’abord et avant tout agir sur la dépense, c’est la priorité », insiste Stéphane Sautarel. Dans son pacte législatif, la droite avait exigé que la pression fiscale n’augmente pas.

Les membres de l’Union centriste veulent relancer leur combat sur les recettes

Pour leurs alliés centristes, cette ligne rouge tient d’autant moins dans le contexte de dégradation des finances publiques. « Il faut aussi agir sur les recettes, nous ne réussirons pas sans agir sur ce levier, c’est un verrou à faire sauter. C’est aussi une nécessité en matière de justice fiscale et sociale », défend le sénateur Union centriste Bernard Delcros. Pour la troisième année consécutive, le groupe UC devrait donc défendre une fois encore des amendements musclant les recettes fiscales. L’an dernier, le groupe évaluait à plus de 2 milliards d’euros le total des rentrées supplémentaires qu’auraient pu provoquer leurs amendements, s’ils avaient été intégrés à la loi de finances.

On devrait donc voir resurgir dans le débat des amendements relatifs à une plus grande progressivité de la contribution exceptionnelle sur les très hauts revenus, à la taxation des « super-dividendes », ou encore à la taxation des opérations de rachats d’actions par les grands groupes, une idée qui était à l’étude également au ministère des Finances ces derniers mois. Le débat sur la taxation des superprofits devrait sans surprise faire aussi son retour, un amendement avait été rejeté d’une seule voix l’an dernier au Sénat.

Comme les autres années, des alliances de circonstances pourraient donc se former entre centristes et sénateurs de gauche pour une fiscalité plus offensive. C’est ainsi que l’impôt sur la fortune immobilière avait été étendu à d’autres actifs, comme les yachts, les jets privés ou les bitcoins.

Un travail à mener sur les niches fiscales

À la vue de leurs amendements soutenus ces dernières années, socialistes, écologistes et communistes chercheront à pousser le curseur bien plus loin. Les trois groupes de gauche plaideront pour un rétablissement de l’ISF (impôt sur la fortune), une suppression de la flat tax sur les revenus mobiliers et leurs plus-values, ou encore l’instauration d’un barème de l’impôt sur le revenu alourdissant l’imposition sur les revenus les plus hauts. Ces propositions figurent sur le programme fiscal du Nouveau Front populaire.

L’approche du volet recettes pourrait aussi se faire par le biais des niches fiscales. L’an dernier, il existait 467 dispositions fiscales dérogatoires, pour un manque à gagner global de 81,3 milliards d’euros. Selon le groupe Union centriste, la discussion budgétaire ne pourra pas faire l’impasse sur ce sujet, en raison des « pertes de recettes » depuis 2017. En fonction des sujets, des voix de droite pourraient se retrouver sur cette thématique. À titre « personnel », Stéphane Sautarel considère qu’il y a des niches fiscales « qui méritent d’être réinterrogées ».

Un travail en bonne intelligence avec les députés sur le front de la protection sociale

Avant le budget général de l’État, les sénateurs devront d’abord se prononcer sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS). Moins médiatisé, ce texte est pourtant l’une des inconnues qui pèse le plus lourd dans l’équation budgétaire puisque la protection sociale représente près de la moitié de la dépense publique. Comme pour le budget de l’État, les perspectives sont nettement dégradées, en raison de recettes plus faibles qu’attendu et de certaines dépenses qui ont poursuivi leur progression.

 C’est le PLFSS du Sénat qui servira de référence, cela va être important ce que l’on va faire ici. 

Un membre de la majorité sénatoriale

Comme pour le projet de loi de finances, le Sénat a sans doute un coup important à jouer, en raison des rapports de force à l’Assemblée nationale. « C’est le PLFSS du Sénat qui servira de référence, cela va être important ce que l’on va faire ici », veut croire un sénateur de la majorité sénatoriale. La commission des affaires sociales du Sénat a d’ailleurs pris contact la semaine dernière avec ses interlocuteurs députés, le président Paul Christophe (Horizons) et le rapporteur général Yannick Neuder (Droite républicaine), pour définir un cadre de travail commun.

« Il faut travailler intelligemment. Il ne s’agit pas de proposer un amendement qu’on n’est pas sûr de voir approuvé dans l’autre assemblée. Si on ne fait pas des choix ensemble, il n’y aura rien de fait », prévient d’emblée Élisabeth Doineau, rapporteur générale (Union centriste) de la commission des affaires sociales du Sénat. « Très préoccupée par la dégradation des comptes publics », la sénatrice de la Mayenne estime qu’il « ne faut rien s’interdire en termes de réflexion » pour cette loi de financement de la protection sociale. Fiscalité comportementale sur les produits à risque, éventualité d’une deuxième journée de solidarité pour les dépenses liées au vieillissement, exonérations sociales, jours de carence, franchise sur les dispositifs médicaux : la parlementaire veut poser un certain nombre de sujets sur la table, et en étudier les effets. « Si on veut que la protection sociale soit favorable, il va falloir que l’on fasse quelques efforts », prévient-elle.

L’an dernier, la rapporteure de la branche maladie, Corinne Imbert (LR), considérait qu’il était « envisageable » de réaliser « un milliard d’euros d’économies par exercice pendant plusieurs années », « notamment par un renforcement de la lutte contre la fraude et par des contrôles accrus sur les actes médicaux redondants ».

Le rapporteur général du budget considère que les lois de programmation ne doivent pas être un tabou

Conscients de la difficulté de la tâche, les rapporteurs généraux du Sénat restent globalement pour le moment prudents sur les leviers d’économies à mettre en œuvre. Les journées parlementaires au cours des prochaines semaines pourraient amener un début de réponse. Interrogé le 4 septembre sur les éventuelles hausses d’impôts à voter, Jean-François Husson estimait qu’il était « trop tôt » pour se poser la question, en l’absence des projets de loi du gouvernement. Comme sa collègue Élisabeth Doineau, la cheville ouvrière du budget de l’État Sénat ne veut aucun tabou. Rien n’est gravé dans le marbre, pas même les lois de programmation adoptées ces dernières années pour les ministères régaliens (Défense, Justice, Intérieur). Auprès de Public Sénat, il appelait la semaine dernière à « tout revoir ». « On n’aura pas le choix. Est-ce qu’on aurait voté ces lois en 2024 dans la situation actuelle ? Non. »

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