Budget 2025 : le gouvernement assume des choix difficiles et récuse tout « matraquage fiscal ou cure d’austérité »

Budget 2025 : le gouvernement assume des choix difficiles et récuse tout « matraquage fiscal ou cure d’austérité » 

Le ministre de l’Economie et celui des Comptes publics ont présenté les grands arbitrages du projet de loi de finances pour 2025, avec pour cible un déficit public à 5 % du PIB. Revendiquant un effort de 60 milliards d’euros, dont deux tiers par des réductions de dépense, le gouvernement veut défendre la crédibilité financière du pays. Pris par le temps, il agira également par amendements au Parlement, pour la partie recettes comme pour la partie dépenses.
Guillaume Jacquot

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Les choses sérieuses commencent pour le gouvernement de Michel Barnier. Avec neuf jours de retard sur le calendrier légal, dus aux longues tractations politiques qui ont suivi les législatives, l’exécutif a présenté ce 10 octobre en Conseil des ministres le budget de l’État et celui de la Sécurité sociale pour 2025. Une longue séquence parlementaire de deux mois s’ouvre, d’abord dans une Assemblée nationale plus fragmentée que jamais.

Après deux années de dégradation d’un niveau inattendu des comptes publics, les deux textes financiers représentent 60 milliards d’euros d’effort budgétaire, afin de limiter le déficit à 5 % du PIB l’an prochain. « Ce sera difficile. Cela implique de bousculer nos pratiques et notre façon de dépenser l’argent public », a résumé ce jeudi le ministre de l’Économie, Antoine Armand.

L’ajustement proposé est inédit dans notre histoire récente et ne constitue qu’une première étape pour ramener la trajectoire sous le minimum européen des 3 % à l’horizon 2029, et sortir de la procédure pour déficit excessif. Sous la surveillance de ses créanciers, Bercy tient à tout prix à éviter un renchérissement du coût de notre dette, attendue à 3 300 milliards d’euros en 2024 (113 % du PIB). La réduction du déficit, « une nécessité pour protéger la signature de la France, et plus largement pour assurer notre stabilité économique », a insisté le ministre de l’Économie. Le déficit qui devrait se creuser à 6,1 % en 2024, pourrait atteindre 7 % l’an prochain sans mesure de freinage, en tenant compte de l’évolution naturelle de la dépense, liée à l’inflation et au vieillissement de la population.

Le Haut Conseil des finances publiques estime que l’effort repose sur 70 % de hausse des prélèvements obligatoires

Les deux tiers de l’effort – 40 milliards d’euros – seront réalisés par des réductions de dépenses, et le dernier tiers par le levier des impôts et des taxes, pour un volume de près de 20 milliards d’euros. Bercy martèle qu’il s’agit d’un budget de « responsabilité ». « Un chemin de responsabilité, je le dis très clairement, c’est un chemin qui exclut tout matraquage fiscal et toute cure d’austérité. Nous ne redresserons pas les comptes en cassant la croissance », a tenu à souligner le ministre du Budget et des Comptes publics, Laurent Saint-Martin.

Images : Flora Sauvage

Le Haut Conseil des finances publiques, chargé de rendre un avis sur le scénario macroéconomique des textes budgétaires, a cependant une lecture différente de la répartition de l’effort. Selon cette instance placée auprès de la Cour des comptes, l’effort repose à 70 % sur des hausses de prélèvements obligatoires (30 milliards d’euros) et à 30 % sur les dépenses (12 milliards d’euros). En cause des divergences d’interprétation entre cette instance et le gouvernement, la première voyant par exemple la réduction des exonérations de cotisations employeurs comme une recette fiscale, et le second comme une réduction de dépense.

Au total, le taux de prélèvement obligatoire devrait passer, après le PLF 2025, de 42,8 % du PIB à la fin de 2024, à 43,6 % l’an prochain, soit une hausse de 0,8 point. « C’est moins que les points hauts constatés au cours des dernières années », tempère l’entourage des ministres de Bercy.

Une contribution des plus hauts revenus et des entreprises les plus grandes

En ouvrant la porte à une plus forte imposition des ménages les plus aisés et des grandes entreprises, le projet de loi de finances (PLF) pour 2025 marque une forme de rupture par rapport aux sept dernières années marquées par une baisse continue de la pression fiscale. « Nous conservons notre doctrine en maintenant une politique de l’offre et un soutien ferme à l’activité », a toutefois précisé le ministre de l’Économie, même si « l’outil fiscal est nécessaire à court terme ». Les ministres de Bercy insistent aussi sur le caractère « temporaire » et « ciblé » de certaines mesures.

Un symbole, tout d’abord : 65 000 foyers fiscaux les plus fortunés (0,3 % du total) s’acquitteront d’une contribution exceptionnelle, qui doit porter leur taux minimal d’imposition à 20 % et limiter ainsi les effets des dispositifs d’optimisation fiscale. La recette attendue, pour ces personnes gagnant plus de 250 000 euros par an, est de deux milliards d’euros.

Toujours au nom de la « justice fiscale », les plus grandes entreprises seront également davantage mises à contribution, en 2025 et 2026. 440 entreprises dont le chiffre d’affaires dépasse un milliard d’euros seront frappées d’un taux d’impôt sur les sociétés supérieur au taux actuel de 25 % : 30 % pour les entreprises dont le chiffre d’affaires dépasse un milliard d’euros, et 36 % pour celles dont le chiffre d’affaires excède 3 milliards d’euros. Cette contribution doit rapporter 8,5 milliards supplémentaires dans les caisses de l’État l’an prochain. Le PLF stoppe aussi le mouvement de baisse des impôts de production. L’annulation de la poursuite de la baisse de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) permettrait de conserver 1,1 milliard de recettes.

Une taxe sur le rachat d’actions par les grandes entreprises est aussi prévue, pour un rendement annoncé de 200 millions d’euros. Le projet de loi alourdira également le régime fiscal des plus-values sur les meublés touristiques au moment des cessions, la fameuse niche fiscale Airbnb.

Renchérissement du niveau des taxes sur l’électricité

Si le Premier ministre s’est défendu de tout « choc fiscal », d’autres dispositions figurant dans le budget de l’État (hors Sécurité sociale) devraient toutefois toucher un public bien plus large. À commencer par le relèvement de l’accise sur l’électricité. Profitant de la décrue importante sur les prix de l’électricité, le projet de loi ouvre la voie à une normalisation des taxes sur la consommation. Mais cette taxe sera portée à un niveau supérieur à ce qui prévalait avant la crise inflationniste, de quoi engendrer des recettes supplémentaires bienvenues dans le contexte actuel. Le niveau sera fixé en février par arrêté, mais l’accise pourrait se situer dans une fourchette autour de « 50 euros le mégawattheure » (contre 22 actuellement, et 32 avant-crise). Bercy s’engage à fixer un montant permettant d’atteindre une baisse moyenne des factures au tarif réglementé de « 9 % » en moyenne l’an prochain.

Le PLF 2025 sera également plus sévère avec les énergies fossiles. Le malus écologique sur les transports polluants sera durci, pour un gain de 500 millions d’euros, tout comme la taxe sur les billets d’avion. Celle-ci fait encore l’objet d’échanges avec le secteur aérien. Une hausse de la TVA sur les chaudières à gaz est aussi prévue, conséquence d’une mise en conformité avec la réglementation européenne.

Du côté des baisses de dépenses : devant la Sécurité sociale (15 milliards) et les collectivités appelées à freiner leurs dépenses de 5 milliards d’euros, l’État sera le premier contributeur, avec 20 milliards de coupes et 1,5 pour ses opérateurs, grâce aux « rapprochements » d’éventuels doublons et des prélèvements sur la trésorerie « dormante ». Un effort qualifié de « partagé » par Bercy. Pour l’État, le gouvernement part des lettres plafonds préparées par la précédente équipe, qui permettent d’économiser 15 milliards d’euros par rapport à l’évolution tendancielle des dépenses. Bercy vise en parallèle 5 milliards supplémentaires à travers des amendements qui seront déposés au cours des débats parlementaires. Le manque de temps a empêché une intégration dans le texte initial.

Baisse des moyens des ministères

La mission Travail, par exemple, perd 2,3 milliards d’euros par rapport à la loi de finances pour 2024. Le gouvernement défend la suppression des emplois francs et veut alléger les moyens alloués aux contrats aidés. « Dès lors que le chômage atteint ses niveaux les plus bas depuis 40 ans, nous pouvons adapter nos mesures et l’ampleur du soutien », a justifié le ministre du Budget des Comptes publics. Idem avec les aides à l’apprentissage, Bercy veut aussi réduire la voilure.

Pour la transition écologique, le budget de Ma Prime Rénov’, qui finance les travaux d’isolation notamment, est réduit d’un milliard d’euros par rapport à l’an dernier. « Il y a des recalibrages de dispositifs pour tenir compte des sous-exécutions », précise le ministère des Comptes publics.

Le gouvernement propose par ailleurs de réduire nettement certains budgets « qui ont très fortement augmenté depuis 2017 », comme l’aide publique au développement. Celle-ci verrait ses moyens diminuer de 1,3 milliard d’euros, pour atteindre 5,5 milliards d’euros.

2 200 suppressions de postes dans la fonction publique d’État et les opérateurs de l’État

Au « faire mieux avec moins de moyens », le ministre des Comptes publics a ajouté le « faire mieux avec moins d’effectifs ». Le gouvernement prévoit 2 200 suppressions de postes, dont 1 200 pour les ministères et 1 000 pour les opérateurs, ces plus de 400 organismes auxquels est confiée une mission de service public et qui emploient plus de 400 000 personnes.

« Ce sont des baisses ciblées, pas des coupes indifférenciées », s’est défendu Laurent Saint-Martin. Pour la sphère de l’État, ce sont la Direction générale des finances publiques et l’Éducation nationale qui seront les plus touchées. Le schéma d’emplois de ce dernier ministère est en diminution nette de 2000 postes (4 000 postes d’enseignants en moins mais 2000 postes d’AESH nouveaux), sous l’effet de la baisse du nombre d’élèves. « Si on avait appliqué mécaniquement la baisse des effectifs liés à cette baisse du nombre d’élèves, on aurait une baisse d’enseignements de 4 800 », démine-t-on à Bercy. Du côté des opérateurs, c’est principalement à France Travail que les diminutions s’opèrent.

Des « bougés » pour les ministères régaliens au cours de l’examen du budget au Parlement

Ce jeudi, le gouvernement a annoncé que les lois de programmation adoptées ces dernières années, en faveur de la Défense, de l’Intérieur, de la Justice ou encore de la Recherche, ne pourront pas toutes être honorées à la hauteur de la marche qui était prévue pour 2025. « Il y aura des lissages », a prévenu Laurent Saint-Martin, et un traitement différencié selon les ministères concernés.

Des ajustements sont à prévoir dans les prochaines semaines. Bercy dit avoir entendu les critiques du garde des Sceaux Didier Migaud, qui estimait que son budget fixé par les lettres plafonds n’était « pas satisfaisant ». Le gouvernement proposera de le rehausser au cours des débats. Idem pour le ministère de l’Intérieur, à qui était promis jusqu’ici à une hausse de 600 millions d’euros de son budget. L’exécutif veut ainsi matérialiser la « priorité » qu’il accorde à la « sécurité des Français ».

D’autres amendements symboliques sont annoncés au cours des débats, comme une augmentation de 50 millions d’euros pour la dotation de la Poste. L’annonce de coupes en septembre avait suscité un tollé.

L’examen du budget s’annonce hautement périlleux à l’Assemblée nationale pour Michel Barnier. Et pas seulement du côté des oppositions. Mercredi, le Premier ministre a exprimé sa « préoccupation » face au manque de « solidarité » des différentes entités de sa coalition. Les ministres ont en tout cas assuré que le budget reposerait sur une « co-construction » avec les parlementaires. « Ce projet est, comme son nom l’indique, un projet. Un projet évidemment perfectible au vu de la situation politique et des délais », a reconnu le ministre de l’économie Antoine Armand. Son collègue Laurent Saint-Martin a dévoilé sa « règle d’or » : « chaque euro de recette supplémentaire sera gagé sur deux euros d’économies budgétaires ». « J’ai entendu beaucoup de lignes rouges. Moi je n’en ai qu’une seule, c’est de redresser les comptes. Ce sera ma seule boussole », a-t-il martelé.

Après des mois d’accidents budgétaires dans l’estimation de la collecte des recettes fiscales, mais aussi de transmissions d’informations tardives, largement dénoncées par le Sénat dans un récent travail d’enquête, le gouvernement a pris des engagements que les commissions des finances apprécieront. Antoine Armand veut lancer un plan d’action pour améliorer la « qualité et la transparence des prévisions de finances publiques ». Quant à Laurent Saint-Martin, il a promis de rendre compte « régulièrement » devant le Parlement des informations dont il disposerait. Les deux ministres vont désormais faire le service après-vente du projet de loi devant les deux commissions des finances de l’Assemblée puis du Sénat ce vendredi. Des auditions à suivre en direct sur notre antenne.

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