La question n’est plus de savoir si le gouvernement cherche ou non à doper les recettes fiscales dans le budget 2025, mais plutôt lesquelles, et de quelle manière. L’envolée plus importante que prévu du déficit public et la procédure pour déficit excessif imposeront de rechercher d’autres leviers que des baisses de dépenses. Pour 2024, le déficit pourrait se creuser à 6 % du PIB, selon les dernières prévisions de Bercy, alors que le Trésor tablait encore sur 5,6 % début juillet, déjà en dérapage marqué par rapport à la prévision de 5,1 % fixée au printemps.
Selon Les Échos et La Tribune du dimanche, des réflexions seraient en cours sur le sort à réserver au barème de l’impôt sur le revenu, qui concerne 45 % des foyers fiscaux. Le quotidien économique et l’hebdomadaire affirment qu’un gel du montant des tranches est à l’étude, ce qui pourrait générer quatre milliards d’euros de rentrées supplémentaires. Les dernières déclarations du Premier ministre Michel Barnier laissent toutefois penser que le gel ne concernera pas les classes moyennes.
Tous les ans, ou presque, depuis 1969, les niveaux des tranches du barème de l’impôt sur le revenu sont indexés en fonction de l’inflation, à l’article 2 du projet de loi de finances. Le principe est de neutraliser sur le plan fiscal, pour les contribuables imposés, une hausse de salaire ou d’une pension de retraite qui serait du même ordre que celles des prix, et donc d’éviter une perte de pouvoir d’achat. Pour les Français qui n’aurait pas bénéficié d’une augmentation de leur salaire aussi forte que l’inflation, la revalorisation des seuils des barèmes est même l’occasion pour eux de payer moins d’impôt sur le revenu. Sans revalorisation, une partie des revenus de certains Français pourraient donc migrer dans une tranche supérieure, et certains foyers non-imposables peuvent se retrouver redevables de l’impôt sur le revenu.
Un barème gelé, un précédent en 2011 et 2012
Le gel du barème s’est déjà produit une fois dans l’histoire, à la fin du quinquennat de Nicolas Sarkozy et au début de celui de François Hollande. La disposition a été intégrée dans le budget voté fin 2011, pour l’année 2012, période année où la situation budgétaire du pays était déjà jugée inquiétante. Le Premier ministre François Fillon parlait d’un des budgets « des plus rigoureux depuis l’après-guerre ». La mesure a été reconduite pour le premier budget de la nouvelle majorité socialiste, fin 2012, pour l’année, avec toutefois une amélioration du mécanisme de la décote, pour maintenir le niveau d’imposition des contribuables assujettis à la première et à la seconde tranche.
En 2012, première année d’application du gel, la décision a rapporté près de 1,7 milliard d’euros de recettes supplémentaires dans les caisses du Trésor public. Elle s’est matérialisée par un surcoût d’impôt de 80 euros en moyenne pour chacun des 20 millions de foyers fiscaux (500 euros en moyenne pour les foyers concernés par la dernière tranche). Autre effet : 400 000 nouveaux foyers. Pour 2013, en raison du mécanisme de la décote, le gel a été moins massif, touchant cette fois 10 millions de foyers, et rapportant 1,4 milliard d’euros. L’effet a donc été relativement limité pour les finances publiques, mais le gel a certainement nourri le sentiment de « ras-le-bol » fiscal dont ne s’est jamais remis François Hollande.
Pas de hausse d’impôts « sur l’ensemble des Français »
Le procédé est en effet risqué politiquement, puisque le gel du barème en réalité une hausse d’impôt qui ne dit pas son nom. « Nous ne pourrions ni soutenir, ni cautionner une telle mesure », s’est par exemple indigné le député Charles Rodwell (Ensemble pour la République). Face aux parlementaires Renaissance, vendredi, Michel Barnier a assuré qu’il n’y aurait pas de hausses d’impôts « sur les classes moyennes et les Français qui travaillent ». Le chef du gouvernement l’a répété dans des termes différents dimanche soir sur France 2. « Non, je ne vais pas alourdir encore les impôts sur l’ensemble des Français, […] mais je ne peux pas exclure que les personnes les plus riches participent à l’effort national. »
Interrogé ce mardi matin sur France Inter sur un possible gel du barème de l’impôt sur le revenu, le nouveau ministre de l’Economie Antoine Armand a répondu : « Nous n’allons pas alourdir la fiscalité de celles et ceux qui travaillent, qui appartiennent à la classe moyenne au sens large. »
Le sujet d’une revalorisation différenciée des tranches en débat ces deux dernières années
De quoi laisser la porte ouverte à un gel des seuils les plus élevés dans le barème, comme la tranche à 41 % (82 342 euros à 177 106 euros) et celle à 45 % (plus de 177 106 euros) ? Là encore, des traitements différenciés en fonction des tranches ont déjà existé. Dans les années 70, l’indexation des seuils en fonction de l’inflation variait suivant les tranches. Les premières tranches étaient relevées d’un coefficient supérieur à l’inflation, et les tranches les plus hautes étaient revalorisées avec un pourcentage plus bas que celui de l’évolution des prix.
Il y a deux ans, la commission des finances de l’Assemblée nationale avait même adopté un amendement de Charles de Courson (LIOT) – il est aujourd’hui rapporteur général du budget – qui prévoyait de revaloriser plus fortement sur l’inflation les tranches les plus basses du barème de l’impôt sur le revenu pour 2023 et de sous-indexer la dernière tranche. L’amendement a finalement été rejeté en séance.
Bis repetita l’an dernier, quand Pascal Lecamp (MoDem) a défendu l’indexation « linéaire » par une indexation « différenciée ». L’amendement avait convaincu une majorité de députés en commission des finances, mais n’avait pas été retenu dans la version finale du projet de loi de finances. Cet amendement de « justice fiscale » prévoyait de « surindexer la première tranche à 5,6%, de conserver une indexation sur l’inflation pour la deuxième, et de ne pas indexer du tout les deux autres », expliquait son auteur. Cette proposition du groupe démocrate, qui avait convaincu les Républicains, aurait permis de soulager les finances publiques de 100 millions d’euros.