Budget 2025 : devant le Sénat, le président du Calvados dénonce un « processus d’assassinat financier des départements »

L’effort budgétaire d’au moins 5 milliards d’euros demandé aux collectivités territoriales inquiète les parlementaires, notamment au vu de la situation financière des départements. Ce mercredi 24 octobre, la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation a fait le point sur l’état des finances locales, alors que le prochain budget est attendu fin novembre au Palais du Luxembourg.
Romain David

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La potion amère du budget ne passe décidément pas. L’effort que l’Etat entend demander aux collectivités territoriales, dans un contexte de forte dégradation des comptes publics, soulève de nombreuses critiques. Sur les 60 milliards d’euros d’économies dans le projet de loi de finances pour 2025, le gouvernement prévoit un coup de rabot de cinq milliards d’euros sur les communes, les intercommunalités, les départements et les régions. Une addition – ou plutôt une soustraction – difficile à avaler pour les élus au regard des turbulences traversées par les territoires ces dernières années.

« Il y a eu le covid-19 qui a impacté les recettes et les dépenses, le conflit en Ukraine qui a eu des conséquences sur le prix de l’énergie et des matières premières, l’inflation mais aussi des décisions prises qui se sont traduites par des transferts de charges vers un certain nombre de collectivités », résume le sénateur centriste du Cantal Bernard Delcros, tout juste élu à la tête de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation. Alors que le Sénat ne devrait pas débattre du projet de loi de finances (PLF) avant le 25 novembre – la discussion publique à l’Assemblée nationale s’est ouverte en début de semaine -, la commission sénatoriale a souhaité faire un point, ce jeudi 24 octobre, sur l’état des finances locales au regard des efforts réclamés par Bercy.

« Les propositions dans le PLF sont, pour les collectivités locales, très compliquées à accepter. Mais le PLF, d’une manière générale, est difficile à accepter parce que l’on augmente les impôts et l’on réduit les dépenses », a reconnu le député Renaissance de l’Oise Éric Woerth, invité par les sénateurs à présenter les préconisations du rapport sur la décentralisation qu’il a rendu fin mai au président de la République.

Jusqu’à 9 milliards d’efforts pour les collectivités locales

Les économies attendues par le gouvernement l’année prochaine reposent notamment sur trois grands leviers :

D’abord un gel de 3 milliards d’euros des dotations versées au budget des 450 plus grandes collectivités. Il est également question de réduire de 1,2 milliard d’euros les transferts de TVA destinés à remplacer certaines recettes fiscales locales, avec la suppression de la taxe d’habitation et d’une partie de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Enfin, le fonds de compensation de la taxe sur la valeur ajoutée, par lequel l’Etat rattrape la TVA payée par les exécutifs locaux sur les dépenses d’investissement, devrait aussi baisser de deux points.

Mais l’élagage, déjà conséquent, risque fort de ne pas s’arrêter là. En effet, les collectivités seront aussi impactées par la baisse du Fonds vert, destiné à financer la transition écologique dans les territoires. Elles devront également assumer la hausse de quatre points de la cotisation employeur versée à la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités. Bref, mis bout à bout, c’est un effort budgétaire compris entre 8,5 et 9 milliards d’euros qui devraient être demandés aux collectivités pour 2025, selon une estimation de l’Association des maires de France.

Les départements pris à la gorge

Une inquiétude toute particulière se porte sur la situation des départements. En juillet, la Cour des comptes tirait déjà la sonnette d’alarme sur « l’effet ciseau » qui est venu taillader leur niveau d’épargne, en recul de 4,7 milliards d’euros en 2023. Avec d’un côté la baisse des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) sous l’effet de la crise immobilière – de l’ordre de 3,5 milliards en 2023 -, les fameux « frais de notaires » qui sont en partie redirigés vers les caisses départementales. De l’autre, le poids de la prise en charge de nombreuses dépenses sociales, puisque ce sont les départements qui gèrent le RSA, la prestation de compensation du handicap, ou encore l’Allocation personnalisée d’autonomie.

« Avec des mots durs, je dirais que nous sommes à la fin du processus d’assassinat financier des départements », a dénoncé devant les sénateurs Jean-Léonce Dupont, le président de la commission Finances et Fiscalité locales à l’Assemblée des départements de France, également président du conseil départemental du Calvados.

« La fin de l’autonomie fiscale des départements et des régions a commencé, en réalité, avec une partie de la perte de la taxe professionnelle sous l’ère Jospin, finie sous l’ère Sarkozy, la fin de la diminution de la dotation globale de fonctionnement sous le mandat de Monsieur Hollande et la fin de la taxe foncière sous la présidence de Monsieur Macron (la part départementale de cette taxe a été transférée en 2020 aux communes pour compenser la suppression de la taxe d’habitation, ndlr) », a-t-il énuméré. « C’est donc un processus lent et nous n’avons, aujourd’hui, plus aucun pouvoir de taux. »

Cet élu n’a pas ménagé ses critiques à l’égard des « technocrates de Bercy » qui considèrent que « plus vous êtes gros, plus vous devez payer ». Il a également dénoncé des prévisions erronées sur le dynamisme de la TVA, venue grever les compensations mises en place par l’Etat pour contrebalancer la baisse de la fiscalité locale. « Je pense que les chiffres retenus dans la loi de finances 2024 étaient fondés sur des taux de croissance insincères », accuse-t-il.

« Si rien ne change sur ce qui nous est proposé, vous aurez fin 2025 des départements en situation de cessation de paiements », a encore voulu alerter Jean-Léonce Dupont, avec des conséquences en cascade sur les investissements territoriaux et le financement de certains établissements médico-sociaux comme les Ehpad.

Créer un nouvel impôt local

Pour éviter l’asphyxie budgétaire, certains responsables politiques poussent désormais pour la création d’un nouvel impôt local. Le sujet a même été évoqué par deux membres du gouvernement, les ministres Laurent Saint-Martin et Catherine Vautrin, le 8 octobre devant le Comité des finances locales.

« On pleure tous sur la suppression de la taxe d’habitation, maintenant c’est fait. Pas faute d’avoir prévenu ! Il est assez savoureux de voir que ceux qui l’ont promue trouvent aujourd’hui sa disparition assez délicate », a raillé ce mercredi matin la sénatrice socialiste de la Haute-Vienne Isabelle Briquet, l’une des rapporteures du budget des collectivités. Si elle estime que la fiscalité est « la clef » pour redonner une autonomie financière aux territoires, elle s’interroge toutefois sur son acceptabilité après des années de baisse. « Il faudra pouvoir porter cette mesure envers nos concitoyens », relève-t-elle.

Dans le rapport d’Éric Woerth il n’est pas question d’élargir la fiscalité locale, mais plutôt d’une meilleure répartition des impôts nationaux. « Aujourd’hui cette répartition est débilitante : on compense, la plupart du temps, par des parts de TVA. Ces parts ne veulent rien dire, il n’y a pas de logique et de visibilité pour les élus locaux », explique l’ancien ministre du Budget de Nicolas Sarkozy. Parmi ses préconisations : concentrer les droits de mutation sur le bloc communal, accorder aux départements une fraction de CSG, et orienter une part de l’impôt des sociétés et de la cotisation foncière des entreprises vers les régions. Il est question de permettre aux collectivités de jouer en partie sur les taux de ces différents impôts pour leur redonner des marges de manœuvre.

Éric Woerth s’interroge aussi sur la répartition des compétences, à l’origine d’imbroglios administratifs coûteux et d’une perte d’efficacité.

L’élu n’hésite pas non plus à égratigner ses collègues députés, en particulier les nouveaux arrivants, qu’il estime trop déconnectés du terrain pour prendre à bras-le-corps ce type de préoccupations. « À l’Assemblée nationale, ils ont passé trois mois sur des marchés, ils ont serré la main à deux maires et ils ont l’impression d’avoir fait le tour des problématiques locales. L’absence de cumul des mandats a fait beaucoup de mal et déraciné tout le monde », déplore-t-il.

Du millefeuille au « pudding administratif »

Chargé d’un rapport sur le poids du millefeuille administratif, Boris Ravignon, le maire LR de Charleville-Mézières, estime le coût lié aux compétences partagées par l’Etat et les collectivités à 7,5 milliards d’euros, une dépense largement assumée par les territoires, à hauteur de 6 milliards. « Pour l’essentiel ce sont des coûts de coordination : le temps que des fonctionnaires de catégorie A passent à discuter avec d’autres fonctionnaires de catégories A. Des discussions très très longues entre services, par exemple sur la tutelle des Ehpad, les permis de construire… C’est ce temps-là que l’on a cherché à quantifier. On passe énormément de temps à se coordonner », pointe-t-il.

« On parle de millefeuille, j’aurais plutôt tendance à promouvoir le terme de pudding, ça correspond mieux à la fois à l’imbrication et au fait que ce soit beaucoup moins digeste », épingle encore Boris Ravignon. « En plus, quelqu’un qui sait faire du pudding m’a fait remarquer que l’on utilise du pain macéré… »

Mardi matin, le Premier ministre Michel Barnier a assisté à la réunion de groupe des sénateurs LR, majoritaires au Sénat. « Le Premier ministre a dit qu’il était ouvert à des propositions alternatives, construites en restant dans l’épure générale d’un effort des collectivités et dans l’effort global de 60 milliards d’économies », a confié le sénateur LR de Meurthe-et-Moselle Jean-François Husson, rapporteur général du projet de loi de finances.

Reste à savoir si la copie du Sénat parviendra à convaincre l’exécutif, qui regarde avec inquiétude les débats budgétaires à l’Assemblée nationale, et pourrait dégainer dans les prochains jours le 49.3. Le sénateur LR du Cantal, Stéphane Sautarel, soupire : « Comment, en ayant autant de partage de diagnostics et de partage de propositions, n’arrivons-nous pas à progresser ? »

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